PARTIE DEUXIEME DECENTRALISATION ET DEVELOPPEMENT
LOCAL DANS LE CONTEXTE HAITIEN
PARTIE DEUXIEME : DECENTRALISATION ET DEVELOPPEMENT
LOCAL DANS LE CONTEXTE HAITIEN
La méthodologie la plus appropriée reste et
demeure celle qui prend en compte mieux l'objet sous étude en cernant
ceci dans sa réalité immédiate, dans ses aspects et
dimensions multiples. Pour ce, il importe pour le moment de contextualiser les
théories et approches de la partie précédente dans le
contexte haïtien en général et de la Commune de
Croix-des-Bouquets en particulier.
Le chapitre IV expose la cadre institutionnel de la
décentralisation et du développement local en Haïti en
mettant en exergue la culture politique militariste et centraliste qui a
caractérisé, jusqu'à date, toute l'histoire d'Haïti.
Le cadre légal est aussi revisité afin de mettre en
évidence les contraintes institutionnelles, les problèmes et
flous juridico-légaux freinant le processus de la
décentralisation et du développement local dans les Communes. Le
chapitre V présente le profil sociographique et territorial de la
Commune de Croix-des-Bouquets. Les défis et les opportunités
identifiées ont permis d'affiner la problématique, et
préciser les méthodes et techniques préalablement
sélectionnés.
CHAPITRE IV : CADRE INSTITUTIONEL DE LA
DECENTRALISATION ET DU DEVELOPPEMENT LOCAL
Arrivé à la problématique du cadre
institutionnel de la décentralisation et du développement local
en Haïti, on ne peut s'empêcher de demander : Quelles sont les
premières tentatives de la décentralisation en Haïti?
Pourquoi serait-on obligé de décentraliser ? Décentraliser
pour quels objectifs ? A-t-on réussi le pari de la
décentralisation en Haïti ? Quels en sont les mécanismes,
les spécificités, les difficultés du développement
local en Haïti? Quelle perspectives à en dégager ?
IV.1 DECENTRALISATION DANS LA CULTURE POLITIQUE
HAÏTIENNE (1804- 2010)
En 1804, l'État haïtien nécessitait un fort
degré de centralisation pour mener à bien la guerre de
l'indépendance. Apres l'indépendance, il fallait encore
construire une unité nationale très forte pour se défendre
contre un éventuel retour des colons. Tout cela semble justifier
l'excessive centralisation des pouvoirs et des ressources du nouvel État
entre les mains des affranchis et des créoles qui ont remplacé
sur l'échiquier politique et économique les colons
français chassés ou massacrés. Cependant les bossales,
sans pouvoir ni ressources, n'attendaient qu'un certain partage pour participer
et jouir de l'indépendance péniblement conquise. Même si
les deux groupes n'avaient pas la même compréhension de
l'indépendance, toutefois le besoin d'une majorité (les bossales)
de participer était explicitement bafoué par les créoles
minoritaires. La minorité dirigeante, gênée par les
légitimes revendications des masses, ne cesse de feinter une certaine
ouverture pour l'intégration des éléments de la
majorité en prônant l'égalité et la
fraternité. Bien que l'article 3 de la Constitution de 1805 stipule que
tous les haïtiens sont des frères égaux devant la loi, mais
cela ne correspondait nullement à la pratique.
Les créoles, personnes nées à St.
Domingue et formant l'élite du pays après la guerre de
l'indépendance, contrairement aux bossales, personnes venues de
l'Afrique à St. Domingue pour y travailler comme esclaves et formant la
masse des paysans après la guerre de l'indépendance.
L'empereur Dessalines possédait à lui et les
sujets de l'empire et le territoire de l'empire. Dans un empire un et
indivisible, la centralisation était à son paroxysme. Le
territoire était distribué six (6) divisions militaires. Chaque
division était commandée par un général
indépendant des autres et correspondait directement à
l'empereur.
En dépit de cette centralisation à outrance, la
Constitution de 1805 a laissé une infirmité de pouvoir à
la Commune dans le domaine de l'administration de la justice. Contrairement
à ce que Jean Rénol Elie peut faire croire la notion de Commune
ne parait pour la première fois dans la Constitution de
181658. La Constitution de 1805, dans son article 46 a placé
un juge de paix dans chaque Commune qui pouvait connaitre toute affaire ne
dépassant pas cent gourdes. Au cas où une affaire
dépasserait la somme fixée, elle devrait être prise en
compte par le niveau de tribunal supérieur :
Article 46. - Il y aura un juge de paix dans chaque
Commune. Il ne pourra connaître d'une affaire s'élevant
au-delà de cent gourdes, et lorsque les parties ne pourront se concilier
à son tribunal, elles se pourvoieront par-devant les tribunaux de leur
ressort respectif.
Quoi qu'il en soit, aussi bâtards qu'ils soient, les
principes de subsidiarité et de suppléance sont ici
retrouvés. Cette remarque est d'importance, dans la mesure on l'on
cherche à construire une sociogenèse de la
décentralisation en Haïti.
C'est effectivement en 1816 que les Communes allaient devenir
de véritables circonscriptions administratives en remplaçant les
anciennes paroisses coloniales. En 1843, la Constitution du pays a
consacré une grande marge d'autonomie aux Communes qui
déjà étaient dirigées par des maires
élus.
`'C'était déjà une avancée
notable, même si le militarisme de l'époque ne portait pas les
dirigeants à construire tous les instruments légaux
nécessaires à l'exercice de l'autonomie
communale59.»
Depuis l'idée de la décentralisation, notamment
l'autonomie communale tantôt renforcée tantôt
supprimée, a connu des hauts et des bas suivant les sensibilités
des gouvernements qui se sont succédés. On notera la
période de l'occupation américaine, partant de 1915, qui ne fait
qu'accentuer l'autoritarisme étatique en instaurant une centralisation
à outrance. Les occupants ont éliminé toute alternative en
termes de forces armées, budgets, marchés, et ports d'exportation
au profit de Port-au-Prince, le super centre. La montée du courant
nationaliste en 1932 a donné une des réponses à la
centralisation des occupants en élaborant une Constitution dont
l'article 108 déclare expressément l'autonomie de la Commune.
Trois années plus tard soit en 1935, la Commune tombe sous le
contrôle de l'exécutif.
Ce `'jeu de balancier» (pour répéter Jean
Rénol Elie), par rapport à l'autonomie de la Commune, traduit
l'incapacité et la peur de l'État d'Haïti de se
décentraliser. Cela se comprend rapidement, car en dépit du fait
que la décentralisation constitue un mode de gestion dont les dirigeants
n'ont eu aucune connaissance, mais aussi donner l'autonomie aux entités
locales, leur donner la voie aux chapitres, c'était ouvrir la voie
à la montée des revendications des masses. C'était, pour
l'élite dirigeante, couper l'arbre sur lequel on elle s'asseyait. C'est
pourquoi les avancées dans l'autonomisation des entités locales
ne pouvaient pas être consolidées. Tout cela a donné le
flanc à l'État duvalierien de prendre pied et de s'installer en
1957, soit deux (2) décennies plus tard.
La Constitution de 1957 a réduit l'autonomie des Communes
à travers des habiles subterfuges :
Article 129. -- La Commune est autonome. Cette autonomie est
réglée par la Loi.
Article 132. -- Le Conseil Communal administre ses
ressources au profit exclusif de la Communauté et rend un compte
détaillé et documenté de sa gestion au Pouvoir Central. II
nomme ses fonctionnaires et employés sans intervention d'aucune autre
autorité. II établit ses tarifs d'impôt et ses taxes pour
en faire proposition de loi au Pouvoir Central qui peut y apporter les
modifications jugées nécessaires.
C'aurait été une grande avancée dans
l'autonomisation des Communes qui exerceraient largement leur autonomie
financière et administrative en faveur du développement
socioéconomique des populations, même si la reddition des comptes
descendante (vers les citoyens) était cruellement sacrifiée au
profit de la reddition des comptes ascendante (vers l'État central).
Mais, le discours duvalierien perd toute sa cohérence dans le mensonge,
dans le marronnage :
Article 133. -- II est crée dans les
Départements, au besoin, dans les Arrondissements la fonction de
Préfet.
Les Préfets sont des fonctionnaires civils qui
représentent directement le Pouvoir Exécutif.
La Loi détermine leurs attributions et le lieu de leur
résidence.
Dans chaque Circonscription Préfectorale, des
«CONSEILS TECHNIQUES ET ADMINISTRATIFS D'ARRONDISSEMENTS»
présidés par le Préfet et composés de techniciens
tirés des cadres des Services Publics, sont institués pour
contrôler les Conseils Communaux de la Circonscription.
contrôle, en préparent ou coordonnant les
plans et programmes de développement et s'assurent de la parfaite
réalisation de ces derniers par les «SOUS-CONSEILS TECHNIQUES
».
Les Communes étaient autonomes, mais
contrôlées par le préfet et ses cadres qui dépendent
directement du président de la république. De quel type de
contrôle s'agit t-il ? Contrôle de légalité qui porte
sur le caractère légal de l'acte, ou contrôle
d'opportunité qui apprécie le bien fondé de l'acte ? S'il
est impossible de répondre cette interrogation de manière
précise, tout au moins on sait que les préfets ne pouvaient
prendre soin des intérêts politiques, administratifs,
économiques, sociaux et culturels des Communes qu'exerçant un
fort contrôle hiérarchique à la manière de leur chef
suprême, en la personne de François Duvalier. Si le préfet
contrôle `'les intérêts politiques, administratifs,
économiques, sociaux et culturels des
Communes» au nom de l'exécutif, qu'est qu'il reste
au magistrat communal à contrôler ? Oüsont les
affaires locales, les intérêts propres de la Commune dont le
conseil municipal est le
principal gestionnaire? D'ailleurs, les maires
n'étaient responsables ni d'élaboration ni de l'exécution
des plans et programmes de développement des Communes. Des magistrats
élus étaient hiérarchiquement contrôlés par
de simples employés de la fonction publique soumis aux caprices de
l'exécutif.
La période des Duvalier (1915-1986) est la
période de la centralité autoritaire brutale. Les dirigeants
d'alors ont marronné l'autonomie des communales. Ils ont su
infiltré les entités locales, par le biais des tonton-macoutes
recrutés dans le milieu même, pour soumettre les citoyens paysans.
Cet État s'est érigé- en défenseur des sans voix,
en époux légitime et authentique de la cause des masses
paysannes, fils et petit-fils des bossales - pour mieux leur réduire
à la soumission, à la subjugation infrahumaine. Le régime
des Duvalier vide les Communes et les sections communales de leurs ressources
tant humaines que matérielles. Au lieu de faire avancer l'autonomisation
des Communes, la dictature a réutilisé et renforcé la
formule des préfectures pour terroriser les populations locales.
A partir des années 1980, sous l'effet de crise du
duvaliérisme, du pourrissement d'un État sectaire et mafieux, on
a assisté la manifestation des groupes non-clandestins, des
organisations sociopolitiques, des communautés de citoyens
professionnels qui publiquement revendiquaient les droits civiques, politiques,
économiques, sociaux et culturels. Des populations -sans le droit de
participer à la vie politique, sans accès au logement, ni
à l'éducation, ni aux soins de santé- se sont
mobilisées dans les milieux urbains et ruraux pour créer une
mouvance populaire qui contribuera irréparablement en 1986 à la
chute d'une dictature de père en fils vielle de 29
ans ·.
`'Pour instaurer un
régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales
et le respect des droits humains, la paix sociale, l'équité
économique, la concertation et la participation de toute la population
aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une
décentralisation effective».
Selon la lettre et l'esprit de la Constitution, le peuple
haïtien a choisi la décentralisation comme stratégie pour
refonder l'État et établir un schéma participatif entre
celui-ci et la population de différentes collectivités du pays.
La Constitution de 1987 a consacré l'autonomie politique, administrative
et financière des Collectivités Territoriales reconnues au nombre
de trois (3) : la Commune, le Département et la Section Communale. Cela
constitue la plus grande avancée de la République d'Haïti en
termes de démocratie locale participative et de lutte contre une
République autoritaire et centralisateur depuis sa naissance en 1804.
Dans les années 60 - 70, la société civile
haïtienne se composait en principe des groupes clandestins et de sorte de
guérillas anti-duvaliéristes. La Constitution d'alors ne
garantissait pas les libertés sociopolitiques des citoyens.
· Le changement de l'ordre politique et
économique international- l'effondrement du communisme, la globalisation
de l'économie (privatisation, intervention minimale de l'État,
l'ère de la démocratisation, etc.)- a précipité la
fin de la dictature qui ne servait plus les intérêts
américains contre le communisme.
Extrait du préambule de la Constitution de 1987
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