2.10.4- La connaissance des lunettes que portent les
paysans :
A ce niveau, le principal obstacle que rencontrent les
intervenants lorsqu'ils veulent agir en milieu rural, réside dans le
regard qu'ils portent sur les hommes et les choses. Ce qu'ils voient n'est pas
ce que les paysans voient. Au contraire, ses derniers perçoivent la vie
et ses formes avec une autre sensibilité. En d'autres termes, la
population est organisée à sa manière, avec des valeurs,
des concepts, des codes différents, parfois tellement différents
qu'ils deviennent invisibles, insoupçonnables pour ce qui ne vivent pas
dans la même sphère. C'est tout simplement dire que pour faire
bénéficier les paysans de leurs connaissances, il faudrait que
les agents des structures d'appui respectent l'expérience pratique des
producteurs et discutent avec eux d'égal à égal. Ignorer
cette réalité dans la vision des choses mène
évidemment droit au quiproquo et ainsi, « le dialogue devient
dialogue de sourds » (E. S. Dione, 1994, p 81). Donc porter les
mêmes lunettes que les paysans est indispensable pour comprendre les
situations et la manière dont ils les analysent.
Pour montrer la manière dont on porte les lunettes des
acteurs de base, l'auteurs s'appui sur trois domaines : D'abord dans le domaine
technique, porter les lunettes des paysans, c'est partir des situations, des
pratiques et des compétences déjà existantes ; Ensuite en
matière d'organisation, c'est s'appuyer sur les groupes naturels et se
brancher sur les réseaux relationnels de la société ; en
fin pour l'appui économique, c'est s'intégrer dans les circuits
déjà en place et utiliser leur rationalité comme une
ressource. Mais cela exige un important travail de redéfinition de la
réalité qui n'est possible qu'à travers une interaction
ouverte. L'action devient alors l'occasion par laquelle les agents de
l'organisme d'appui ont la possibilité de confronter leur vision des
choses avec celles des acteurs.
D'une manière générale, pour porter les
lunettes des acteurs à la base, il faut ce qu'Emmanuelle Seyni Dione
appelle : « l'effet miroir » c'est-à-dire ce que les
intervenants provoquent chez les paysans, renseignent ces derniers sur la
manière dont ils sont perçus et sur la pertinence de leur vision
(E. S. Dione, 1994, p 81).
Cependant « l'effet miroir » doit jouer
dans les deux sens : autrement dit, ce que les intervenants provoquent chez les
acteurs doit aussi aider ceux-ci à s'interroger à leur sujet.
Ainsi l'interaction n'est totale que si elle induit un décentrage dans
les deux groupes d'acteurs, c'est-à-dire si elle permet à tous
les deux de jeter un regard renouvelé sur leur monde. En cela, «
l'effet miroir » est double : d'une part, il enrichit la vision
de l'organisme d'appui sur son propre fonctionnement et d'autre part, il
élargie le champ d'analyse des
acteurs, en particulier leur compréhension du
fonctionnement de leur propre vie sociale. En définitive, «
l'effet miroir », constitue le moyen par lequel les intervenants
extérieurs ont la possibilité d'ouvrir une fenétre sur le
référentiel de ceux avec qui ils désirent agir. Et tout
devient alors affaire de communication. Mais cela n'est possible que si
l'organisme d'appui construit son intervention sur ce que les populations font
déjà elles-mémes et, s'ils utilisent le même langage
et adopte la même analyse.
Schema 2 : schématisation de
l'évolution de la gestion de l'action dans les projets
Porteur de l'action « l'action, c'est
moi »
· Animateur
Action
L'animateur s'identifie à l'action : le succès
de celui-ci conditionne son propre succès en tant qu'animateur. La
réussite de l'action justifie son existence vis-à-vis de
luimême, vis-à-vis de son employeur, vis-à-vis des
villageois (logique de promotion). Monsieur puits, monsieur crédit,
monsieur reboisement etc. sont
quelques exemples de perceptions villageoises à son
sujet.
L'action est son affaire. Aussi sera-t-il
tentéd'imposer ses normes pour la
conduire et ses critères pour l'évaluer.
Co-gestionnaire de l'action « je mets la
main à la pâte »
· Animateur
Action
L'animateur aménage les conditions de l'action. Il
provoque la réflexion, soulève le problème qui est
à l'origine de l'action. Mais celle-ci est portée par les
villageois, il peut y avoir cogestion, l'animateur étant partie prenante
dans la réussite. Mais sa réussite en tant qu'animateur n'est
possible que s'il y a réussite aux yeux des villageois. En un sens,
l'animateur
s'identifie et dès lors, s'évalue au
succès que les villageois remportent (logique d'appui).
L'action est en même temps son affaire et celle des
villageois. Elle est partagée.
Facilitateur de l'action «
j'accompagne l'action si on me le demande »
· Animateur
Action
L'animateur se situe en dehors de l'action. Ce n'est pas par
rapport à elle qu'il justifie sa présence sur le terrain
villageois. Il s'y intéresse dans la mesure où on le sollicite
à ce sujet (logique de consultation). Il peut éventuellement
être à son origine, mais ne s'implique pas dans sa finalisation.
C'est l'affaire des villageois, à eux d'en faire ce qu'ils veulent. Par
contre, il veillera à ce que les villageois soient en situation et
capables d'exploiter le potentiel d'apprentissage et d'innovation que l'action
recèle.
L'action est l'affaire des seuls villageois.
Source : Emmanuel Seyni Dione, 1994 :83
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