VIII.2 Contradiction des stratégies de
développement mise en oeuvre dans la Commune
Des observations les plus minutieuses n'ont pas permis
d'arriver à la compréhension d'une stratégie
homogène du développement de la Commune. En termes de
construction de territoire, la Commune de Croix-des-Bouquets constitue
effectivement un cadre de vie intime pour la 85% des personnes
interrogées. Cependant, c'est une appropriation passive du territoire
qui ne déclenche aucune velléité pour le revitaliser et le
reconstruire.
J'habite la Commune de Croix-des-Bouquets. C'est la que
j'ai ma demeure, je m'y sens donc bien. Je ne suis pas très prête
à laisser la Commune. Je ne participe à aucune gestion de la
Commune.
La Commune souffre du processus collectif d'innovation
territoriale. Des citoyen(ne)s y vivent. Ils se sentent attachés
à la Commune, mais ce n'est que dans une vision individuelle. Par
l'absence de régulation politique, de planification économique,
et d'intervention sociologique efficace, la population crucienne est incapable
de générer un processus de développement local propre et
singulier dans un temps défini.
Pour le moment, surtout après le séisme du 12
janvier 2011, le territoire de Croix-desBouquets jouit d'une sérieuse
attractivité par rapport à sa localisation géographique,
proche de Port-au-Prince, la Capital. Elle représente l'espace de
relocalisation idéale pour des entreprises, des organisations, des
centres éducatifs victimes du grand séisme. Ils s'y
réinstallent à peu de frais tout en restant accessibles à
leurs clients. Cependant, la Commune n'a pas su profiter de cette
opportunité, car le faible dynamisme socio-économique, la
précarité des conditions institutionnelles et sociales n'ont pas
permis de rentabiliser ces investissements. Les revenus ne font que passer dans
la Commune. Sa capacité de rétention de revenus est quasiment
nulle, qu'il s'agit de taxes à prélever, de services ou produits
à offrir.
Les ONG et OI assiègeraient la Commune pour y sauver
des vies (assistance humanitaire) et pour accélérer son
décollage en termes de développement économique. Selon
leurs communications dans le cadre de leurs forums de discussions internes,
Croix-des-Bouquets serait une communauté traditionnelle à
majorité rural où la terre représenterait encore la plus
grande source de richesse. La tendance désormais dominante dans la
Commune renvoi au paradigme moderniste et évolutionniste qui
représente le développement comme un processus naturel
susceptible d'être accéléré par l'introduction de la
technologie de pointe. Toutefois, la population crucienne ne connait pas encore
l'introduction de grandes technologies promises.
Il a été observé, à la Commune de
Croix-des-Bouquets, la coexistence ou la collusion des deux (2) principales
stratégies de développement local : stratégie à
tendance néolibéraliste et stratégie à tendance de
résistance. Des entrepreneurs et autres organisations cherchent à
y installer à cause de son attractivité territoriale. Des gens de
la Commune affichent une certaine méfiance et craignent de ne plus
pouvoir contrôler les ressources par rapport à l'invasion des
étrangers. Ainsi les remarques de Solange sont très
explicites :
Avec l'arrivée en masse de ces étrangers
dans la Commune, nous, des fils originaires de la Croix-des-Bouquets, sommes
exposés aux grands dangers. Ces étrangers sont bourrés de
fric, ils vont acheter toute la Commune hectare par hectare et nous mettre
à la porte comme des chiens. C'est à nous de faire quelque chose
pour résister à ces menaces, sinon ils viendront nous dire
comment manger, comment éduquer notre enfants, etc. C'est vrai, je vous
dis, la dernière fois, j'ai entendu un de ces parvenus dire « les
gens de Croix-des-Bouquets sont des congos ·». Ils ont
raison, on n'est pas unis nous autres et ils profitent de ce vide.
Le besoin de résister à la sorte de
modernisation des autres se fait ressentir parmi une bonne franche de
la population crucienne. Des citoyen(nes) de la Commune exigeraient le respect
de leur identité culturelle et la valorisation de leur mode de vie et de
leurs techniques existantes, mais les velléités pour
concrétiser ou organiser cette résistance sont
complètement absentes.
La Commune de Croix-des-Bouquets a des voies faciles sur
Port-au-Prince, sur le Nord, le Centre et Malpasse (la frontière
principale entre la Dominicanie et Haïti).
Les étrangers ici sont tous ceux qui sont
non-originaires de la Commune (haïtiens ou des gens d'une autre
nationalité)
· `'Congo»se dit des gens non civilisés, peu
intégrés dans la vie moderne (ignorance des technologies et des
normes sociétales dites modernes).
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