VIII.3 Déficit de l'autonomisation des citoyens
et des citoyennes
Dans tout processus de développement, il faut
considérer la capacité des citoyen (nes), surtout des plus
vulnérables, à influencer les décisions qui ont une
incidence sur leurs vies, et à maitriser les ressources de leur
communauté. Un des enjeux majeurs du développement, est de
permettre les citoyen (nes) de mieux s'impliquer dans le processus. Pour cela,
ils ont besoin d'accroitre continuellement leurs avoirs et capacités
afin d'améliorer leurs rapports avec l'État et les autres
institutions.
Il a été démontré que là
où les citoyen (nes) n'ont pas les capacités à prendre des
décisions sur leurs vies et à gérer leurs ressources, se
sont développées progressivement, entre les citoyen (nes) et
l'État, et entre les groupes de citoyen (nes) eux-mêmes, des
relations institutionnelles inadéquates qui atrophient davantage les
velléités et capacités des gens à se retirer du
sous-développement. Dans le combat contre le sous-développement,
il est donc nécessaire que les gens sortent de l'impuissance en
développant des capacités leur rendant aptes à
négocier, participer, influencer, maitriser et responsabiliser les
institutions en présence. Le développement de ces
capacités exige une série de conditions minimales : Accès
à l'information, participation démarginalisée,
mécanismes de responsabilisation, etc.
|
Manque d'accès à l'information
|
Le flux d'information entre les citoyen (nes) de la Commune et
les autorités municipales est peu efficace. En témoignent les
résultats de l'enquête :
Les `'avoirs»constituent des biens physiques ou
financiers (épargnes, voitures, la terre, maisons, moyens de
productions, etc.). Les `'capacités»sont les facultés ou les
conditions (santé, éducation, intelligence financière,
etc.) permettant aux citoyen (nes) d'exploiter leurs avoirs de façon
optimale.
Tableau VI: Extrait de questionnaire I
Questions adressées à 150 personnes (96
hommes et 54 femmes)
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Taux de réponses en pourcentage (%)
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Oui
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Non
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Avez-vous déjà essayé sur un sujet ou un
autre de vous informer auprès de la Mairie?
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25%
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75%
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Etes-vous informé des grands projets communaux pour les 2
ou 5 ans à venir ?
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5%
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95%
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Avez-vous une idée du montant et de la planification du
budget municipal?
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0%
|
100%
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Savez-vous la durée du mandat des Maires ?
|
20%
|
80%
|
Source : Auteur
Les citoyens et citoyennes n'ont presque aucun contact avec la
Mairie. La minorité soit 25% de ceux qui entretiennent des relations
avec l'Institution Municipale sont des gens qui y vont afin de régler
quelques trucs personnels comme régler leurs documents de titre
propriétaire ou un permis de construire qu'ils ont besoin pour aller
voir un consul ou aller prêter de l'argent d'un organisme de
crédit. Les 25% concernés ne sont point motivés par la
participation ni leur responsabilisation dans la vie de la Commune. Les 75%
n'ayant aucun contact avec la Mairie sont en grande partie des gens qui ne
travaillent ou n'entreprennent pas d'activités nécessitant des
transactions avec les autorités locales. L'institution municipale comme
institution moteur du développement communal n'est consultée que
par nécessité par ses citoyens et citoyennes.
Contrairement à l'esprit et la lettre de la
Constitution de 1987 et de la Charte de la
décentralisation · en Haïti, la majorité
(soit 95% dans le cadre de notre étude) des cruciens et cruciennes
ignorent les grands projets de leur Commune. Ils se trouvent donc
marginalisés dans
· Formé du parquet des cinq décrets de
2006 dont le décret cadre sur la décentralisation.
la prise des décisions qui auront de grandes incidences
sur leur avenir. Ces derniers ne sont pas non plus trop motivés à
s'informer. Ils ne verraient aucune utilité à prendre une partie
active dans l'implémentation des projets de développement, car
ils ne pensent pas pouvoir influencer quoique ce soit en termes de
décisions. Les 5 % des informés des grands projets communaux sont
en majorité des gens qui sont directement impliqués dans la
gestion municipale ·, d'autres travaillent pour un service
déconcentré impliqué dans des projets de la Mairie. C'est
encore plus inquiétant quand aucune (0%) de nos interviewés a une
idée de la planification et du montant du budget communal. Et cela se
comprend car l'idée de budget communal n'était pas une
réalité deux (2) avant dans la vie de la mairie. Ce n'est que la
troisième budgétaire depuis que le MICTDN et ses partenaires
appuient et obligent les Mairies à se doter d'un budget allant de 1
octobre au 30 septembre de chaque année conformément aux lois des
finances du pays. La Commune de Croix-des -Bouquets est le lieu de non
communication et de la non participation par excellence, en témoignent
les 80% des enquêtés qui affirment n'être pas informé
même de la durée du mandat des maires. Ils sont allés
élire des autorités et c'est fini. Ceux-ci évolueraient
tranquillement sans obligation de résultats ni de compte à rendre
à personne.
Même les données tirées des observations
abordent dans le même sens que les citoyen (nes) ne sont pas suffisamment
outillé(e)s pour exploiter les opportunités qui se
présentent. Ils ne sont donc pas en situation pour exiger de
l'État les services auxquels ils ont droit. Ils ont montré une
infime capacité à négocier et à tenir les
institutions de la Commune responsables de leurs actions :
...Qui sommes nous pour leur demander de compte ? Ils sont
tous des autorités. Ils font comme bon leur semble. ...Si nous posons
des questions, on pensera que nous voulons faire de la politique.»
· Ces gens ou leurs très proches font des petits
jobs avec la Mairie.
Tels sont les propos recueillis d'une citoyenne qui refusait
de participer à un de nos focus group. Elle a été donc
interviewée hors du groupe en compagnie de son époux Josias
encore plus sceptique.
La diffusion de l'information dans cette Commune est tout un
pari. Il n'y a ni station de radio ni de télévision communautaire
qui informerait sur la vie spécifique de la Commune. La population est
bombardée par un ensemble d'informations (venant des stations de radio
ou de télévisions à caractère national) qui ne
traitent que des intérêts nationaux. Ainsi les cruciens et
cruciennes sont peu informés sur ce qui les intéresserait
directement. Sous l'effet de ces informations traitant des
intérêts macros, la population crucienne se voit même
détournée de ses intérêts directs. Elle est plus
informée des enjeux nationaux que de ceux qui ont une incidence
directe et immédiate sur sa vie. La Commune n'a pas une culture de
discussion et de débats. Les informations restent concentrées et
monopolisées. D'ailleurs, le fait de n'être pas curieux de
s'informer passe une qualité et une marque de sagesse dans la culture
des cruciens.
Aucun effort n'a été observé de la part
des institutions oeuvrant de la Commune en vue de mettre en place des
mécanismes et des moyens pour informer les gens. Elles semblent ignorer
les bénéfices des rétroactions sociales dans le processus
du développement. La non communication et la non participation
participent des obstacles majeurs du processus de développement de la
Commune.
|
Faible degré de responsabiisation des citoyen
et des citoyennes
|
A l'instar du niveau du faible niveau de communication et de
participation, le niveau de responsabilisation s'est
révélé extrêmement faible, à partir de
l'enquête effectué :
Tableau VII: Extrait de questionnaire II
Questions adressées à 150 personnes (96
hommes et 54 femmes)
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Taux de réponses en pourcentage (%)
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Oui
|
Non
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Etes-vous prêt à collaborer (avec les
autorités locales) pour l'amélioration de la gestion de la chose
publique de la Commune?
|
20%
|
80%
|
Sentez- vous responsable de l'état des choses (mauvaises
conditions de vie, mauvaise gestion, extrême pauvreté etc.) de la
Commune ?
|
2%
|
98%
|
Estimez-vous que les autorités locales respectent vos
droits (santé, éducation, sécurité, loisir, etc.)
?
|
5%
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95%
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Estimez-vous que vous remplissiez bien vos devoirs de citoyen?
|
20%
|
80%
|
Source : Auteur
La plus grande partie des enquêtés soit 80%
d'entre eux se disent n'être pas prêts à collaborer (avec
les autorités locales) pour l'amélioration de la gestion de la
chose publique de la Commune. Ils avancent que leur volonté de
collaborer peut être interprétée comme une intention
politique visant à remplacer les autorités locales. Pour
éviter des éventuels ennuis, ils se disent prudents par rapport
aux gens impliqués dans la gouverne publique de la Commune. Cela
révèle entre autres comment le poids de culture de la politique
centraliste et machiavélique a marqué l'histoire du peuple
haïtien. Une sorte de psychose de peur, le plus souvent infondé,
habite constamment l'imaginaire des citoyens et citoyennes de
la Commune. Cette perception citoyenne du politique est souventefois
renforcé par les conflits relativement ouverts entre les instituions du
même État. Pour exemplifier, citons le cas de la
vice-délégation de l'Arrondissement de Croix-des-Bouquets qui
n'arrive pas exercer le contrôle de tutelle ou de légalité
sur l'institution municipale. Celle-ci ne reconnait à peine les
compétences octroyées de l'État central à la
vice-délégation. Ces institutions ne ratent jamais l'occasion
pour s'affronter publiquement. Des aspirants candidats à la magistrature
communale et à la députation sont trouvés morts dans des
conditions mitigées. Les batailles hégémoniques et les
incidents insolites traduiraient une dangerosité extrême à
laquelle seraient exposés ceux qui se seraient immiscé dans la
gestion de la chose publique.
Même si la plus grande partie de la population ne serait
pas volontiers pour jouer un rôle actif pour le changement communal, la
population quasi entière (soit 95% selon l'enquête) estime que les
autorités locales ne respectent pas les droits collectifs,
c'est-à-dire les droits que possède la population à la
santé, éducation, sécurité, loisir, etc. Leur
comportement semble confirmer l'hypothèse de Gerald Chéry selon
laquelle tout est exigé de l'État et rien des civils. C'est sans
surprise quand 80% des enquêtés admettent ne rien fait pour
faciliter la tache des autorités locales, en termes de la tenue d'un
comportement digne d'un citoyen ou d'une citoyenne (respecter des principes
établis, l'entraide, etc.). De part leur comportement, ils semblent
être des citoyens et des citoyennes qui rentrent en rébellion
contre les institutions locales ou du moins ils n'y croient même pas :
... quand ils ont besoin de nos votes ou de notre appui
ils se font dociles et attentifs comme des chiens bien apprivoisés,
après c'est la merde, ils font leur affaire avec leurs proches copains
on devrait incendier ces boites de mairie, de tribunal, de DGI et tout...ils
sont bon à rien...
Tels sont les propos d'un jeune homme de 30 environs qui nous
faisait rencontrer son groupe afin de préparer une rencontre
d'entretien.
Comment amorcer le développement de la Commune si les
citoyens et citoyennes ne se responsabilisent pas ? Surtout s'ils rentrent en
rébellion contre les institutions ou les autorités ? Les cruciens
et cruciennes semblent perdre (s'ils l'ont eu) toute aptitude à
s'adresser aux autorités, aux fonctionnaires, aux fournisseurs de
services publics pour que ces derniers justifient et ajustent leurs actions
dans l'intérêt collectif. Cette anémie de
responsabilisation se manifeste tant sur plan politique que social et à
la fois de manière horizontale et verticale. Personne n'est tenu
pratiquement responsable de quoi que ce soit, quand la collectivité
crucienne ne s'enlise dans un je-m'en-foutisme, elle se console dans
bondieurisme lamentable qui ne fait freiner davantage le processus de
développement local.
|
Marginalisation des citoyen et citoyennes dans la
prise des décisions
|
Dans la pratique de la politique de décentralisation
à la Commune de Croix-desBouquets, la participation citoyenne n'est pas
encouragée. Bien que les dispositions pour la participation soient
théoriquement prises au niveau des lois haïtiennes, les citoyen
(nes) sont pratiquement mis hors de la gouvernance de la vie publique
communale. Les autorités locales au niveau communal ne se
préoccupent pas de la participation. Le plus souvent, les
autorités locales passent sous silence le devoir de communiquer avec les
citoyen (ne)s. Si jamais, un groupe de citoyen (nes) revendique une certaine
participation, elles font alors appel à diverses formes de boycott.
`'Les autorités dans cette Commune ne font nullement
cas de la démocratie locale. D'ailleurs elles ne savent pas ce que
c'est, comment peuvent t-ils en faire une priorité ? Elles ont peur
de la solidarité des citoyens à Croix-des-Bouquets. Elles savent
qu'elles
Conception de certains haïtiens qui consisterait à
tout laisser sur le dos du Bon Dieu qui fera tout à leur place.
ne sont pas compétentes. Elles barrent la route
partout et tout le temps, même avec le président de la
république... `' ·
Les autorités semblent ignorer que la participation
citoyenne constitue un élément fondamental dans le cadre du
développement qu'elles promettent à la population cruccienne.
Elles devraient appliquer de manière efficace et efficiente les
dispositions participatives prévues par la loi ou mettre en place les
mécanismes qui garantissent le modèle de participation que
requiert la Constitution du pays.
`' Le maire qui est là n'incite pas les citoyens
à participer à la vie communale. Ils sont gardés en dehors
de tout. Le budget, on n'en sait pas, les personnels, on n'en sait pas, et on
ne cherche pas non plus à savoir, on veut rester en vie»
Les citoyen (ne)s de la Commune de Croix-des-Bouquets sont
pour ainsi dire marginalisé(e)s. Ils plus intéressés
à voter pour designer le président de la république ou le
sénateur dans leur département que de s'informer sur le profil de
ceux qui seront maires dans la Commune. La participation électorale pour
les postes municipaux est faible. Les maires sont élus
généralement par une minorité d'activistes qui leur sont
proches. Le processus de démocratisation à la base est tout
à fait compromis à la Commune de Croix-des-Bouquets.
|
Corruption et manque d'accès aux services sociaux
de base
|
L'accès de la population crucienne aux services sociaux
de base ne constitue pas une préoccupation majeure des autorités
municipales, quoique l'État l'aie situé au coeur de ses
politiques de décentralisation et de développement. En effet, la
fourniture des services sociaux de base à la population locale est l'un
des trois (3) objectifs visés par le cadre général de
la
· Propos recueillis d'un monsieur qui avait raté
notre séance defocus groupe au centre ville et à qui on a eu une
conversation sur les thèmes débattus lors du focus groupe. Ce
monsieur dirige une organisation émergeant dans le centre ville de
Croix-des-Bouquets.
Propos recueilli d'un jeune de 27 ans qui vit dans la Commune
depuis dix (10) ans.
décentralisation en Haïti. De surcroit, cette
préoccupation figure en bonne place dans le Plan d'Action National de
Relèvement et de Développement d'Haïti dont elle constitue
un des axes prioritaires. Toutefois, la mise en oeuvre de cette politique de
fourniture de services sociaux de base n'a pas produit à date les
résultats escomptés et tant attendus par la population crucienne.
Désormais, la corruption est perçue dans la Commune comme un
phénomène qui ne cesse de répandre ses effets malsains sur
tous les secteurs sociaux de base du milieu. Dans un tel contexte de
pénurie en services sociaux de base, des citoyen (nes) voient la seule
façon d'accéder à certains services nécessaires est
de passer par la corruption (pots de vin, passe droits, etc.) comme voie
rapide. Des agents de l'administration publique, de leur point vue, voient la
corruption comme l'unique voie pour satisfaire ses besoins et se procurer le
minimum de bienêtre et de confort social nécessaire. Qui pis est,
la corruption se répand à un niveau scandaleux dans tous les
secteurs sociaux de base (santé, éducation, environnement,
infrastructures, eau, électricité, propriété
foncière, etc.). Le constat est d'autre en plus amer qu'elle n'appelle
aucune action vigoureuse ni des autorités locales ni de l'État
central pour lutter contre ce fléau.
Santé
La corruption dans le secteur de santé s'est
particulièrement accentuée à cause de la croissance
démographique et l'étroitesse de l'offre de service. Ce
déséquilibre entre l'offre et la demande crée les
possibilités au personnel de santé de s'enrichir au moyen de la
corruption. Des professionnels dans ce secteur, au travers de multiples formes,
abandonnent progressivement les valeurs déontologiques du métier
pour se livrer à pratiques illicites par lesquelles ils banalisent la
souffrance humaine et la mort au profit de l'appât du gain rapide :
`' Si tu n'as pas d'argent, tu es plus qu'un chien, car un
chien dont le maitre est riche a son vétérinaire. On nous prend
ici pour des laissés pour compte. Quand nous demandons au personnel de
prendre soin de nous ou de nos parents, il nous conseille d'aller vers les
centres privés si on est pressé. Là-bas, ils sont
sûrs de pouvoir nous rançonner tranquillement. On fait la queue
depuis des heures, mais ceux qui ont payé de pot de vin
passent avant nous. Nous sommes des humains, même si
nous sommes pauvres, ce n'est pas une façon de nous traiter. `'
Cette jeune dame, qui exprimait ses colères lors d'une
de nos séances d'observation, résume toute la corruption dans le
secteur. La fixation des rendez-vous est le plus souvent fonction de la
capacité du patient à payer. Pour une consultation de deux cents
clinquantes gourdes (250 gdes), le patient voit un médecin dans environs
dix (10) minutes, par contre pour une consultation de 50 gourdes, le patient
doit attendre plus d'une heure. Souvent cela se passe dans le même centre
hospitalier, sous le fameux prétexte que le centre a une partie
communautaire et une partie privée. Généralement, les
patients dont la capacité financière répond sont
délocalisés dans des cliniques privés pour toute petite
chirurgie. Qui pis est, ces chirurgies mineures sont pratiquées avec les
mêmes instruments du centre dit communautaire. Cela vaut pour les examens
de laboratoires.
Par voie de conséquence, la corruption renforce et
entretient l'inégalité d'accès aux soins. L'appât du
gain facile tente à déshumaniser la pratique de la
médecine. Des professionnels corrompus dérégulent le
fonctionnement des services de santé en utilisant les services publics
à des fins privées, ils contribuent donc à
détériorer progressivement la qualité des services rendus.
Les autorités municipales semblent n'avoir aucun contrôle de ce
jeu pervers.
Education
Encore dans le secteur de l'éducation, le
déséquilibre entre l'offre et la demande renforce les
possibilités de corruption. En principe, les écoles
privées, mêmes celles dites semi-lycée, sont les plus
couteux. Pour éviter les coûts trop élevés des
écoles privées, beaucoup de parents sont prêts à
s'acheter une place au lycée public de la Commune. Les dirigeants qui
sont donc très
Des types d'écoles où l'on paie soi-disant la
moitie des frais régulières. Cette stratégie n'est
utilisée en réalité que pour bâtir la
clientèle scolaire au tout début. Le plus souvent la
qualité de l'enseignement de ces écoles laisse à
désirer.
sollicités sont enclins à la corruption. De
fait, la corruption se pratique sous forme de recrutement parallèle des
élèves, de favoritisme (des enseignants qui présentent des
clients comme des proches parents, etc.), et de magouilles (falsification des
résultats des concours, etc.). C'est un constat malheureux que
d'entendre Yves Joël, jeune de 13 ans, exprimer sa joie pour avoir
réussi aux concours d'entrée du lycée communal:
`' Au premier affichage des résultats du concours,
j'étais à la troisième place. Au nouveau affichage je suis
le treizième, ca ne fait rien je suis quand même admis au
lycée. Je n'avais pas payé ils ont le droit de protéger
leurs clients pourvu que je sois encore parmi eux, ce qu'on veut c'est
être admis au lycée, non ! `'
La corruption se manifeste également dans le mode
d'expulsion des élèves du lycée. En principe, la
répétition des classes (le redoublement) n'est pas
acceptée au lycée. Cependant, il y a un réseau, selon
l'avis des parents, qui reçoit de l'argent afin de permettre aux
élèves qui n'ont réussi de reprendre les classes ou
même d'aller en classe supérieurs certaines fois.
En fin de compte, l'impact de la corruption sur le secteur
éducation à Croix-des Bouquets devient de plus en plus
dévastateur, la corruption a occasionné une baisse progressive et
tendancielle de la qualité de l'enseignement. Les effectifs
pléthoriques dans les classes entravent sévèrement la
qualité de la formation. Le recrutement des enseignants- tout comme
celui des élèves- se fait sous la base de favoritisme. Des
parents se plaignent du comportement de certains enseignants qui abusent des
jeunes filles sous prétexte de leur souffler les questions d'examens ou
des concours. En plus de l'iniquité sociale dans l'accès à
l'éducation au niveau de la Commune, celle-ci risque de fournir au pays
entier des citoyen (nes) sans aucun repère civique et moral.
Eau et électricité
Il n'existe pas un système de distribution d'eau dans
la Commune de Croix-desBouquets. La population se sert davantage de puits
artésiens. Sans les moyens pour s'acheter de l'eau traitée vendue
à des points fixes dans la Commune, la majorité des citoyen (ne)s
boivent
de l'eau des puits artésiens sans pouvoir la
potabiliser. Qui pis est, certains des points fixes oüon l'on
vend d'eau, subissent les méfaits de la corruption. Il a
été constaté des faux documents de
laboratoires sur la porte de ces entreprises. Des inspecteurs
des Travaux Publiques et de Santé publique ont livré de faux
documents d'autorisation. Sous peine de voir leurs entreprises fermées
pour cause d'hygiène ou de non potabilisation de l'eau, certains
entrepreneurs- refusant de soumettre un spécimen de leur produit aux
testes de laboratoire comme exigé- s'achètent de faux documents
d'autorisation par ci par là. Même si tous les documents
exigés sont sur la porte de l'entreprise, la corruption ne recule pas,
car les inspecteurs voient les entrepreneurs comme des richards dont on doit
enlever une partie de biens. Si l'on se réfère au propos d'un
petit entrepreneur anonyme du centre ville, on ne manquera pas de comprendre
les menaces que ces pratiques placent sur l'économie communale.
`'L'inspecteur d'hygiène, celui de la DGI et de la
Mairie sont comme des actionnaires dans mon petit business. Chaque deux ou
trois mois, ils viennent comme pour balancer les comptes et arracher leur part
des gains. C'est un calvaire avec ces gens. Les bénéfices sont
déjà très maigres, en plus on doit partager avec
l'État. Nous ne pourrons pas tenir longtemps dans cette situation.
?
La situation de distribution d'électricité ne se
différencie très peu de celle de l'eau. Il y a un bureau d'EDH
dans la Commune sans la capacité de satisfaction des besoins de la
population. 80% des équipements électriques (transformateurs,
cables, poteaux, etc.) sont achetés par des
particuliers voulant électrifier leurs demeures. La
population peut passer deux à cinq jours sans électricité
au moment où il' n'y pas de problèmes techniques graves. Il peut
arriver qu'il n'y a pas d'essence, ou l'employé qui gère
l'essence est à Port-au-Prince pour quelques jours à cause des
problèmes familiales, ou parce qu'il est malade, ou autres. A son
absence, personne d'autre ne voudra bosser à sa place :
`'Elle (une employée absente) gagne tout son argent
ce n'est pas moi qui vais bourriquer à sa place. J'ai fait mon propre
job, donc personne n'a le droit de me dire quoi que ce soit. Je ne
suis pas le mari de cette dame, ni la personne qui la baise».
L'employé s'exprimait ainsi devant une vingtaine de
clients (dont l'auteur de cette recherche) parce qu'un lui a
suggéré ceci :
`'Je sais que d'habitude c'est la dame qui reçoit
sur la caisse, nous sommes là à attendre depuis ce matin, si elle
ne viendra pas aujourd'hui, tu pourrais nous recevoir à sa place pour
aujourd'hui, tu ne sembles pas trop occupée d'ailleurs».
Non seulement le souci du client et le respect des clients
sont absents dans le comportement de cet employé de l'EDH, mais aussi
son propos dévoile la discrimination contre les femmes qui existe dans
les rapports au niveau de l'entreprise. Les hommes jouissent d'un traitement
largement plus favorable au détriment des femmes qui remplissent le
même niveau de fonction. Cette inégalité se décline
à différents niveaux : inégalité en droit,
inégalité de traitement, mais aussi inégalité des
chances et égalité.
La corruption dans le secteur de l'électricité
se manifeste également au niveau des travaux de branchement.
Généralement, l'EDH invoque les raisons de manque de personnel
pour effectuer les travaux, manque d'équipements nécessaires ou
tas de travaux en attente
depuis longtemps et qu'on devrait urgemment réaliser.
Mais ces subterfuges ne visent qu'àdécourager le
client qui devient impatient et finit par conclure un marché avec un
agent pour
accélérer le processus. En passant par ce chemin
pour avoir le branchement, les clients qui ont satisfait les
négociations sont servis sans attendre. Cette situation favorise le
nombre de branchements illégaux qui ne semblent pas déranger trop
les agents de l'EDH. Quand ils découvrent un branchement illégal,
ils préfèrent le plus souvent passer un "deal" avec le client
fautif. Ce que l'État perd quotidiennement est gagné comme une
rente mensuelle par des agents malhonnêtes qui gardent le silence.
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