2.2.3. Le facteur biologique.
Sous les climats tropicaux, le facteur biologique revêt
une importance particulière. En raison des températures
élevées, le turn-over des éléments minéraux
y est rapide. Mais ce turn-over dépend d'un jeu d'interactions complexes
qui conduit à un transfert des éléments chimiques sous des
formes variables qui ne sont pas toujours utiles à la plante (Anderson
et Ingram, 1993). Les plantes qui sont les producteurs primaires de
l'écosystème sol constituent la base de cette chaîne de
réactions en fournissant une biomasse sous forme de racines, de
feuilles, de tiges ou de fruits (secs ou charnus).
Elles ont également une influence sur le microclimat.
Ces effets de la plante sont bien connus et ont fait l'objet de mesures. Le
rôle des microorganismes du sol est également largement
étudié notamment dans le cadre de la fixation biologique de
l'azote. Par contre, la faune des sols reste le parent pauvre de la recherche
sous les tropiques. Seuls les éléments les plus évidents
tels les fourmis, les termites et les annélides, ou les parasites des
cultures ont été étudiés avec attention. Cet
état des connaissances évolue rapidement grâce à la
mise en place de programmes internationaux.
L'action de la plante.
Nous examinerons en premier lieu l'influence du couvert
végétal sur ces équilibres. Cette action limite la
dégradation de la fertilité des sols par trois facteurs:
- Atténuation des variations climatiques. - Protection
contre l'érosion.
- Amélioration du stock organique et minéral.
Atténuation des variations climatiques
A l'échelle d'une parcelle cultivée, on observe
des variations importantes du microclimat selon le type de culture et la
densité du couvert ligneux. A cette échelle, la présence
de quelques arbres par hectare suffit à réduire notablement la
vitesse moyenne du vent en saison sèche ( Baldy et Stigter, 1993). La
présence de végétaux limite également l'incidence
du rayonnement solaire sur la température du sol (Charpentier et al.,
1991). On observe une diminution de l'écart entre l'amplitude des
températures maxima du jour par rapport aux maxima de la nuit. Les
parcelles avec ombrage ont une variation des températures
nycthémérales qui peut être inférieure de 8° C
à celle d'une parcelle témoin sans plantes (Baldy et Stigter,
1993).
Ce pouvoir tampon vis-à-vis du climat s'accompagne
d'une modification des conditions d'humidité atmosphérique dans
la zone sous influence. L'évaporation de l'eau du sol sera ainsi
réduite.
Ce constat a conduit à l'expérimentation de
mises en culture particulières que l'on appellera les cultures multiples
qui permettent d'effectuer des cultures malgré des conditions hydriques
défavorables (Osseni et N'guessan, 1987). Mais cette augmentation de
l'humidité atmosphérique n'a pas que des effets positifs, car
elle risque également de faciliter le développement de la mouche
tsé-tsé (Mainguet, 1994) ou de parasites pour les plantes
cultivées.
Protection contre l'érosion.
L'action de la plante comme agent de lutte contre
l'érosion hydrique est évidente. Elle diminue l'énergie
cinétique des gouttes de pluie avant leur impact sur le sol et elle
stabilise les particules solides par le biais de son réseau racinaire.
La lutte contre la désertification utilise le couvert
végétal (ligneux ou herbacé) comme agent de protection
à long terme contre l'érosion hydrique (projet Keita de la F.A.O.
au Niger, végétalisation des ouvrages anti-érosifs). Le
suivi de projets de végétalisation d'ouvrages de lutte
anti-érosive tels les cordons pierreux ou les diguettes montre l'
intérêt pratique de cette technique (Alexandre, 1994).
Comme nous l'avons vu, la plante permet de diminuer la vitesse
du vent, ce qui limite l'érosion éolienne. Ce qui a conduit au
développement de haies brise-vent dans les zones où les sols
étaient les plus sensibles à ce type d'érosion. Mais ce
type de protection augmente la température de la zone
protégée jusqu'à une distance équivalente à
10 fois la hauteur de l'écran (Kaisin, 1994). Cette augmentation de
température peut être fatale aux cultures sous influence de
l'écran.
Amélioration du stock organique et minéral.
En zone de savane, la production de biomasse
végétale est plus importante dans le sol sous forme de racines
qu'en surface (Fournier, 1991).
Cette biomasse qui est protégée de l'effet du
feu permet le maintien d'un stock organique dans le sol. Il est
complété par l'aptitude pour de nombreuses essences à
fixer l'azote atmosphérique (Swift et al., 1994) et
l'amélioration de l'accès aux nutriments par
l'intermédiaire des mycorhizes. Du fait de l'amélioration des
conditions micro-climatiques, la vie dans le sol pourra se développer,
ce qui renforcera les mécanismes de biodégradation de la
matière organique. La présence d'animaux permet une humification
de la litière, ce qui facilite la constitution d'un stock organique
(Kilbertus et al, 1980). La mise à disposition pour la faune des sols de
débris végétaux frais (de qualité nutritive
supérieure) permet un renforcement de leur population (Zaidi, 1985).
Ce fait est à souligner car il met en évidence
une différence qualitative nette entre les parties aériennes et
les racines d'une part et entre le matériel végétal frais
et le matériel végétal sec d'autre part. Il se crée
ainsi une synergie entre la plante et la faune des sols dont chaque partie tire
un bénéfice. L'exemple le plus connu de cette association se fait
sous Faidherbia albida. Cet arbre perd ses feuilles durant la saison des pluies
et met ainsi du matériel végétal frais à
disposition des animaux du sol.
Les plantes sont un facteur de protection de la
fertilité des sols très important. Mais leur emploi dans ce but
réclame des études scientifiques complémentaires. Leur
utilisation dans le cadre d'un système cultivé reste sujet
à controverse. Les questions de compétition dans l'alimentation
hydrique par exemple ne sont pas totalement explicitées. La flore
représente par sa biomasse et par sa diversité un indicateur de
la régénération de la fertilité du milieu. La
présence d'arbres assure une niche écologique particulière
dans les milieux tropicaux secs. L'environnement racinaire offre une protection
contre la dessication rapide des sols à la fin de la saison des pluies.
De nombreuses espèces ont leur niche d'habitation
préférentielle sous les arbres durant la saison sèche
(Gillon et Gillon, 1979). C'est vers les organismes qui participent à la
minéralisation des déchets organiques que nous allons maintenant
porter notre attention.
La faune du sol.
D'une manière générale, les rôles des
organismes qui vivent dans les sols sont, en l'état actuel des
connaissances (Swift et al, 1994), les suivants:
1) Ils sont à la base de la régulation du stockage
et de la distribution des nutriments dans le système au travers des
processus de décomposition, minéralisation et immobilisation.
2) Ils orientent la synthèse et la distribution de la
matière organique du sol (humus).
3) Ils influencent la disponibilité de l'eau pour la
plante en modifiant la structure et le régime hydrique du sol.
4) Ils modifient l'état phytosanitaire par le biais des
parasites et des pathogènes.
Nous ne développerons ici que les éléments
dont la macrofaune et la mésofaune du sol sont responsables.
Description générale.
Les données disponibles recueillies en milieu naturel
de savane montrent une diminution globale des effectifs de la pédofaune
du sud vers le nord de l'Afrique de l'ouest (Luxton, 1981). Si dans le cas des
milieux sahéliens, cette situation peut s'expliquer en raison de la
faible productivité du milieu, cela n'est pas directement
interprétable en milieu soudano-sahélien.
Si nous observons le cycle phénologique des plantes
(Fournier, 1991), nous constatons que pour les herbacées, la saison des
pluies est juste assez longue pour leur permettre d'effectuer un cycle. Pour
les plantes ligneuses, mis à part Faidherbia albida,
précédemment cité, les résidus foliaires ne se
déposent qu'un mois après la fin de la saison des pluies. Ainsi,
contrairement à ce qui se passe dans des écosystèmes
tempérés ou tropicaux humides, la litière qui se
dépose sur le sol en savane n'est pas ou peu composée de tissus
végétaux frais. Seules les graines de plantes herbacées et
les racines sont disponibles durant la saison des pluies. La qualité
nutritionnelle (polysaccharides et protéines) de cette litière
est plus faible (cf plus haut). En raison des conditions d'humidité qui
règnent à la surface des sols, l'activité animale ne peut
avoir lieu avant l'année suivante. Durant cette période, les
fragments végétaux seront ainsi exposés à une
dessiccation très importante associée à
une exposition aux rayonnements solaires et à de fortes
températures durant environ 6 mois. A ce phénomène
viennent s'ajouter de brefs épisodes d'humidité qui se produiront
jusqu'à l'arrivée définitive des pluies. Cette longue
période d'exposition à des facteurs abiotiques permet une
dégradation physique de la matière végétale
(Anderson, 1973). Dès les premières pluies, une succession
d'organismes va avoir lieu dans laquelle les bactéries dominent durant
les sept premiers jours. Puis apparaissent les moisissures et enfin la faune
des sols (Meyer et Maldague cit. dans Bachelier, 1978). Ainsi, non seulement la
faune ne bénéficie pas du substrat nutritif le plus riche, mais
en plus une partie variable de ce substrat aura été
minéralisée avant sa période d'activité.
La mise en culture d'un sol renforce, comme nous l'avons vu,
l'effet du climat réduisant d'autant les périodes
d'activité faunique et favorisant celles des bactéries. On
constate d'ailleurs une diminution rapide des effectifs et de la
diversité des populations animales qui habitent ces sols (Dangerfield,
1989; Lavelle et Pashanasi, 1989). Les animaux du sol exercent trois actions
principales: une action physique (influence sur la structure et le
régime hydrique), une action biochimique (stockage et distribution de
nutriments) et une action régulatrice (synthèse et redistribution
de la matière organique).
Action physique.
Cette action se divise en trois types précis qui
dépendent des espèces impliquées: - Amélioration de
la porosité des sols.
Les termites, les fourmis, les millipèdes, les larves
d'insectes sont entre autres des agents de la modification de la
porosité des sols. Les terriers qui sont creusés par ces
organismes améliorent très nettement la vitesse d'infiltration
des eaux de pluie car ils créent des pores de dimension importante
(diamètre supérieur au mm) (Bachelier, 1978; Valentin et
Casenave, 1987).
- Transport des particules minérales.
Les termites et les fourmis sont capables de déplacer
des quantités de minéraux importantes. Afin de consolider leurs
constructions, certaines espèces de termites et de fourmis
ramènent en surface les minéraux argileux et les sables fins
(Lal, 1987). Les vers de terre participent également à la
réorganisation des sols en libérant progressivement sous forme de
turricules ou de pellets des agglomérats où sont intimement
mélangées particules minérales et fractions organiques
- Fragmentation de la matière organique.
Les animaux qui composent la faune des sols ne sont pas tous
aptes à digérer la cellulose. Après ingestion des tissus
végétaux une partie importante sera restituée au milieu.
Les bactéries et les champignons disposent ainsi de ressources
nutritives accessibles (Luxton, 1982).
Action biochimique.
La sécrétion de mucus par les vers de terre, le
passage des aliments dans les tubes digestifs des animaux, libèrent dans
le milieu des composés organiques particuliers. Ces composés vont
orienter le métabolisme des bactéries et champignons (Cooke et
Rayner, 1981).
Les animaux morts, en fonction de leur composition
protéinique, peuvent orienter les cycles de la dégradation de la
matière organique soit vers la minéralisation soit vers
l'humification. Le cycle est orienté vers l'humification si la
composition protéinique des cadavres présente une proportion
d'acides aminés qui inclut du soufre (Bachelier, 1972).
Action régulatrice.
Par la prédation et la consommation de bactéries
et de champignons, ainsi que par le stockage de carbone et de protéines
sous forme de biomasse, la faune du sol exerce une action régulatrice
sur les activités de minéralisation des microorganismes
décomposeurs (Kilbertus et al.1980). Ils contribuent également,
comme le font par exemple les fourmis fourragères, à la
dissémination des graines dans le sol.
La création de niches écologiques
particulières dans les terriers et les termitières permet de
stabiliser les conditions physico-chimiques de l'activité
bactérienne et fongique (Arshad et al, 1982). Cet ensemble de faits nous
conduit à penser que la disparition de la faune des sols est le premier
paramètre touché par la mise en culture. Cette forte
sensibilité est intéressante à utiliser pour l'analyse de
l'impact sur la fertilité de l'irrigation par des eaux usées.
Nous avons vu que les facteurs naturels de la fertilité
des sols dans la zone soudano-sahélienne ne peuvent pas
réellement être dissociés. Leurs interactions modifient
dans des proportions importantes la fertilité des sols. Deux
problèmes majeurs sont à retenir, le problème de
l'alimentation hydrique des plantes et le problème du fonctionnement des
cycles biogéochimiques. Concernant les cycles biogéochimiques, il
ne semble pas que dans un écosystème tropical sec, une
synchronisation entre la libération des éléments
minéraux dans le milieu par la minéralisation des matières
organiques et la croissance des plantes soit observée (Myers et al,
1993). La satisfaction des besoins en eau semble être le besoin principal
à satisfaire. La mise en culture a comme nous l'avons
présenté un effet important sur la porosité du sol, ce qui
nécessite des amendements et des travaux culturaux particuliers.
Or, avec l'homme, c'est un paramètre économique
qui va intervenir dans son comportement vis-à-vis de la gestion de la
fertilité. Le paysan prend en considération le risque
agroclimatique (Forest et al, 1991) avant d'investir dans une technique
nouvelle.
A cela, s'ajoutent des problèmes d'ordre sanitaire
(Tiffen, 1993) et social selon l'aspect foncier, qui limitent également
les possibilités d'innovation. Suivant les types de cultures, leur
localisation topographique et leur environnement (urbain ou campagnard)
différents types de gestion de la fertilité seront
pratiqués.
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