VII.4. Changement de paradigme et
récupération internationaliste du processus de la
décentralisation
A la moitié des années 80, sont engagées
à travers les mouvances pro-démocratiques en Haïti des
luttes contre le centralisme d'État et pour une appropriation des
espaces politiques tant locale que nationale. Cette ferme volonté
d'occuper l'espace politique et de réorganiser les rapports
sociopolitiques projette une refondation inclusive de l'État par le bas.
Ces luttes des années 80 étaient supposées renforcer la
symbiose entre la participation et la décentralisation. Les
administrations locales étant plus près des citoyens
administrés, elles devraient mieux répondre aux besoins de la
population. Cependant il n'existe pas d'un flux d'informations efficace entre
les citoyens et les administrations locales. Les habitants ne sont ni
informés des décisions du Conseil Municipal ni n'ont t-ils
été consultés dans le cadre de l'élaboration des
documents vitaux, comme le budget de la Commune. Du coté du Conseil
n'est mise en place aucune instance de concertation et de participation afin de
faciliter la participation effective de la société civile. Le
mode de gouvernance territoriale instauré demeure concentré et
centralisé ·.
Contrairement aux attentes populaires, la
décentralisation n'a pas permis les interactions
régulières entre les citoyens et l'Etat. La situation actuelle ne
traduit que de très peu les ambitions populaires des années 80.
Toutefois, la demande de la décentralisation se fait de plus en plus
exigeante. A la différence, ce nouveau souffle de
décentralisation vient carrément de l'extérieur. Cela
s'expliquera à partir des théories normatives qui posent la
décentralisation comme préalable à la stabilité,
à la participation démocratique et au développement.
Aujourd'hui, ce sont davantage et surtout les bailleurs de fonds internationaux
(ACDI, PNUD, MINUSTAH, CF, UE, etc.) qui sont au poste de commande de la
décentralisation en Haïti. Ces bailleurs sont
L'article 82 du décret cadre sur la
décentralisation (2006) garantie le droit à l'information et de
consultation des habitants.
· L' article 84 du même décret exige le
mise en place des instances de participation au profit de la
société civile.~
unanimes à croire que la décentralisation
constitue la meilleure stratégie pour reformer la gouvernance en
Haïti. Agissant ainsi, ils font de la décentralisation une partie
substantielle de leurs recettes qui sont censées remédier
à tous les malheurs qui pourrissent la vie des haïtiens.
En incarnant une version minimaliste par rapport au rôle
de l'État, les bailleurs internationaux tentent de transformer la
décentralisation haïtienne en un véritable instrument de
régulation devant faciliter l'expansion et l'accumulation du capital
international. D'ailleurs ils n'entendent rien engager avec une
Collectivité Territoriale sans l'approbation de l'État central,
même si la CT jouit de la personnalité morale et juridique. Ils
claironnent appuyer la décentralisation, mais seulement ils le font
à travers des démarches très centralistes et
internationalistes. C'est le cas de la Commune de la Croix-des-Bouquets
où 75% des ONG et OI interrogées affirment avoir l'autorisation
de l'État central, et 15% déclarent être en pourparlers
avec l'État central. Aucune de ces entités ne juge
nécessaire d'aller voir la Mairie de la Commune.
Par conséquent, comme les théories descriptives
le soutiennent, les ONG et OI à la Commune de Croix-des-Bouquets mettent
en oeuvre des projets non conformes à la réalité du
milieu. Par exemple, n'ayant aucune idée de la tracée
territoriale de la Commune, un bailleur a construit une école
communautaire au beau milieu d'une route secondaire. Malheureusement, peu de
temps après, cette école a dû être démolie
pour faciliter le passage public. Pertes de ressources, pertes
d'énergie, et pourtant le besoin de l'école demeure au sein de
cette communauté. Les autorités locales, étant
enquête de subventions, se plient docilement sous les contraintes des
donateurs qui cherchent plus à se justifier par-devant son quartier
général sis à l'étranger que de répondre
pertinemment aux besoins locaux. Par la force des subventions
financières et d'influence politique, les donateurs
arrivent à vider la décentralisation haïtienne de ses
substances originaires et l'oriente vers un paradigme internationaliste
uniforme.
Les dirigeants ne manifestent aucune volonté pour
mettre en place de manière pratique l'arsenal de la
décentralisation prévue par la Constitution. Quand Ils
n'encouragent pas la duplication, le court-circuitage, ils violent
carrément la Constitution. Ainsi donc, le vide laissé par
l'absence des Assemblées, du CI, et du statut explicite des SC et des
Communes font l'affaire les dirigeants qui n'entendent ni rendre compte, ni
être contrôlés, encore moins exercer démocratiquement
le pouvoir. La rêve démocratique du peuple haïtien se trouve
estropié par le manque de volonté politique et d'une culture
centraliste qui entrave subtilement et substantiellement le grand le projet de
décentralisation nécessaire pour l'instauration d'un État
basé entre autres sur les libertés fondamentales, le droit,
l'inclusion, la justice sociale, la participation.
Synthétisé dans le préambule de la
Constitution haïtienne de 1987
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