PARTIE PREMIERE :
EMERGENCE, STRATEGIES ET CONTRAINTES DU
DEVELOPPEMENT LOCAL
PARTIE PREMIERE:
EMERGENCE, STRATEGIES ET CONTRAINTES DU DEVELOPPEMENT
LOCAL
Le développement local est en dépit de son
acceptation comme réalité désormais incontestable reste et
demeure un produit de l'histoire des contradictions sociopolitiques,
économiques voire religieuses du monde occidental. Sa (re)production se
comprend à partir de la fabrication de la notion du développement
même, tantôt vue elle-même comme un fait naturel
inévitable et irréversible, et tantôt comme la
conséquence de la domination, de l'exploitation et de la
dépendance de certaines catégories de pays par une autre
catégorie donnée. Fort de cela, le chapitre I de cette partie du
travail expose le cheminement et les ruptures qu'a subi la notion du
`'développement» avant de conduire à l'avènement de
la philosophie localiste du développement.
Afin d'expliquer la notion développement local de
manière précise, le chapitre II reprend les principales
stratégies de celle-ci. Que le développement local soit
utilisé comme instrument de résistance pour se
réapproprier et reconstruire des territoires, ou pour résister
à l'acculturation et à la domination technologique et politique,
ou comme outil issu du néolibéralisme pour mieux exploiter les
avantages comparatifs, ou encore comme socle pour la territorialisation
soutenable des actions publiques, la notion du développement local ne se
défait jamais de ses spécificités liées à
l'idée de proximité, de participation, et de partage de
responsabilités et de compétences. D'où le lien
inextricable entre le développement local et la décentralisation.
Ce lien constitutif et instrumental est spécifiquement traité
dans le chapitre III où la notion de décentralisation est
placée dans la problématique globale de la gouvernance
territorialle pour le développement. Ces trois (3) chapitres, pour le
moins, servent essentiellement à dégager les invariants des
notions de décentralisation et de développement local, et leurs
liens organiques.
CHAPITRE I: ESSOR DU DÉVELOPPEMENT AU
DEVELOPPEMENT LOCAL
Pour définir le développement, on fait
référence généralement à la
définition devenue classique de François Perroux : `'La
combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rendent
apte à faire croitre cumulativement et durablement son produit
réel et global»8. Mais le développement
comme notion officielle tire son origine historique en 1949
précisément le 20 janvier au point IV du discours du
président américain Harry S. Truman, dans le cadre du plan
Marshall :
`'...Quatrièmement, il nous faut lancer un nouveau
programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance
scientifique et notre progrès industriel au service de
l'amélioration et de la croissance des régions
sous-développées. Plus de la moitié des gens de ce monde
vivent dans des conditions voisines de la misère. Leur nourriture est
insatisfaisante. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est
primitive et stationnaire»9...
C'était la première fois que l'adjectif
sous-développé était utilisé pour signifier
`'économiquement primitive et stationnaire». D'où sera
construit le substantif sousdéveloppement en introduisant un rapport
inédit entre sous-développement et développement dans un
paradigme qui n'avait jamais existé auparavant. Depuis fut
inaugurée une nouvelle vision du monde, l'ère du
développement. Wolfgang Sachs a constaté que
l'épithète régions sous-développées
du président Truman devenait :
8 In Deubel, P., Analyse économique et
historique des sociétés contemporaines, 2008, p. 20
9Rist G., Le développement : histoire d'une
croyance occidentale. Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences
politiques, 1996. 462 p.
`'Un concept charnière depuis lors jamais remis en
question qui engloutit l'infinie diversité des modes de vie de
l'hémisphère sud dans une seule et unique catégorie :
sous-développée''10.
Sachs poursuit :
`'Du même coup et pour la première fois, sur
les scènes politiques importantes, surgissait une nouvelle conception du
monde selon laquelle tous les peuples de la terre doivent suivre la même
voie et aspirer à un but unique : le développement.
`'11
La notion du développement depuis son officialisation a
soulevé toute une kyrielle d'interrogations et de critiques par rapport
à ses origines, ses fondements et ses perspectives.
I.1.- PRINCIPAUX PARADIGMES DU DEVELOPPEMENT
C'est ainsi que la notion du développement sera t-elle
l'objet d'un ensemble de théories et approches qui se succèdent
et s'entrecroisent soit dans un paradigme évolutionniste soit dans un
paradigme marxiste ou dans un paradigme historico-systémique.
A. PROCESSUS NATUREL ET CULTUREL
Dés son origine officielle en 1949, la notion du
développement- étant théoriquement associé au
naturalisme- est comprise comme un processus naturel de changements
ininterrompus, cumulatifs, irréversibles (retour impossible au stade
antérieur) et dirigés vers une finalité précise.
10 SACHS, Wolfgang (1996), « Le développement : une
idéologie en ruine », in W. Sachs et E. Gustavo, Des ruines du
développement, Montréal, Écosociété, P.
50
11 Idem
Cette conception présuppose que le sous-
développement était, il y a des siècles, la condition
générale de l`humanité et qu'aucune nation ne puisse
éviter le développement. Les évolutionnistes
présentent le développement comme le produit d'un ensemble de
transformations à la fois naturelles et culturelles ou d'étapes
de croissance décrites 12 en 5 étapes :
- La société traditionnelle non
industrielle : ce serait l'étape initiale générale de
l'humanité où la terre représente la source de richesses
la plus importante. A proprement parler, la société
traditionnelle n'est pas strictement statique. Elle a pour ainsi dire une
science et connaît certaines inventions, mais non pas un courant
suffisamment élaboré pour provoquer des innovations
technologiques. C'est ainsi l'histoire de cette société est-elle
cyclique. La société traditionnelle peut se développer
jusqu'à un certain niveau, mais toujours elle se heurte à un
plafond technologique qui la fait retomber dans des crises qu'elle n'a pas la
capacité de résoudre.
- Les conditions préalables au changement : ce
serait l'étape de la germination et de la diffusion des valeurs
nouvelles favorables au changement de mentalité et de comportement pour
le progrès. L'éducation et la formation se développeraient
massivement et joueraient un rôle primordial dans les facteurs de
production. La société développe ses infrastructures et
cadres juridiques et institutionnels à un niveau plus fonctionnel. C'est
l'étape de l'apparition d'une classe d'entrepreneurs sensibles à
l'introduction de la technologie dans la production.
- Le décollage ou le take-off : ce serait
l'étape où sont vaincus les anciens blocages et les anciennes
résistances pour ouvrir la voie à une croissance continue. A
cette étape, est constatée l'implantation des premières
usines à effets industrialisants. La société connaît
une transformation de ses structures politiques et sociales en faveur de sa
12 Rostow, W.W.: Les étapes de la croissance
économique. Ed. du Seuil , Paris, 1970.
croissance économique auto-entretenue où
l'État se fait très présent pour jouer son rôle
moteur d'incitateur au développement.
- La marche vers la maturité : la
société connaîtrait une expansion de la technologie moderne
dans toutes ses activités économiques, ce qui entraîne une
augmentation considérable du niveau de production (diversification des
biens dans tous les secteurs, développement de spécialisations,
etc.).
- L'âge de la consommation de masse : cette
étape corresponderait au moment où tous les moyens techniques
(coïncidant avec un revenu élevé) permettent de produire des
biens de consommations durables (automobiles en série, des logements,
des supermarchés, etc.). Tous les besoins essentiels de la population
sont censés couverts. La classe moyenne ayant accès à la
consommation de biens durables connaît un niveau de vie
élevé.
La différence essentielle entre les pays
développés et les pays sous-développés serait
d'ordre culturel. Le sous-développement résulterait de
l'incapacité de certains pays à appliquer à temps des
politiques institutionnelles adéquates, de la résistance active
et de l'inadaptation des systèmes de valeurs traditionnelles aux
systèmes de valeurs modernes. Seraient donc sousdéveloppés
les pays qui favorisent la tradition plutôt que l'innovation, les aspects
communautaires ou régionalistes plutôt que les perspectives de
conciliation nationale ou globale.
Comme remède au sous-développement, les
évolutionnistes promeuvent la modernisation qui serait la
stratégie parfaite pour accélérer le développement
dans les pays en retard. Comme support, ces derniers devraient
bénéficier de l'assistance technique, de la technologie
industrielle des pays développés pour atteindre le
démarrage et la croissance économique.
Cette approche étapiste du développement est
vivement critiquée par les marxistes du fait que :
(i) La théorie présenterait une conception
unilinéaire du développement et présuppose que tout pays
aspirant au progrès doit nécessairement passer par une seule et
unique voie.
(ii) La théorie renfermerait une vision trop simpliste
de l'évolution de l'humanité. Les limites entre les étapes
de la croissance seraient peu précises. Des étapes comporteraient
des caractéristiques pour ainsi dire identiques. En plus aucune
société des pays dits sous-développés ne
représenterait les caractéristiques de la société
traditionnelle qui constitue l'état initial de la théorie
évolutionniste.
(iii) La théorie évolutionniste nierait les
forces complexes. Car une société constituerait un ensemble
complexe qui mériterait d'être pris comme un tout, en tenant
compte de la dynamique globale des acteurs et des facteurs.
Les critiques de la théorie évolutionniste, se
sont développées et approfondies particulièrement dans le
cadre du paradigme marxiste du développement.
|