1.2 - La Période de 1963 à 1979 :
L'interventionnisme de l'État dans le domaine agricole
Comme nous l'avons signalé ci-dessus, la politique de
l'État sénégalais nouvellement indépendant prenait
source dans la doctrine du socialisme africain basée sur le
«communautarisme négro-africain» avec comme cadre
théorique le paradigme de la dépendance. Au plan
opérationnel, on constate un modèle de gestion dirigiste et
centralisée avec l'État, comme principal acteur du
développement définissant et mettant en oeuvre seul les
politiques de développement à travers son administration
centrale. Des raisons d'ordre social, politique et économique semblaient
justifier cette orientation qui a donné lieu à la mise en place
de dispositifs d'encadrement, de vastes programmes de développement et
enfin, de structures censées garantir la participation populaire. Ainsi,
outre les coopératives agricoles, l'autre mécanisme de cette
politique de développement peut être situé au niveau de
l'Office National de Coopération et d'Assistance au Développement
(ONCAD) créé en 1966. Les autorités
sénégalaises ont amorcé une étatisation des
circuits commerciaux de l'arachide par la création de cette structure,
née de la fusion des Centres Régionaux d'Assistance au
Développement (CRAD) et de l'Office de Commercialisation Agricole (OCA).
L'ONCAD avait pour vocation de rationaliser et de coordonner les
opérations d'une multitude d'organismes étatiques,
concernés par la commercialisation de l'arachide.
Ensuite, l'État sénégalais a
procédé à un recensement des structures d'encadrement dans
le monde rural en créant des sociétés d'encadrement du
monde paysan comme la Société d'Aménagement et
d'Exploitation des Terres du Delta (SAED en 1965), la Société de
Développement et de Vulgarisation Agricole (SODEVA en 1968), la
Société de Mise en Valeur de la Casamance (SOMIVAC en 1976), la
Société de Développement des Fibres Textiles (SODEFITEX en
1974), la Société des Terres Neuves (STN), etc. Ces
sociétés avaient pour vocation de susciter et d'encadrer les
groupements de production bien définis (arachide, coton et riz). Face
aux paysans, l'État est un expert au sens crozierien du terme puisque
selon lui : « L'expert est le seul qui dispose du savoir-faire, de
l'expérience du contexte qui lui permettent de résoudre certains
problèmes cruciaux de l'organisation. Sa position est donc bien
meilleurs dans la négociation aussi bien avec l'organisation qu'avec ses
collègues » (Crozier et Friedberg, 1981, p72).
Cependant, ces organismes n'étaient pas à la
hauteur ni des espérances, ni des moyens mobilisés parce que la
logique par laquelle ils se sont comportés en milieu rural est une
« logique d'encadrement » des paysans qui doivent simplement
exécuter les décisions prises
par les agents de développement. Dan cette logique, on
retrouve toute la pertinence de cette critique de Adrian Adams quand elle
soutient que : « Dans les projets, ils n'associent jamais les paysans
à leurs travail ; alors meme que souvent les paysans travaillent mieux
qu'eux. (..) Ils viennent seulement ramasser l'argent et ils s'en vont. La
terre reste là, elle n'est pas développée Maintenant, ils
achètent les paysans pour dire aux financeurs : on a tant de paysans,
donnez nous de l'argent » (A. Adams, 1985, p 194).
Ces nombreux échecs enregistrés nous poussent
à nous demander si ces structures d'encadrement du monde rural n'ont pas
été utilisées au service exclusif d'un système
politique qui ne cherchait qu'à se maintenir et à se reproduire.
En d'autres termes, il incombe de savoir si l'agriculture n'a pas servi que de
prétexte pour mettre en place un appareil public dont l'ampleur, au bout
du compte, n'a été plus utile à l'extension du pouvoir
qu'au développement du monde paysan. A ce titre, selon le duo Momar C.
Diop et Mamadou Diouf, il y a deux principales raisons qui peuvent expliquer
cet échec : « La première se réfère
à la nature clientéliste de l'Etat et des conflits politiques et
idéologiques des différentes personnes au sein de l'Etat, du
gouvernement et du parti au pouvoir. La seconde réside dans
l'élimination de Mamadou Dia qui marque la fin des tentatives de mise en
place d'une administration de type moderne et de participation populaire
» (1990, p 63).
Aussi, le rôle joué par les marabouts au
bénéfice de Léopold S. Senghor va titre capital puisqu'il
renforce le principe clientéliste établi à leur profit
dès le référendum de 1958. Ce mouvement coopératif
sera ainsi dévié de ses objectifs pour devenir une structure au
sein de laquelle divers groupes ou acteurs vont chercher à
réaliser des objectifs contradictoires parmi lesquels : A) l'État
cherche à contrôler l'économie arachidière, à
promouvoir des programmes de modernisation agricole et à s'approprier
une plus-value de l'économie rurale ; B) les politiciens s'y appuient
pour construire leur clientèle politique en s'assurant un accès
facile au crédit et aux autre ressources de la coopérative, C)
les notables ruraux et chefs religieux, de leur côté, s'y adossent
pour renforcer leur autorité et leur prestige ; D) les paysans
perçoivent plus le mouvement coopératif comme un instrument
étatique conçu pour centraliser la récolte d'arachide que
comme une destinée à promouvoir leur développement (Diop
et Diouf, 1990, p 65).
En résumé, les coopératives vont titre
transformées en instruments de prédation et l'ONCAD quant
à elle, se présente selon les propos de Mohamed Mbodj comme une
structure tentaculaire caractérisée par une gestion
gabégique et un clientélisme politique (Mbodj, 1992). C'est ainsi
que sous le poids du dirigisme et de la tutelle de l'État, les
populations ont fini par croire que les structures de participation ne sont en
fait que de nouvelles stratégies d'une
administration omnipotente et tentaculaire
caractérisée par une expansion massive et une centralisation
concomitante de l'appareil d'État. Cela revient tout simplement à
souligner que le problème des premières politiques de
développement dans la plupart des États africains nouvellement
indépendants comme le Sénégal concernait leurs
résultats mitigés au travers d'investissements coüteux et
irréalistes associés à des dérives
financières produisant comme conséquences l'insolvabilité
et la vulnérabilité des pays.
L'échec des politiques de développement
post-indépendantistes qui s'est surtout manifesté par la perte de
compétitivité de l'économie va ainsi amener les pouvoir
publics à s'endetter pour financer le développement, accentuant
ainsi la dépendance du pays aux capitaux étrangers. Mais
au-delà de ce contexte explosif, ce seront surtout les exigences des
bailleurs de fonds internationaux pour un redimensionnement de l'État
dans l'activité économique qui vont entre autres, impulser
à travers l'ajustement structurel, le processus de désengagement
de l'État et de responsabilisation des populations rurales. Ainsi sous
le diktat des bailleurs de fonds, les pouvoirs publics vont s'engager
dès la fin des années 70 à rectifier les
déséquilibres macro-économiques en mettant sur pied des
réformes destinées à changer le modèle de
développement post-colonial. C'est justement cette période qui
coïncide avec ce qui est communément connu sous le nom de
Politiques d'Ajustement Structurel.
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