B - Les modalités de computation des
délais du recours gracieux préalable acheminé par voie
postale
Jusqu'à une date récente, l'acheminement des
courriers postaux au Cameroun était un véritable calvaire. Il
n'était pas évident que ces courriers arrivent à bon port
et en temps normal. La poste était en crise. Les
190 Voir MOMO (B), «Problème des délais
dans le contentieux administratif camerounais », Article
précité, p.137.
191Jugement n°37/04-05/ CS-CA du 29
décembre 2004, ACHENGUI c/Communauté urbaine de
Yaoundé.
dysfonctionnements de la poste avaient suscité
plusieurs interrogations.192 Ces dysfonctionnements étaient
susceptibles de déteindre sur les actes de procédure
expédiés par voie postale.
L'affaire YOUMBI André c/ République
Fédérale du Cameroun, objet de l'arrêt de
l'Assemblée Plénière de la Cour Suprême du Cameroun
du 8 novembre 1973, parait révélatrice des conséquences du
mauvais fonctionnement de la poste sur les actes de
procédure193. Les faits de cet arrêt sont les suivants
:
À la faveur d'un concours lancé le 16 septembre
1964 et dont la date de clôture était fixée au 30 septembre
de la même année, le requérant expédia son dossier
par voie postale. La suite devint problématique, car son dossier
était parvenu après la date de clôture. Le juge de la
Chambre Administrative était confronté à la
difficulté relative à la date qu'il fallait considérer
dans la détermination des délais : était- ce celle de la
remise du dossier à la poste ou celle de sa réception par le
destinataire ? À cette question, la juridiction administrative
privilégia l'Administration en affirmant qu'un pli remis à la
poste ne devient la propriété du destinataire qu'à la date
de réception du pli par ce dernier, et aucunement à celle de son
expédition.
Pour M. MOMO Bernard, « Cette solution, sans doute
d'origine privatiste (précisément du droit commercial),
paraissait trop sévère » 194. C'est
sûrement pour remédier à cette situation que
l'Assemblée Plénière de la Cour Suprême dans
l'affaire SEBA NDONGO Jean c/ État du Cameroun (DGSN), objet de
l'arrêt n°1/A/CS-AP du 27 novembre 1986, va remettre en cause le
raisonnement tenu 13 ans plutôt. En effet, la Cour déclare :
« Considérant qu'il résulte des
pièces de la procédure que la requête introductive
d'instance de l'intéressé a été
expédié le 29 mai 1982 comme en fait
192 Voir à ce sujet KEUTCHA TCHAPNGA (C), «
Les aspects juridiques de la réforme de l'activité postale au
Cameroun », Revue EJDA, n°45, avril -mai -juin 2000, pp.43-60,
plus précisément pp.45- 46.Voir aussi jugement n°13/CS-CA du
23 novembre 1989, ENYENGUE DIPOKO Bernard c/ État du Cameroun. Dans
laquelle le juge a estimé qu'un fonctionnement défectueux des
services postaux constitue une faute engageant la responsabilité de
l'État.
193Voir recueil MBOUYOM précité,
pp.48-51. Voir aussi MOMO (B), Article précité, pp.139 et ss. 194
MOMO (B), Article précité, p.139.
foi le cachet de la poste, donc dans le délai
légal ; mais qu'elle n'a été enregistrée que le 14
octobre 1983 sous le n°36 de la Chambre Administrative de la Cour de
céans » (...)
« Qu'ainsi SEBA NDONGO Jean ne saurait être
tenu pour responsable du retard de sa requête à parvenir au greffe
de ladite Chambre ».
Cette solution est d'autant plus juste qu'on ne saurait
reprocher au justiciable de bonne foi le mauvais fonctionnement de
l'Administration195. Solution valable aussi bien pour le recours
gracieux que pour le recours contentieux196, elle rejoint la
position du Conseil d' État français qui prend en
considération la date à laquelle la demande a été
adressée à l'Administration.197
De nos jours, la difficulté relative au retard
causé par l'acheminement des courriers postaux apparaîtrait comme
une sorte de faux problème. Cela est dû inévitablement
à l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la
communication dont la place primordiale de l'internet n'est plus à
démontrer. Il ne fait plus de doute aujourd'hui que l'e-mail ou le
courrier électronique a considérablement supplanté la
lettre postale198 et on peut même se demander s'il ne sonne
pas le glas de ce dernier. Tout compte fait, il reste que l'e-mail est rapide,
fiable et se trouve progressivement entrain de gagner le coeur des
camerounais.
Nous ne sommes pas sans savoir que presque toutes les
Administrations camerounaises y compris les établissements publics ainsi
que les collectivités territoriales décentralisées ont des
sites internet et des boites électroniques grâce auxquelles elles
pourront désormais recevoir des correspondances électroniques. La
loi de 2006 précitée n'interdit pas d'adresser un RGP par e-mail.
Un raisonnement juridique consiste à dire que ce qui n'est pas
expressément interdit par la loi est implicitement admis. Toutefois, la
juridiction administrative n'a pas
195 Voir les observations de KAMTO (M) à propos de cet
arrêt, Juridis info n°2, avril-Mai -Juin 1990, pp.51-52.
196 Sur cette question, voir MOMO (B), Article
précité, pp.139 et ss.
197 CE, DELORT, 20 février 1970, Rec., Lebon, p.30,
cité par MOMO (B), Article précité, p.140.
198KEUTCHA TCHAPNGA (C), « Les aspects juridiques de la
réforme de l'activité postale au Cameroun », Article
précité, p. 59.
encore tranché un litige relatif au RGP formé par
e-mail, ceci pour dire que cette question relève encore de la
prospective.
La juridiction administrative apprécie désormais
les délais du RGP envoyé par voie postale en privilégiant
les intérêts des administrés. La même démarche
lui serait exigée dans la conception des cas de prorogation des
délais du RGP.
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