10-3 Une forte segmentation professionnelle
Le corps des CIP a été fondé sur
l'idée implicite qu'un seul métier permet de répondre
à l'ensemble des missions réglementaires des services
pénitentiaires d'insertion et de probation. Deux rapports
préconisent une redéfinition des missions des CIP : celui de la
Cour des Comptes « Garde et réinsertion, la gestion des prisons
», rendu public en janvier 2006 et celui de l'Inspection
Générale des Services Judiciaires, du mois d'aoft 2006 : «
Le fonctionnement des Services Pénitentiaires d'Insertion et de
Probation ».
Les CIP « doivent être tout à la fois un
agent de probation chargé du contrôle du respect des obligations,
un assistant social en charge de la réinsertion, un psychologue capable
de faire réfléchir un délinquant sur les raisons de son
passage à l'acte, un criminologue capable d'évaluer les risques
de récidive de celui-ci, un éducateur à même de lui
inculquer les valeurs
qui lui font défaut et un animateur chargé
de la gestion d'un réseau de partenaires » [IGS, 2006,
p53].
En 2004/2005, les orientations de l'Administration Centrale
inquiétaient les « travailleurs sociaux de l'Administration
Pénitentiaire », selon la terminologie du rapport : «
L'insécurité tient encore à la confrontation à
l'énigmatique projet institutionnel : l'incohérence perçue
des réformes, des décisions - exemple : favoriser l'absorption du
corps des assistantes sociales dans celui ces CIP et, parallèlement,
recruter un nombre important d'assistantes sociales - , modifier le profil des
reçus aux concours - essentiellement des « juristes » - sans
que ce changement soit présenté comme le fruit d'une
décision et soit expliqué par une redéfinition des
missions » [LHUILIER, 2006, p 77].
Il existe, de fait, une tension et un clivage net au sein des
CIP entre ceux qui considèrent que la mesure de justice n'est qu'un
moyen pour entrer en relation avec la personne suivie et l'accompagner sur les
voies d'un changement personnel et social, et ceux qui considèrent que
l'exécution de la mesure de justice est première, qu'elle fait
sens en soi, qu'elle oblige d'abord au travail sur le passage à l'acte
et, accessoirement ou de façon complémentaire, au
règlement des questions sociales.
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans
d'ancienneté : « J'ai envie de dire qu'il y a
plusieurs lignes de fractures. autrefois, il y avait une ligne de fracture
entre AS et éduc pénitentiaire, mais je pense plus du tout que ce
soit d'actualité ; depuis le mouvement social, il y a une grosse ligne
de fracture entre ceux qui se déclarent travailleurs sociaux et les
autres, qui souhaitent en sortir ».
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d'ancienneté
: « Et puis cet amalgame, assistante sociale, CIP,
travailleur social, ces termes qui ne donnent véritablement pas de
repères ; pour moi, c'est un terme trop généraliste :
l'éducateur de rue, c'est un travailleur social, enfin, je veux dire que
chacun a sa spécificité, moi, j'ai envie de montrer cette
spécificité justement et travailleur social, c'est pas une
spécificité, je suis désolé, pas dans ce type de
métier ».
Cette opposition s'exprime au sein des CPIP eux-mêmes,
et entre CPIP et Assistantes de Service Social au sein des services. Il existe
en effet une stratégie de distinction d'avec les CPIP qui s'opère
lors de certains contacts professionnels chez les titulaires d'un diplôme
d'État :
F, 46 ans, Assistante de service social , 22 ans
d'ancienneté : « Moi, je sais pertinemment, par
expérience, ça m'est arrivée de dire au
téléphone que j'étais déléguée
à la probation face à une AS et de sentir qu'elle se refermait,
et de rajouter, d'expliquer mon rôle en le présentant un peu comme
une avocate auprès des personnes placées sous main de justice et
puis je disais qu'il faut quand même que je vous dise que je suis AS de
formation et que ce que vous pouvez me dire, je le dirai pas forcément
au magistrat ; mais je le tournerai peut être d'une autre façon,
ou on se met d'accord sur la manière dont je le dis au magistrat parce
que ça peut être intéressant et important pour la personne
que vous connaissez sous un autre angle et que moi je connais malheureusement
sous cet angle là~ en expliquant tout ça en tant qu'AS à
une autre AS, il y avait un échange, parce que les AS sont très
jalouses de leur secret professionnel, de leurs prérogatives ; il faut
savoir que j'ai été formée en tant qu'AS, il y avait un
code de déontologie des AS, et les AS formées comme moi
étaient très jalouses, et vigilantes de ce secret professionnel,
de respecter ça ».
Ces différents groupes constituent « des
coalitions se développant et prospérant en s'opposant à
d'autres Nous désignerons segments pour désigner ces groupements
qui émergent à l'intérieur des professions »
[BUCHER, STRAUSS, 1992, p68].
Une nouvelle fois, l'existence de ces segments ne contribue
pas à l'unité du groupe professionnel : «La segmentation
soulignée repose essentiellement sur le rappel de l'existence de deux
corps, les CIP et les assistants de service social, développant des
stratégies de différenciation, de deux lieux d'exercice, le
milieu ouvert et le milieu fermé, de deux cadres institutionnels, la
Justice et l'administration pénitentiaire. D'où une
hétérogénéité, voire des contradictions
entre les demandes et les stratégies des différents partenaires
de l'activité des travailleurs sociaux» [LHUILLIER, 2006, p
90]. Il est ainsi possible d'écrire que cette segmentation s'est
accentuée et cristallisée depuis 2004/2005.
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