CHAPITRE VII: PRECARITÉ ET FICTIVITE DE LA
DECENTRALISATION EN HAITI
L'organisation politique de l'État est régie par
la Constitution dont la supériorité sur la loi ordinaire tient de
la consécration des droits et libertés fondamentales des
citoyens. La garantie fondamentale de tout processus de décentralisation
doit être Constitutionnelle. Ceci constitue l'un des indices majeurs qui
aident à identifier si la volonté de décentraliser est
réelle. Un État dont le principe de la décentralisation ne
s'inscrit que dans les lois ordinaires et non dans la loi suprême de la
nation (la Constitution) souffre de la menace constante du centralisme. La
tendance centraliste en soi est tellement vigoureuse qu'elle peut, sous de
simples prétextes, sauter les arrêtés, décrets, les
décrets-lois, etc. constituant de très faible verrou, surtout
dans le contexte d'instabilité politique des pays récemment
dirigés par des dictateurs.
Dans le contexte haïtien, on l'a vu
précédemment, le processus de la décentralisation charrie
tout un ensemble d'arguments revendicatifs qui ont abouti à la
refondation de l'État par une nouvelle Constitution en 1987 qui consacre
la décentralisation effective comme mode de concertation et de
participation de toute la population aux décisions majeures de la vie
nationale.
.
VII.1. Ambigüité des statuts des
Collectivités Territoriales haïtiennes
Cependant, l'analyse du contenu des 298 articles de la
Constitution de 1987 a permis de relever des ambigüités dans le
principe de l'égalité66 de la décentralisation
en Haïti. Dans un État unitaire décentralisé, les
Collectivités Territoriales (CT) sont en principe des entités
administratives jouissant de la personnalité morale et juridique, et
elles sont égales au niveau statutaire. Par contre, la Constitution
haïtienne établit implicitement des différences statutaires
au niveau des CT. L'article 66 consacre l'autonomie administrative et
financière aux Communes de
66 L'égalité est le principe qui fait
que les hommes doivent être traités de la même
manière, avec la même dignité, qu'ils disposent des
mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs
la république, sans leur accorder la
personnalité morale à l'instar des Départements.
L'autonomie administrative et financière n'implique pas forcement la
reconnaissance de la personnalité morale et juridique. Au regard de la
Constitution, les Communes haïtiennes ne sont pas explicitement titulaires
de droits et d'obligations. La situation des Sections Communales (SC),
étant des CT, est encore plus alarmante. Les SC ne jouissent
explicitement d'aucune autonomie administrative et financière, encore
moins de personnalité morale et juridique.
Cet état de chose crée un véritable flou
juridique. Les CM et Casecs peuvent-ils entrer en litige avec l'État
central ? A quelle limite peuvent-ils disposer d'eux mêmes ? Par contre
la situation des Départements est sans ambigüités par
rapport à ces interrogations. L'Analyse du statu des trois (3)
Collectivités Territoriales reconnues (article 61) a permis de signaler
ceci:
Tableau V: Problématique des statuts des
CT
Collectivité Territoriale
|
Statut Constitutionnel
|
Degré de décentralisation
|
Section Communale
|
Entité territoriale
administrative (art. 62).
|
Très faible
|
Commune
|
Autonomie administrative et financière (art. 66)
|
Moyen
|
Département
|
Personne morale.
Autonome. (art. 77)
|
Forte
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Source : Auteur
Pourquoi cette discrimination statutaire ? Y aurait-il donc en
Haïti des CT supérieures à d'autres CT existantes ? Les
Sections Communales et Communes sont dirigées des élus au
suffrage universel tout comme le président de la république, tout
comme les parlementaires,
mais sans la personnalité morale et juridique.
S'agit-il d'une confusion conceptuelle ou d'un fait calculé sur mesure ?
L'histoire de `'jeu de balancier» de l'autonomie des Communes, comme
démontré dans les différentes Constitutions
haïtiennes, peut laisser croire qu'il s'agit non d'une confusion
conceptuelle, mais plutôt d'une fenêtre laissée entrouverte
sur le statut incertain des Communes, question de précariser
particulièrement la décentralisation effective des Communes et le
processus de la décentralisation en générale.
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