2.7- Classification des organisations selon la nature des
membres
Blundo (1991) distingue deux types de
bénéficiaires : les membres et les nonmembres. Les individus
inscrits et remplissant les conditions d'adhésion exigées par une
organisation sont considérés comme membres. Ils ont le droit et
le devoir de participer à toutes les activités du groupe. Les
non-membres sont ceux-là qui n'ont contracté aucun engagement
avec une organisation. Toutefois, ils peuvent être impliqués
indirectement dans les activités de l'organisation, parce que
résident dans un même cadre géographique que les membres.
Cette classification fait distinguer deux types d'organisations : les
organisations fermées et les organisations ouvertes. Dans le premier
type d'organisation, les services offerts ne concernent que les membres, tandis
que dans le second cas les services peuvent être offerts à la fois
aux deux catégories de membres.
2.8- Classification des organisations selon leur
composition
GAO (2000) présente à cet effet deux cas de figures
: soit l'organisation réunit une seule catégorie de personnes,
soit elle réunit plus d'une catégorie de personnes.
Dans le premier cas, les organisations ne concernent pas
l'ensemble des membres de la communauté dans laquelle elles sont
localisées. L'adhésion à ce type d'organisation devient
sélective. C'est le cas des regroupements d'apiculteurs, de jeunes, de
femmes ou de pisciculteurs.
Dans le deuxième cas, l'adhésion se fait
indifféremment des couches sociales. Elle est libre et volontaire.
Quelque soit la classification ou la typologie adoptée, en
pratique les frontières entre ces différents critères
restent fluides.
2.9 - Courants théoriques sur les rapports entre
l'État et les paysans
2. 9.1- L'organisation bureaucratique du secteur
agricole par l'État :
Cette approche part de l'hypothèse selon laquelle
l'essor des initiatives autonomes est ressenti comme une menace pour les
intéréts de l'État. Considérer l'organisation
paysanne ou la coopérative comme l'affaire de l'État et non celle
des coopérateurs, c'est supposer que l'ordre ne peut régner dans
le monde rural que si les OP disparaissent ou sont placées sous le
contrôle des appareils étatiques.
2. 9.1.1- Le contrôle de la paysannerie par
l'État :
Les représentations que les « développeurs
» se font d'eux-mêmes et de leurs pratiques sociales se
réfèrent, classiquement, à l'ordre légal, rationnel
et bureaucratique caractéristique de la culture occidentale (Weber,
1991) et à « l'artificialisme » découlant du
système de valeurs individualiste et positiviste (Dumont, 1985). Le
développement rural n'est, à ce niveau, que le transfert de la
croyance en l'ingénierie sociale que la culture occidentale s'est
d'abord appliquée à elle-méme et qu'elle a ensuite mise en
oeuvre dans les territoires coloniaux.
L'idéal bureaucratique auquel s'identifie la culture
moderne de l'Occident s'efforce de combiner les valeurs d'efficacité et
d'équité, et le terrain colonial ne constitue nullement une
exception. Certes l'exotisme n'est pas entièrement évacué
de la culture coloniale ; il demeure important, mais davantage comme un
élément distinctif valorisant que comme un élément
discriminant de l'identité sociale des acteurs. Les indépendances
n'apportent guère de changements en ce qui concerne les « agents
expatriés » du développement.
En ce qui concerne les nouvelles structures nationales
d'administration du développement, la situation est plus complexe et
exigerait une analyse qui ne peut être qu'ébauchée : a) Un
premier point est la continuité formelle de la légitimité
bureaucratique dans ce que l'on appelle significativement le secteur ou le
monde du développement, qu'il s'agisse d'agences gouvernementales,
internationales ou non-gouvernementales ; b) Un deuxième point est la
bureaucratisation inéluctable des organisations issues du milieu rural
lui-même dès lors que, pour accéder aux ressources du
« secteur du développement », elles sont tenues de
répondre aux exigences organisationnelles explicites des bailleurs de
fonds. Plus que jamais la conformité réelle ou apparente aux
normes d'efficacité et d'équité du modèle
bureaucratique est une condition d'accès au « monde du
développement » ; c) Un troisième point, conséquence
du précédent, est la croissance en milieu rural d'une couche
sociale d'intermédiaires entre le dispositif officiel de
développement et les bénéficiaires de son intervention
J.P. Jacob, 1997).
En effet, après la colonisation qui a
intégré les populations indigènes dans un mode de
production dominant au profit du groupe d'intérêts
extérieurs, les politiques nationales de développement agricole
des pays africains s'adaptent à ce système en privant les paysans
de leur autonomie afin de masquer la réalité de l'exploitation
dans les zones rurales (Ela, 1990, Goussault, 1976, Casswell, 1984, Dumont).
Les appareils de l'État ont pris le relais du système colonial en
imposant des structures d'encadrement qui renferment les producteurs locaux
dans les nouvelles formes de domination. Comme le remarque Goussault : «
L'initiative de l'État a pour objet premier une action sur la
production agricole pour assurer la formation et l'appropriation de plus-values
au profit du mode de production dominant la formation sociale »,
(Goussault, 1976).
Ce processus s'inscrit dans une stratégie globale qui
met en oeuvre non seulement des idéologies mais aussi des facteurs
économiques et politiques. En effet, à travers les
sociétés de développement spécialisées dans
une production de rente, l'État occulte ses processus de domination en
recourant à l'idéologie de modernisation qui joue le rôle
d'un modèle culturel intégré au appareils de pouvoir. En
ce sens, le « déguisement » est partie intégrante de
l'intervention de l'État dans le domaine agricole.
Moustapha Kassé renchérit pour fustiger la pertinence de ces
institutions en affirmant que : « Au plan de l'encadrement, (..)
l'intervention des Société de Développement Rural (SDR)
n'a pas servi les intérets des petits producteurs Tout au plus, elles
ont bénéficié techniquement, économiquement et
socialement à une élite paysanne Par ailleurs, par une assistance
bureaucratique et pesante, elles ont
complètement empêché les paysans de se
prendre véritablement en charge en développant
leur propre dynamique d'organisation, de production et de
commercialisation » (M. Kassé, 1996 :24). Dans la
majorité des pays africains, l'intervention de l'État dans ce
secteur ne se fait pas seulement par l'intermédiaire des
sociétés de développement et des services d'animation
rurale, mais aussi, naturellement du parti dominant ou comme l'appelle Ela le
« grand parti ou le parti unique », (Ela, 1990).
Pour « encadrer » les paysans, les pouvoirs les
obligent par diverses mesures d'une part à intégrer dans le parti
et d'autre part à assister à leurs réunions, donc de
manière générale à s'inscrire dans l'aire de
l'idéologie dominante. C'est dire que ces régimes pratiquent
l'encadrement des paysans par des institutions centralisées.
Ainsi, le souci d'implanter le « grand parti national
» jusqu'au fond de la brousse (A. Adams, 1985) n'obéit pas
seulement à la volonté d'asseoir le régime dans toutes les
couches sociales, mais aussi de protéger les intérêts des
groupes qui profitent de l'État pour élargir leur base
économique. Dans ces conditions, laisser les paysans se réunir,
leur laisser la possibilité de s'exprimer et de discuter en toute
liberté de leurs problèmes ne peut manquer de soulever des
questions politiques inhérentes au développement local. Pour
empêcher l'émergence de cette conscience des enjeux politiques des
problèmes du territoire, il s'agit de créer des structures
contrôlées par le pouvoir. C'est-à-dire qu'il est possible
de neutraliser les paysans qui, en dépit de leur majorité
numérique et de leur forte contribution à l'économie
nationale n'ont aucun poids politique réel.
En outre, l'État impose un cadre juridique et
institutionnel à tout ce qui veut exister et fonctionner à titre
officiel, autrement dit, toute organisation doit titre soumise aux appareils de
pouvoir. Dès lors, il faut s'attendre à toute sorte de blocage
dans les systèmes où le formalisme des instances locales
n'encourage pas toujours les individualités créatrices à
faire preuve d'initiatives : « Il est impossible pour les paysans
d'organiser un petit mouvement pour réclamer de meilleures conditions.
Cela n'est pas envisageable dans les régimes où le système
coopératif a été vidé de son sens en tombant sous
le contrôle de l'administration, comme à l'époque des
sociétés indigènes de prévoyance », (Ela,
1990). La conclusion que l'on peut enfin tirer de cette approche est que les
organisations paysannes ne sont perçues
qu'à travers la problématique de «
l'encadrement ». Et cette vision n'est pas fortuite puisqu'elle
reflète une stratégie hostile à toute forme d'initiatives
qui échappent à l'emprise de l'État. Ce dernier impose au
OP marginalisées un cadre économique précis,
c'est-à-dire qu'au niveau de toutes les structures d'encadrement, les
rapports avec les paysans sont strictement verticaux.
Cependant, l'insuffisance de cette approche réside dans
le fait que selon elle, il n'y a aucun souci, les OP suscitées par les
sociétés de développement fonctionnent d'abord dans
l'intérêt de l'État et reproduisent, en fait, un
système de domination dans un contexte où les projets officiels
s'assurent le monopole du développement local. Les partisans de cette
théorie se sont mis à critiquer aveuglément l'État
jusqu'à méme oublier les vrais manquements qui existent au sein
des OP. L'État a certes failli à sa mission mais il importe
également de signaler d'une manière explicite que les
différentes OP n'ont pas elles aussi acquis une certaine culture
organisationnelle et par conséquent, elles se retrouvent
confrontées à des conflits internes qui les affaiblissent en
grande partie.
2. 9.1.2- La subordination de la société
à l'État :
A. Adams explique comment les difficultés qui
s'accumulent pour bloquer l'émergence des groupes représentant
les intérêts réels des paysans. Elle montre que dans les
pays où la société civile commence à s'affirmer,
les paysans inventent des formes d'organisation au niveau villageois. Mais
lorsque celles-ci dépassent le village et risquent de poser des
problèmes qui touchent à la nature de l'État, elles sont
confrontées à un problème de reconnaissance juridique
d'autant plus insurmontable que l'accusation de subversion reste une menace
permanente.
Les pouvoirs mesurent parfaitement le poids de ce type
d'organisation où peut se faire entendre la voix des paysans avec leurs
problèmes réels. L'une des stratégies de l'État
consiste à rentrer dans ces structures pour en neutraliser le dynamisme.
Il s'agit toujours de contraindre les paysans d'entrer dans des organisations
artificielles et de les empêcher de se regrouper selon leurs propres
critères.
Au Sénégal, les paysans ont longtemps
été « biberonnés » par l'État qui les
étouffait sous sa tutelle. Adams montre les tentions entre les
groupements de producteurs et la SAED, structure opposée aux initiatives
qui échappent à son contrôle. Gela veut tout simplement
dire qu'on se situe dans la logique de subordination de la
société à l'État. Il semble en effet aujourd'hui
que tout ce qui échappe à l'État et va aux organisations
non étatiques puis aux
« leaders paysans » porte atteinte à
l'intégrité des institutions nationales et la stabilité du
régime en place. C'est en ce sens que Adams déclare : «
Pour les dirigeants politiques, le développement rural se
conçoit sans un véritable mouvement paysan susceptible d'entrer
en conflit avec les intér~ts de l'État » (A. Adams,
1985 :113).
Donc toute tentative visant à donner aux paysans un
début d'autonomie se heurte au centralisme des regimes qui trouvent
insupportables les initiatives prises en dehors de leur espace de
domination.
A travers le foisonnement d'expérience et la
diversité des structures, on retrouve les grandes tendances qui rendent
compte des rapports entre l'État et les paysans. Ceci pour dire que
l'État préfère remplir de nombreuses fonctions
plutôt que de les confier aux OP. En plus, les groupements paysans sont
acceptes si et seulement si leurs activites correspondent aux preoccupations du
pouvoir. Dans cette perspective, les structures de developpement rural se
definissent en fonction de la strategie des acteurs qui contrôlent le
pouvoir. Au lieu de considerer la responsabilite des paysans dans leurs
communautes, les pouvoirs se fabriquent des organisations à l'image de
leurs projets d'intervention dans les zones rurales. Les OP reposent sur des
organismes de developpement qui definissent un certain type de rapports entre
l'État et les paysans dans un système où ceux-ci sont de
simples executants et non de véritables partenaires. C'est donc pour
faciliter leur intervention que les operations de developpement et les projets
mettent en place des structures paysannes qui leur conviennent. En ce sens, on
comprend toute la pertinence de cette affirmation de H. Dupriez quand il
declare que : « Généralement, l'existence et
l'efficacité de telles structures (~) sont liées à la
seule présence de l'institution publique qui doit exécuter le
projet et souvent mme à l'existence d'une subvention extérieure.
Dans ce cas, les paysans sont informés que s'ils veulent
bénéficier de l'aide extérieure, ils doivent se constituer
en groupement de producteurs et respectent les règles fixées par
les sociétés de développement » (Dupriez, 1980
:200).
Dans cette pratique, les dirigeants et les developpeurs ont
tendance à encourager les profits individuels et collectiviser les
pertes. De plus, l'adhésion à ces OP devient obligatoire d'autant
que dans certains aménagements hydro-agricoles, on ne peut avoir une
parcelle si on n'adhère pas aux groupements officiels. Ce modèle
domine dans la plupart des experiences où les organisations ne sont
guère le produit des initiatives paysannes mais plutôt des
instruments de l'État.
On peut alors deduire que selon cette approche, les «
developpeurs » tendent à etouffer les dynamismes internes des
societes rurales sans lesquelles les problèmes des villages ne peuvent
trouver des reponses inventees par les paysans eux-mêmes. Sur le terrain,
on retrouve
l'encadreur qui sait et le paysan ignorant. Le rôle de
l'animateur se limite à être une courroie de transmission à
sens unique, c'est-à-dire du sommet à la base et l'on pense que
tout peut changer si le paysan s'affirme et s'attaque à certains
intéréts économiques.
En outre, pour éviter les conflits potentiels, on
polarise les paysans sur les sujets qui écartent toute remise en cause
pouvant modifier les rapports actuels entre les paysans et le pouvoir. Il peut
être difficile de gouverner avec des ruraux capables d'intervenir dans
les débats agricoles où leurs intérêts sont en
contradiction avec la domination des notables, l'emprise de l'État et
les luttes d'influence des responsables du pouvoir ou des élites locales
régionales. On s'en tient donc au statu quo en réduisant les
problèmes agricoles à des problèmes techniques devant
lesquels les villageois doivent reconnaître leur incompétence et
leur ignorance.
A travers ces différentes approches exposées
dans la littérature, nous avons considéré que c'est
l'approche de la gestion de l'interaction développée par Emmanuel
Seyni Dione qui correspond le mieux à notre orientation
théorique. Cette perspective théorique nous semble pertinente
dans la mesure où elle postule le principe selon lequel l'intervention
des organismes de développement au niveau des populations locales doit
être conçue de manière à ce que la relation entre
intervenants et leurs cibles soit horizontale.
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