22. L'analyse des représentations dans le cas des
systèmes aquacoles
Accéder aux représentations n'est pas
aisé car il s'agit de comprendre le « modèle d'action »
des acteurs et non le « modèle de justification » qu'ils ont
tendance à énoncer de premier abord dans les entretiens. Pour
l'analyse des systèmes aquacoles, des enquêtes spécifiques
ont donc été mises en oeuvre en vue de répondre à
deux objectifs :
§ Une visée descriptive dans le but de rendre
compte des représentations que les acteurs se font du
développement durable et de la façon dont celui-ci peut
être traduit dans les systèmes de production,
Ce cadre d'approche permet d'étudier
précisément les facteurs déterminants du processus
d'appropriation du développement durable au travers de cinq
entrées complémentaires :
1.- Les spécificité de l'objet : ce n'est pas la
nature de l'objet qui en fait un objet de représentation mais
plutôt son statut social. Ainsi dans notre cas l'aquaculture et le
développement durable sont des objets de représentation car ils
font l'objet de controverses, de luttes de pouvoir et d'un travail de
redéfinition...
2.- Les caractéristiques du groupe : il faut en
étudier la composition, le mode de fonctionnement collectif et de
communication car les représentations sociales sont des connaissances
produites collectivement et contextualisées.
3.- L'absence d'orthodoxie : ce n'est pas un individu mais le
collectif qui fabrique la représentation par un processus complexe qui
est constitué des controverses, de conflits...
4.- Les enjeux : quels sont les enjeux identitaire et de
cohésion associés à l'aquaculture et au
développement durable de ce secteur et des territoires où il est
implanté ?
5.- La dynamique sociale (interne et externe) : quelles sont
les interactions avec les autres groupes ? Et comment sont structurés
les réseaux sociaux ?
23. Les contraintes à l'appropriation du
développement durable
Les résultats des enquêtes témoignent
d'une diversité de point de vue des aquaculteurs : ils n'ont pas de
représentation commune de ce qu'est leur métier.
Cette situation peut résulter d'un individualisme
culturel et historique et/ou du caractère géographiquement
dispersé de l'activité, et/ou encore du manque de structuration
professionnelle... Ces différences de représentation s'accentuent
lorsqu'on compare les réponses des professionnels avec celles des autres
acteurs.
Cet écart est classique et recouvre la distinction
faite par Carroll entre les parties prenantes qualifiées de primaires ou
contractuelles (acteurs en relation directe et contractuellement définie
dans une conception partenariale explicite), et celles dites secondaires ou
diffuses qui associent l'ensemble des acteurs constituant l'environnement au
sens large de l'entreprise avec un partenariat implicite, voire dans certains
cas conflictuel. Cette question des liens plus ou moins « lâches
» entre acteurs recouvre la problématique de l'encastrement et du
partage des représentations et des informations dans un contexte
où l'élargissement des parties prenantes conduit à une
multiplication des valeurs et des représentations en présence.
Les différences de représentation entre acteurs
introduisent des divergences dans les dispositifs (forums, arènes,
institutions...) de coordination visant à définir les
modalités de l'institutionnalisation décentralisée du
développement durable. Du fait du rôle des représentations
dans les processus de décision, leur convergence ou articulation
constitue un atout pour la coordination des acteurs. Dans le cas de
l'aquaculture, les acteurs se situent dans des arènes plutôt
conflictuelles (Méditerranée, Bretagne) ou plutôt de
cohésion (Indonésie, Cameroun, Philippines).
Ces distinctions recoupent une partition entre pays en voie de
développement et pays développés qui correspond aussi
à des degrés différents d'importance des systèmes
de régulation formels et des conflits entre usages au sein des
territoires aquacoles. Dans le premier cas les visions des acteurs s'opposent
entre une activité polluante et une activité contribuant au
maintien de la qualité des paysages ou jouant un rôle de
sentinelle. Bien entendu comme on l'a souligné ces perceptions sont
fonctions du statut des parties prenantes.
Les premiers voient l'activité comme une
activité polluante provoquant des conflits d'usage (ressources et
espaces) et les autres la voient comme participant à la qualité
des paysages et de l'eau (sentinelle). Cependant, il existe une
représentation commune partagée quant au fait que l'aquaculture a
un rôle social fort en termes de sécurisation alimentaire et de
cohésion sociale.
Au total l'analyse de ces résultats témoigne de
l'absence de vision commune et/ou d'un manque de structuration professionnelle
des producteurs alors que ces deux facteurs, par ailleurs fortement
interactifs, constituent d'après notre hypothèse des conditions
déterminantes pour l'appropriation du développement durable.
Le manque de structuration du secteur (organisations
administratives et professionnelles, syndicats, ...) constitue une contrainte
en termes de transparence du secteur c'est à dire que l'information est
souvent incomplète et peu partagée.
D'un point de vue dynamique la participation des acteurs
à ces arènes peut conduire à faire évoluer leurs
représentations individuelles, lorsqu'elles ne sont pas fortement
conflictuelles et créer un processus progressif de rapprochement de
proche en proche favorable à la convergence des représentations
individuelles par rapport à une représentation médiane
collectivement construite. La formation et l'apport d'information peuvent aussi
contribuer aux processus d'apprentissage collectif et permettre
d'établir un diagnostic partagé sur un problème
d'intérêt global.
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