III.6- JEU DES ACTEURS ET DES FACTEURS DE LA
GOUVERNANCE
Historiquement la notion de société civile
remonte à l'antiquité grecque, environs 2000 ans avant
Jésus Christ. Désignée sous le thème grec
koinonï politikè (société citoyenne) par
Aristote, la société civile (du latin societas civis)
réfère à :
`' Une assemblée sans hiérarchie dominante,
composée de personnes partageant les mêmes points de vue, ce qu'on
appelait encore « polis », c'est -à- dire une
société citoyenne ou politique.''56
Mais cette société citoyenne ne reconnait pas
les femmes, les enfants et les esclaves qui jouissent aucun droit de
participation. Seulement les sujets masculins propriétaires peuvent
décider pour défendre ensemble et mutuellement des
intérêts communs sans l'interférence de l'État.
Si dès le XVI è siècle le
vocable `'État» était répandu surtout par Machiavel
dans le sens d'une `'organisation politique et juridique des hommes vivant sous
un pouvoir commun souverain dans les limites d'un territoire
déterminé», c'est au milieu du XVII è que
le vocable `'société civile» a, particulièrement sous
l'influence de Hobbes, pris le sens d'un `'corps créé par les
hommes pour assurer leur sécurité, la paix et le bien
être». Comprise par Hobbes et Pufendorf comme la
`'société des citoyens», la société civile se
fait l'équivalent de la société politique ou
l'État.
Pour sa part, Locke met en évidence l'opposition entre
société civile et état de nature décrit
comme `'état de parfaite liberté et d'égalité
naturelle en vertu de la raison». Selon Locke, la société
civile est formée et instituée pour résoudre les
problèmes causés par l'état de nature. Par rapport
à la construction uniquement politique de Hobbes, Locke concède
à la notion de société civile d'autres dimensions: En plus
d'être une société politique en charge de la
sécurité
56 Cvetek Nina et Friedel Daiber, Qu'est-ce que la
société civile ?, Paris, 1985, p.6
des citoyens, la société civile devient tout
aussi un ordre économique garant de la propriété et un
ordre juridique garant de la protection des droits des individus. D'où
la tendance de Locke à établir la distinction entre État
et Société civile. Mais c'est dans l'oeuvre de Rousseau que cette
tendance à distinguer les deux vocables est la plus évidente.
Sous l'influence de Locke, Rousseau différencie
l'État de la société civile. L'État fait
alors référence à la société politique
issue du contrat social et la société
civile devient le stade intermédiaire entre l'état de
nature · et cette société politique. Rousseau fait
de la société civile l'endroit de la propriété
privée et associe la société civile à l'idée
de civilisation:
`' Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire :
ceci est à moi... fut le vrai fondateur de la
société».57
Avant de se transformer en État, la
société civile est la société de l'homme
civilisé qui développe les sciences et les arts. Si pour le
philosophe l'État est le résultat du contrat social, la
civilisation est l'état où règne la loi de la
propriété et de l'inégalité. A ce niveau, il
valorise la société politique produit des libres choix d'hommes
au détriment de la société civile ou civilisée qui
corrompt l'homme qui est dans la société politique un citoyen
sans intérêts particuliers.
Hegel, de son coté, explique la société
civile à travers une trilogie : famille, société civile et
État. La famille se donne comme la communauté
première, entité indivise où les besoins d'échanges
ne sont pas présents. Une famille n'a pas besoin d'entrer en contact
avec d'autres du fait que tout y est mis en commun. Dans la famille il n'y a
pas d'individus, car tout bien appartient à tous, tout le monde a
accès à tout. Ce n'est que l'éclatement de cette
communauté première qui fait naitre le besoin d'échanges.
La famille une fois éclatée permet l'apparition des
individus. Ces derniers étant des personnes privées
(séparées, isolées) entrent en échange à
la
Union volontaire et accord mutuel d'hommes qui agissent
librement dans le choix des gouvernements et des formes de gouvernements.
· C'est le règne des appétits instinctifs,
de l'impulsion pure.
recherche des intérêts propres. Les individus- en
développant les échanges sous la pulsion de leur
égoïsme- forment la société civile. Celle-ci
se caractérise par le fait que les individus ayant des rapports de
travail et d'échanges se font membres d'une collectivité rien que
pour satisfaire des intérêts particuliers. Cependant
l'intérêt particulier n'est pas nécessairement incompatible
avec l'intérêt général. L'individu en se visant
lui-même pratique les échanges dont le développement- par
une `'ruse de la raison» ou une `'main invisible,» pour
répéter Adam Smith- lui donnerait l'opportunité de faire
émerger l'éthique sociale.
Sans le savoir les individus réalisent une
cohésion axée sur l'intérêt général.
La cohésion familiale perdue est retrouvée au sein de cette
nouvelle cohésion qui marque l'apparition de l'État.
Sous l'émergence de l'État, les échanges
économiques et sociaux entre les individus se convertissent en une
utilité Commune. D'où la différence faite par Hegel entre
le bourgeois qui agit en ne visant que lui-même et le
citoyen qui agit en visant l'universel (l'intérêt
général). L'État se différencie de la
société civile bourgeoise. Dans celle-ci les individus essayent
de tirer des avantages égoïstes tandis qu'à l'État
les actions individuelles sont déterminées par
l'intérêt de la collectivité dans son ensemble. Cependant,
tout en s'opposant à la tendance de la société civile,
pour se définir l'État s'appui sur les institutions de la
société civile. Au lieu de détruire la
société civile, dans la vision hégélienne,
l'émergence de l'État confère aux intérêts
privés une certaine légitimité.
Dans la conception contemporaine de la société
civile, l'oeuvre du philosophe Habermas représente l'une des sources les
plus consultées. Selon le philosophe, la société civile
est sujet de l'opinion publique. Celle-ci n'étant pas la somme des
opinions privées se forme en public et présuppose donc
l'existence d'un espace public où les débats publics prennent
place, où les différents arguments ou thèses sont
avancés et débattus. L'opinion publique est donc une opinion
formée par l'usage public de la raison. Le citoyen habermassien
détenteur d'opinion publique se distingue du particulier qui s'occupe
exclusivement des affaires privées. Le particulier se transforme
progressivement en citoyen en contribuant à la formation d'une opinion
publique et en se faisant entendre dans les affaires politiques.
Habermas refuse de fusionner la société civile
et le secteur privé qui est le monde de marché, d'échanges
et de production. La société civile se développe en
même temps que le monde du marché, mais comme instance politique,
elle est une réalité différente de celle du monde
d'échanges. Lorsque les particuliers entre en contact pour
échanger des marchandises et services, ils échangent
parallèlement des informations, des points de vue et des
émotions. Ainsi se forme peu à peu un public informé (voir
éduqué) qui confronte par l'usage de la raison les composantes de
la chose publique. Le public bourgeois s'engage dans la politique, non parce
qu'il désire y participer, mais seulement pour préserver
l'autonomie de l'espace privé, pour repousser l'empiétement du
secteur public dans le secteur privé. Par rapport à
l'État, selon Habermas l'opinion publique constituée
progressivement joue un rôle de témoin ou d'arbitre dans la
gestion de la chose publique.
Cette révision des pensées philosophiques et
historiques a permis de mettre en évidence trois (3) principaux
paradigmes pour penser les rapports entre la société civile, le
secteur privé et les pouvoirs publics:
a. La Société Civile cherche à
contenir les actions de l'État
Ici la société civile se comprend comme l'espace
des échanges et des relations entre les acteurs non-étatiques.
C'est la sphère des acteurs privés qui s'opposent à la
sphère publique. La société civile s'autorganisant et
s'autorégulant réclame la non-intervention des pouvoirs publics
dans la sphère privée. Par une séparation stricte entre
les citoyens et le gouvernement, la société civile pose le
marché des échanges et non le contrat politique comme le
principal régulateur de la vie sociale. L'intérêt
général résulte de la multiplicité des
intérêts privés allant dans tous les sens possibles et non
d'un État superpuissant qui possède toutes les solutions. Le
rôle des pouvoirs publics se confine particulièrement dans
l'assurance de l'ordre public, dans la garantie des droits de
propriété et de la libre concurrence.
La société civile et le secteur privé
revendiquent la responsabilisation de l'individu et de sa libre participation
dans la construction du bien-être général. Pour faire
valoir leurs pensées et défendre leurs intérêts,
sans vouloir exercer directement le pouvoir politique, les membres de la
société civile et du secteur privé se
regroupent en associations, forums, chambres de commerce, et coalitions
fortement structurés qui interviennent le plus souvent avec force
auprès des pouvoirs publics pour infléchir les politiques
publiques. A côté de la primauté du privé sur le
public, du marché libre sur le système politique, les
néo-libéralistes défendent la marchandisation de toutes
les activités humaines et la globalisation des marchés.
b. La Société Civile construit des partenariats
avec l'État
Devant le dépérissement de l'État,
surtout sous le poids de la globalisation néolibéraliste, la
société civile se pose comme un correctif au désengagement
civique et à la désolidarisation citoyenne. Le
démantèlement des communautés et la destruction des liens
sociaux sont vus comme un effet direct du néolibéralisme
économique et politique. La société civile se
définit alors comme la sphère de la citoyenneté
reconquise, des citoyens se concertant pour entrer en partenariat avec les
pouvoirs publics afin de répondre aux besoins vitaux non satisfaits par
l'État.
Les communautaristes définissent le `'bien
commun» comme prioritaire aux intérêts privés et
exigent que l'ensemble des valeurs traditionnellement partagées (des
compétences communautaires) soient prises en compte dans la
planification et la gestion de la chose publique.
Généralement, cette forme de
société civile se manifeste à travers des associations,
des organisations de base formées par des comités de quartiers ou
des citoyens. Dans la majorité des cas, elles fonctionnent à but
non lucratif. Les coûts et les risques sont souvent partagés par
les membres qui tiennent les dirigeants responsables de la gestion des
ressources.
c. La Société Civile s'élève contre
la subjugation de l'État
Les tenants de ce courant de la société civile
sont reconnus pour être des farouches opposants à la globalisation
néolibéraliste. Ils jugent nécessaire de contrebalancer
les appétits démesurés des acteurs
néolibéralistes en instaurant un nouvel ordre mondial, un autre
monde. La société civile devient une sphère
d'équité et de solidarité où un ensemble d'acteurs
(ou institutions) non
publics s'activent dans la lutte contre la domination des
puissantes institutions internationales telles que FMI, BM, OIT qui oeuvrent
pour un assujettissement des États faibles du monde aux
idéologies néolibéliralistes. Celles-ci auraient pour
visée une déconstruction de l'ordre globalitaire.
A cet effet, les altermondialistes appellent a une
résistance citoyenne tant au niveau local qu'au niveau international a
l'affaiblissement des État-nations, a la déresponsabilisation des
citoyens face a leur avenir. Des citoyens libres sont appelés a
défendre l'appropriation du monde par quelques oligopoles et politiciens
qui trafiquent les aliments, qui transforment l'eau et l'air en marchandises,
etc. Des femmes et des hommes libres doivent renforcer les pouvoirs publics en
aidant a résister a la privatisation et la marchandisation des biens
publics vitaux.
La société civile dans ses fonctions aide a
comprendre, a critiquer, a résister et surtout a construire un ordre
alternatif a la globalisation néolibéraliste.
Tout compte fait, la décentralisation telle que
pratiquée dans divers pays participe au renouvellement de la
problématique sur la séparation des pouvoirs au sein de
différents types d'État et sur le mode de gouvernance pour le
développement. Dans les pays développés la
décentralisation a aidé plusieurs États a ne pas
s'effondrer. La dérégulation ou privatisation notamment a permis
a certains États de respirer mieux en dépensant moins et en
gagnant plus de recettes. Elle a permis aux secteurs autres que l'État
d'exploiter leurs ressources a fonds, a entreprendre de manière autonome
sans compter sur l'État providence pour faire accroitre les richesses.
Même si les crises économiques ont été
résolues sans égards a la justice ou a l'équité
sociale, la décentralisation a prouvé que le centralisme
d'État ne pouvait que mener le développement
socioéconomique dans l'impasse.
Cependant, dans les pays en développement, la
décentralisation comme contrainte de bonne gouvernance, devient donc
source de conflits, de déstructuration ou de désolidarisation
sociale. Au lieu de devenir un vecteur de développement a l'instar de ce
qu'elle est dans certains pays développés, la
décentralisation se conçoit comme un véritablement goulot
d'étranglement
du fait qu'elle cherche davantage à répondre
à des standards internationaux que de chercher à résoudre
les problèmes internes rencontrés. Les États faibles - se
trouvant dans l'obligation de transférer certaines de leurs
compétences sous les conditionnalités des grands bailleurs- se
font réticents à transférer les fonds et l'appui technique
nécessaires dans le cadre de la décentralisation effective.
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