9.2- Nature de l'intervention de l'ANCAR
D'après nos observations auprès des responsables
de l'l'ANCAR, la démarche de leur structure apparaît comme le
modèle ou la référence en matière d'intervention.
Ils pensent même que c'est la solution aux multiples contraintes des
producteurs. En effet, le directeur en nous expliquant la stratégie
d'appui de l'ANCAR est allé jusqu'à soutenir que « le
concept d'encadrement est banni de notre vocabulaire. On ne parle mrme plus de
logique d'appui, mais plutôt d'appui-conseil ».
Nos observations sur ce point ont montré que ce
discours élogieux des agents de l'ANCAR et plus particulièrement
du directeur est à nuancer. En effet, il a été
constaté lors de nos enquêtes, que la stratégie sur
laquelle l'ANCAR travail avec les OP n'est pas si simple qu'il paraît
l'être. Il est vrai que théoriquement, la logique d'appui place le
producteur au coeur de l'action, c'est-à-dire que c'est ce dernier qui,
en fonction de ses difficultés, des ses besoins ou aspirations, formule
une demande d'appui à la structure d'intervention. En plus même si
la demande est acceptée par l'ANCAR, la validation du programme qui lui
sera proposé reste de son seul ressort. Et à partir de ce moment,
la structure sollicitée est censée traiter sa demande et apporter
une ou des solutions. M. CISSOKHO, agent de l'ANCAR, soutient
« par exemple quand un producteur adresse à notre endroit une
demande dans laquelle il manifeste la volonté de faire du
maraîchage, on effectue un diagnostic complet, c'est-à-dire toutes
les possibilités à la fois techniques et financières et
les capacités dont dispose l'intéressé en matière
de maraîchage. Après le diagnostic, on lui propose un programme
qu'il devra étudier puis valider. Et ce n'est qu'en ce moment qu'on
procédera à l'exécution du programme ». C'est
également ce que confirme M. MBAYE, un agent de l'ANCAR
qui soutient que « l'ANCAR n'intervient qu'à la demande des
producteurs Seulement un agent de l'ANCAR peut aussi à travers ces
propres observations susciter une demande d'intervention au niveau des
producteurs s'il le juge nécessaire. Mais ce cas de figure est
très rare et mrme si la demande est suscitée par un agent, il
faut qu'elle soit approuvée par l'OP».
9.3- L'appui-conseil : une approche controversée
dans sa pratique
Cependant, le véritable problème qui se pose
à ce niveau est l'incapacité des producteurs à formuler
correctement une demande d'appui parce que ne possédant pas un niveau de
formation leur permettant de le faire. A ce propos un agent de l'ANCAR nous
confie « concernant la formulation des demandes
d'appui, le problème est que est-ce que l'ANCAR est au courant de
l'incapacité pour la majeure partie des producteurs de formuler
correctement une demande. C'est là où se situe le
véritable problème. Mais sur ce point, la faute n'émane
pas de l'ANCAR, elle est relève plutôt du CLCOP parce qu'au moment
où le PSAOP a été conclu entre l'Etat, les producteurs et
la Banque mondiale, on a mis en place des fonds qui sont gérés
par le CLCOP et qui sont destinés au renforcement des capacités
des producteurs à restituer leurs demandes et à orienter leurs
interventions. Mais là où le bât blesse et on ne le dit
pas, c'est que la composante OP (le CLCOP) n'a pas joué son rôle
et les
producteurs ne sont pas assez outillés pour
rédiger ces demandes. Il y a même un problème
de m obilisation des groupes vulnérables pour
accéder aux services de cette composante OP.
Et c'est dommage pour cette catégorie de
producteurs qui ne savent pas formuler des demandes parce que l'ANCAR
n'intervient qu'au niveau des OP qui l'ont sollicité ». Sur ce
point, il ressort que la formulation d'une demande adressée constitue
une condition sine qua non pour bénéficier de l'appui de l'ANCAR.
L'appui-conseil est pertinent en lui-même c'està-dire dans sa
formulation, mais le problème se pose au niveau de sa mise en oeuvre. En
effet, pour être effectif, il suppose un certain nombre de
préalables comme la rédaction de la demande qui doivent etre
remplis. Ce n'est qu'après cette demande que le contrat entre l'ANCAR et
l'OP est signé et les programmes exécutés. Ce tableau
ci-dessous nous permet d'illustrer notre affirmation.
Tableau 10 : Capacité des producteurs
à formuler une demande d'appui à l'ANCAR
Formulation d'une demande d'appui
|
Effectifs
|
pourcentages
|
Oui
|
02
|
6,7
|
Non
|
28
|
93,3
|
Total
|
30
|
100
|
Source : Données de l'enquête, Diakho,
2010
Sur ce tableau, on observe que les producteurs dans leur
totalité ne savent pas formuler des demandes d'appui. En effet, 28 sur
un effectif de 30 producteurs, soit 93,3% manifestent leur incapacité
à formuler une demande parce que n'ayant pas subi une formation qui
puisse leur permettre de le faire. Ainsi, la relation entre l'ANCAR et les OP
devient assez
problématique si l'on sait que ceux pour qui elles
existent ne savent pas comment procéder pour bénéficier de
son soutien.
En outre, en dehors de cette incapacité des
producteurs, se trouve un autre grand problème concernant justement
l'instrumentalisations des producteurs. En fait nos investigations ont
montré une instrumentalisation de des producteurs à un double
niveau. D'abord, l'Etat est le premier à vouloir voire à
instrumentaliser les producteurs c'est-à-dire leur structure
représentative qui est le CLCOP. On note que le CLCOP abandonné
à lui seul a maille à assumer ses responsabilités. En
effet, Le CLCOP a été institutionnalisé par le CNCR et
l'Etat et par conséquent évolue sous leur bannière et n'a
aucune marge de manoeuvre lui permettant d'orienter sa vision
stratégique à partir de ses propres besoins et aspirations. Cette
volonté d'institutionnalisation du CLCOP par l'Etat et le CNCR apparait
donc alors un comme moyen permettant d'instrumentaliser les ruraux par
l'élite paysanne et l'Etat. Selon M. NDIAYE, «
(s'il vous plaît arreter l'enregistrement, je vous dis une
chose parce que je suis dedans aussi), tout ceux-ci ne sont que des
histoires Là ou se trouve le niveau d'instrumentalisation des OP par
l'Etat et ou se situe le niveau d'instrumentalisation des producteurs par
l'élite paysanne, c'est ça le vrai problème. L'Etat a
instrumentalisé les ruraux et l'élite paysanne les a
également a instrumentalisé, mais à l'inverse, les ruraux
ont à leur tour instrumentalisé l'Etat. C'est plus
compliqué que tu ne le crois et tu ne peux pas comprendre parce qu'il y
a tellement de logiques derrière tout ce protocole. C'est pourquoi,
certes moi je trouve que l'encadrement dans sa formulation n'est pas un
système adéquat, mais au moins avec l'encadrement, on parvient
à toucher les couches les plus vulnérables. Mais avec la
méthode d'appui, on pense que tout est parfait alors qu'il ya meme des
producteurs qui sont membres d'une OP partenaire avec l'ANCAR mais qui ne sont
pas au courant de son existence. Si tu regardes bien, tu pourras
toi même voir que les projets et programmes de l'ANCAR ne sont
destinés qu'à une catégorie de producteurs, et c'est
l'élite paysanne. Les autres n'y ont pas accès »
Ainsi, toutes les réalisations qui peuvent assurer une
évaluation finale satisfaisante, contribuent à faire
espérer un prolongement ou la signature d'un nouveau contrat pour
l'équipe dirigeante du CNCR ou du CLCOP. C'est pourquoi Serge Latouche
disait que « si le sousdéveloppement n'existait pas, il fallait
l'inventer ». Le développement est devenu une entreprise qui
fait vivre une certaine catégorie de personnes qui, sans la
misère des campagnes, pourraient se retrouver dans la misère ;
c'est une classe sociale qui naît des ruines
du sous-développement des populations
réceptrices de projets de développement. Le
sousdéveloppement des uns n'est-il pas le développement des
autres ? Devant de telles logiques cherche-t-on à développer
l'autre ou cherche-t-on à le maintenir dans une situation de
dépendance existentielle en développant un domaine, en attendant
d'autres financements pour en développer d'autres ? Là
réside le paradoxe même du développement pris du
côté des « développeurs ».
Dans l'approche de l'appui-conseil, nos enquetes ont
également pu qu'en dehors de l'inégalité des producteurs
devant l'accès aux services de l'Agence, il y a un autre problème
qui cette fois-ci est lié au manque de personnels suffisants. En effet,
dans la communauté de Gandon avec ses 560 km2 de superficie
n'abrite qu'un seul conseiller agricole. Sur ce point également, nos
interlocuteurs nous ont évoqué que c'est une erreur dont
l'explication ne peut etre trouvée qu'en remontant à l'esprit du
PSAOP. Selon un de nos enquêtés, « Il faut revisiter les
stratégies Il fallait harmoniser le CAR non pas uniquement à
l'ANCAR, mais plutôt à l'ensemble des structures qui font du
conseil agricole. Le CLCOP est là pour représenter les OP et
recenser toutes les demandes. Alors, une fois toutes les demandes
mobilisées, on doit organiser une sorte de conférence d'h
armonisation à laquelle doivent participer toutes les structures qui
interviennent dans la zone. Et de ce fait, au moment de la programmation,
chaque structure pourra voir concrètement la demande qui correspond
à son champ d'action et décider de la prendre ou non. A mon avis,
toutes les structures doivent adopter et partager la stratégie d'appui
et harmoniser la démarche d'appui. Mais cet esprit est faussé
c'est pourquoi l'ANCAR est maintenant très fortement remise en question
C'est d'ailleurs ce qui a poussé l'Etat du Sénégal
à se retirer de l'ANCAR parce qu'en ce moment, même si la SAED
existe elle devrait avoir comme approche, celle du conseil agricole. Bref, on
devrait harmoniser les approches, les méthodes de planification, les
lieux de planification».
Ce manque d'harmonie entre les diverses structures intervenant
dans le monde rural peut même parfois être source de conflits entre
elles. C'est ce qu'on comprend à travers cette idée du directeur
de l'ANCAR quand il dit que c'est l'Etat qui n'a pas tranché sinon
depuis que l'ANCAR est créée, aucune autre structure ne devrait
plus faire de conseil agricole et rural ou même s'il y a une structure
qui veut en faire, cela devrait etre sous la bannière de l'ANCAR parce
qu'étant le dépositaire institutionnel du conseil agricole et
rural.
Même entre l'ANCAR et ses autres partenaires, il y a
certainement des conflits, mais qui sont latents. Il n'y a pas
d'adhésion de la part des autres structures aux programmes du CLCOP qui
est pourtant la structure autour de laquelle tous les organismes de
développement doivent élaborer leurs activités sans quoi,
leur intervention n'aurait pas d'impacts. Ceci est nécessaire d'autant
qu'aucune structure, dans une communauté rurale, ne peut répondre
à la demande multisectorielle des ruraux. Si toutes les structures
avaient partagé mais aussi harmonisé la démarche d'appui,
c'est-à-dire en travaillant sur la base de la demande les conflits
auraient été beaucoup moins compliqués parce que chacun va
répondre à une demande selon sa spécificité, selon
sa mission. Par exemple, la SAED va faire l'aménagement et l'ANCAR
répond pour faire du conseil agricole et les ONG et autres partenaires
répondre en y apportant leurs financements. L'ANCAR et ses partenaires
doivent se mettre d'accord pour travailler ensemble avec le CLCOP qui doit
à son tour être capacité pour mobiliser les groupes
vulnérables afin de formuler une demande consensuelle pour toutes les OP
mais pas seulement pour une élite.
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