II) Une rentabilité menacée par de
lourdes incertitudes
Ces incertitudes concernent d'abord le manque de recul et
d'expertise sur le véritable l'impact des mesures environnementales sur
l'économie du navire (A), mais également le fait de savoir si les
banques commerciales sont prêtes a s'engager dans le financement de
navires utilisant des technologies nouvelles, qui impliquent par nature
certains risques supplémentaires (B).
A) Des incertitudes liées a l'impact des mesures
environnementales sur l'économie du navire
Certains arbitrages entre le respect de l'environnement et le
profit économique pourraient s'avérer préjudiciables
à la rentabilité du navire (1), alors que certaines inconnues
pèsent encore lourdement sur la viabilité des financements de
navires verts (2).
1) Des arbitrages préjudiciables à la
rentabilité du navire
Malgré leur nécessité en matière de
lutte contre le réchauffement climatique, les règlementations
écologiques peuvent avoir un impact négatif sur la
compétitivité du navire, voire sur sa rentabilité.
Cela supposerait que l'armateur soit forcé d'opérer
a un moment donné un arbitrage entre le respect de l'environnement et la
profitabilité.
Ainsi, les surcoûts qu'entraineraient les mesures visant a
limiter les émissions seraient de nature a grever la
profitabilité du transport maritime.
L'idée générale développée
ici pourrait se résumer de façon suivante : « Au-delà
d'un certain seuil d'économies d'énergie, le taux de profit se
met à décroître parce que le coût marginal de
réduction des émissions est croissant82 » (Voir
figure ci-dessous).
82 Michel Husson, Un capitalisme vert est-il possible,
Université d'été du Comité pour l'annulation de la
dette du Tiers Monde, Juillet 2009.
Figure 10 : La relation taux de profit / Economies
d'énergie
Source : Michel Husson, Un capitalisme vert
est-il possible, Université d'été du Comité pour
l'annulation de la dette du Tiers Monde, Juillet 2009.
Quoi qu'il en soit, la réduction des émissions
de Co2 ainsi que de NOx et de SOx, et les surcoûts qu'elle
entraîne, pourraient non seulement avoir des effets sur la concurrence
entre armateurs, mais également sur la compétitivité du
transport maritime dans certaines circonstances.
a) Des arbitrages aux effets pervers : le risque d'un
shipping a deux vitesses
L'objectif d'une compagnie maritime est d'exploiter un navire
dans le but d'en tirer un profit maximal. La réduction des
émissions de Co2 est un objectif annexe, dont la réalisation ne
se fera qu'à condition de ne pas compromettre le succès de
l'objectif principal, a savoir le profit ou a tout le moins le maintien de la
rentabilité.
Nous l'avons vu, les efforts destinés à
réduire les émissions de Co2 supposent des surcoûts.
Il en va de même pour le slow steaming, qui
comporte deux sortes de coûts additionnels : le coût que
représente l'ajout de un ou plusieurs navires dans un service en
slow steaming ainsi que l'augmentation des coûts d'inventaire
pour les armateurs83.
L'ensemble de ces coûts a été
estimé a 7000 Dollars par jour pour un porte-conteneurs de 1000 à
2000 EVP, 8000 Dollars par jour pour un navire de 2000 à 3000 EVP, et
9000 Dollars par jour pour les navires dont la capacité est
supérieure à 3000 EVP84.
Nous l'avons vu également, le slow steaming
permet à la fois de réduire la consommation de fioul et de lutter
contre la surcapacité. Pour autant, compte tenu de son coût, il
est plus que probable qu'il serait abandonné si la surcapacité
que connaît le secteur du conteneur venait à être
réduite sous l'effet d'une hausse de la demande de transport.
Il en irait de même si les prix du fioul venaient à
baisser alors que les taux de fret venaient à augmenter dans le
même temps.
Dans ces conditions, il est clair que le maintien du slow
steaming par certains armateurs amoindrirait leur profitabilité, et
constituerait pour eux un désavantage vis-à-vis de ceux qui
l'auraient abandonné.
Par ailleurs, dans un contexte de taux de fret bas, la
concurrence est farouche au niveau des prix. Cela peut conduire les armateurs a
s'adapter et à restreindre les investissements ou abandonner les
pratiques qui pourraient mettre en péril leur
compétitivité face à une concurrence rude et un
marché réduit.
Cela entraînerait l'émergence d'un shipping a
deux vitesses : d'un côté un shipping de qualité
développé par de grands groupes internationalement reconnus
disposant d'un accès relativement aisé aux sources de financement
bancaire, et d'un autre côté un shipping a « low cost and
low quality »85 uniquement focalisé sur la
réduction des coûts et la fourniture d'une prestation de transport
essentiellement conçue comme un déplacement d'un point A vers un
point B.
83 In Pierre Cariou, Is slow steaming a sustainable
means of reducing CO2 emissions from container shipping?, Euromed-Management,
2010.
84 Ibid.
85 In Hermann Kaps, Quality Shipping Incentives,
Disincentives, WMU Journal of Maritime Affairs, Volume 3, Number 1, April
2004.
La capacité d'accès au crédit bancaire et le
coût du crédit pour un armateur dépendent de86 :
- La qualité de l'emprunteur87.
- Le niveau de sécurité qu'il aura a offrir en
contrepartie du prêt.
- Le niveau de trésorerie dégagé par
l'actif, qui conditionnera la capacité de remboursement du
prêt.
- La durée du financement et de la nature du projet (achat
de navire neuf ou d'occasion). - Le niveau de rentabilité
envisagé pour le navire.
Les armateurs qui bénéficient des meilleurs
résultats seront donc ceux qui auront un accès à la plus
large gamme de produits financiers à des taux avantageux et pour des
montants élevés88 proportionnellement à la
valeur du navire89.
Cette réalité d'un accès au financement a
deux vitesses pourrait par ailleurs pousser les armateurs plus modestes
à privilégier la rentabilité de leur activité sur
toute autre considération de type environnemental.
En outre, cette focalisation sur la rentabilité pourrait
engendrer une pression à la baisse sur les standards environnementaux
appliqués par les compagnies vertueuses.
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