III.3- THÉORIES DESCRIPTIVES DE LA
DÉCENTRALISATION
Si pour les théoriciens normatifs, la
décentralisation contribuerait au
développement socio-économique, un
éventail d'autres théories dites descriptives soutiennent et
tentent de démontrer empiriquement que dans les pays en
développement la décentralisation n'a pour ainsi dire aucun effet
incitatif sur le développement. Selon eux, la décentralisation a
compromis la stabilité macroéconomique dans les pays où
les impôts et taxes, les dépenses et les emprunts infranationaux
sont excessifs et que les administrations centrales n'arrivent pas à
contrôler la situation. Ces pays, comme Mali, deviennent incapables de
remplir leur mission de gestion macroéconomique. Les difficultés
compliquent alors l'atteinte de la réalisation des objectifs de
politique publique et sociale.
Une étude de l'OCDE effectuée en 2004 a
montré que la décentralisation avait provoqué peu
d'amélioration en termes de réduction de la pauvreté dans
un tiers de pays. Les chercheurs ont constaté que dans les pays
où l'État est incapable de remplir ses fonctions de base et
où, au départ, les inégalités sont criantes, il
existe un risque réel que la décentralisation aggrave
paradoxalement la pauvreté (Jütting, et autres, 2005,
p.2-3).
Des recherches empiriques- dans divers pays en
développement comme au Mali et au Niger55- ont
démontré que les politiques de décentralisation en cours
seraient réalisées sous les contraintes des donateurs
internationaux. Ces derniers imposeraient la décentralisation comme
stratégie pour résoudre les problèmes politiques
liés à la gestion et à la redistribution des ressources
nationales, ou encore pour faire accroître la participation citoyenne
dans la gestion des affaires locales ou du processus de
développement.
Ces programmes de décentralisation ne prendraient
rarement en considération le rôle traditionnel des
communautés locales. Or dans le cadre du développement, il serait
important de
tenir compte de la capacité des communautés
locales étant un complément des institutions nationales. Les
décisions locales peuvent être meilleures si les pouvoirs locaux
adoptent une vue d'ensemble, tout comme les décisions au niveau central
peuvent être meilleures si les autorités centrales prennent en
compte les spécificités des réalités locales. Au
fur et à mesure que la décentralisation s'effectuerait en
s'alignant à la fois sur les priorités locales et nationales,
elle aurait plus de capacités à devenir un vecteur capable de
servir d'impulsion vers un mode de développement qui donne aux
communautés locales les responsabilités qu'il faut.
Contrairement à ce que ferraient croire les puissances
occidentales, la décentralisation comme instrument de redistribution des
pouvoirs socio-économiques et politiques ne serait efficace que
très rarement dans les pays en développement. Elle serait
même de nature à causer des pertes d'économies
d'échelle et d'effritement du contrôle de l'État des
maigres ressources financières dans ces pays. La faible capacité
administrative ou technique au niveau local des pays en développement
entraînerait généralement la baisse du degré
d'efficacité et de rendement dans la fourniture des services de base. Le
plus souvent les responsabilités administratives sont
transférées à des niveaux locaux sans les accompagnements
techniques ni les ressources financières nécessaires, ce qui
entrave la répartition ou la fourniture équitable des services
sociaux de base. Souventes-fois la décentralisation rend même plus
complexe la coordination des politiques nationales et favorise des
élites locales à s'emparer du pouvoir au détriment de la
majorité des citoyens et citoyennes. Dans le cadre de certains
programmes de décentralisation, il est courant que les méfiances
éprouvées entre les autorités locales (secteur public) et
les citoyens (secteur privé, société civile) minent la
coopération préexistante.
De manière générale, des recherches ont
prouvé que la décentralisation apporte pleins d'effets «
pervers », particulièrement dans les pays en développement
où les lignes de démarcation des rôles et des
responsabilités des différents échelons administratifs ne
sont pas clairement définies. Il y a alors risque de dilution de
responsabilités faute d'un manque de clarification des
compétences à chaque niveau de l'administration. La
décentralisation peut aussi créer des déséquilibres
au niveau national à cause de choix politiques différents ou
contradictoires et des ressources réparties inégalement ou sans
équité. Ces risques auraient pour conséquence un
creusement des disparités entre les différents territoires. Par
exemple, dans un pays caractérisé par des disparités
régionales au niveau des activités et des revenus, certaines
régions sont naturellement plus riches que d'autres et
les bases d'imposition par habitant se différencient d'une
collectivité à une autre. Si c'est un pays d'État
centralisé, une telle situation n'aurait pas d'incidence majeure,
même si les collectivités les plus riches contribuent davantage
(par habitant) au budget national. Tandis que les incidences seraient lourdes
dans un État décentralisé, puisque les
collectivités décentralisées « mal dotées
» auront d'énormes difficultés à boucler leur budget
s'il n'y a pas un mécanisme de péréquation fonctionnel.
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