Première partie : L'influence du droit de l'Union
européenne sur l'acquisition de la qualité d'actionnaire et
l'exercice des droits y afférents.
Le droit européen exerce une influence tant sur
l'acquisition de la qualité d'actionnaire (Chapitre 1) que sur les
droits essentiels de l'actionnaire (Chapitre 2).
Chapitre premier : Le régime européen de
l'acquisition de la qualité d'actionnaire.
L'étude du régime européen de
l'acquisition de la qualité d'actionnaire porte tant sur les droits et
obligations des actionnaires lors de la constitution de la
société (Section 1) que sur la protection du potentiel futur
actionnaire par une information adéquate diffusée par le
prospectus d'émission (Section 2).
Section 1 : Les droits et obligations des actionnaires dans
le cadre de la constitution de la société.
Dans le cadre de la constitution de la société,
certaines obligations incombent aux actionnaires fondateurs (§ 1). La
question de savoir si la société peut accorder une aide
financière en vue de l'acquisition de ses actions par un tiers doit
également être examinée (§ 2).
§ 1 : Les obligations des actionnaires dans le
processus de constitution de la société.
A. L'obligation de libération des apports.
Selon M. Sinay, les dispositions relatives à la
souscription et à la libération du capital social font
référence à « l'élément social
constitutif de l'essence même des sociétés de capitaux
»25. Dans le cadre de la constitution de la
société, la deuxième directive 77/91/CEE du
Conseil26, qui pose essentiellement des règles relatives au
capital social de la société anonyme, fait obligation aux
actionnaires fondateurs de procéder à la libération des
apports,
25 R. Sinay, « La première directive
européenne sur les sociétés et la mise en harmonie du
droit français », Gaz. Pal. 1971, I, p. 146.
26 Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil,
du 13 décembre 1976, tendant à coordonner, pour les rendre
équivalentes, les garanties qui sont exigées dans les
États membres des sociétés au sens de l'art. 58, al. 2, du
traité, en vue de la protection des intérêts tant des
associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la
société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son
capital
définie comme « l'exécution de la
souscription par la réalisation de l'apport promis, soit en
numéraire, soit en nature (...) 27». La
régularité de la libération des apports et, ce faisant, la
constitution d'un capital social réel permettant, selon une conception
classique aujourd'hui remise en cause28, une protection effective
des créanciers et des actionnaires, constituent d'ailleurs les objectifs
principaux de la directive29.
En application de l'article 6, al. 1 de la directive, les
législations nationales doivent exiger que le capital social minimum des
sociétés anonymes s'élève 25 000
euros30. Il résulte de la formulation des articles 9 et 10
que le capital social peut être constitué tant d'apports en
numéraire que d'apports en nature31. Un apport en
numéraire est une somme d'argent que l'actionnaire s'est engagé
à payer et les apports en nature consistent en tout bien attribué
à la société, autre qu'une somme d'argent, susceptible
d'une évaluation pécuniaire et pouvant être exploité
commercialement32. Dans tous les cas, le capital souscrit ne peut
être constitué que par des éléments d'actif
susceptibles d'évaluation économique, ce qui exclut les apports
consistant en une prestation de service (art. 7) ou les apports en industrie,
car ceux-ci n'ont aucune valeur à l'égard des
créanciers.
Concernant l'obligation de libérer les apports en
numéraire, l'article 9 § 1 de la directive fixe à 25 % le
montant minimum de la valeur nominale des actions devant être
libéré lors de la constitution de la société ou de
l'obtention de l'autorisation de commencer les activités. La directive
ne contenant aucune indication quant au montant restant, le délai dans
lequel celui-ci doit être libéré peut être
déterminé librement par les États membres33 :
si le droit français prévoit un délai de cinq ans (art. L.
225-3
C. Com.), le droit allemand n'en
prévoit aucun (§ 63 al. 1 AktG). En Allemagne, le directoire
décide en effet souverainement du moment où il demande la
libération du montant restant des apports en
numéraire34.
Le régime européen des apports en nature est en
revanche encadré de façon plus précise, afin de
prévenir de possibles abus35 et de protéger ainsi non
seulement les tiers, mais aussi les autres actionnaires : en application de
l'al. 2 de l'article 9, les actions émises en contrepartie d'apports en
nature doivent être entièrement libérées dans un
délai de cinq ans à compter de la constitution ou de l'obtention
de l'autorisation de débuter l'activité. Comme le
27 P. Merle, Sociétés commerciales,
n°259.
28 Pour des développements relatifs à cette remise
en cause de la fonction de patrimoine de garantie du capital social, v. B.
Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la constitution de
groupements, n°325 à 327.
29 H. Drinkuth, Die Kapitalrichtlinie - Mindest- oder
Höchstnorm ?, p. 129.
30 Exigence observée tant par le droit français
que par le droit allemand : l'art. L. 224-2, al. 1
C. Com. Exige en effet un capital minimum de
37 000 euros tandis qu'en application du § 7 AktG, « le montant
minimum du capital social est de 50 000 euros ».
31 « actions émises en contrepartie d'apports
autres qu'en numéraire », selon les termes des art. 9 al. 2 et
10 al. 1 de la deuxième directive.
32 V. Magnier, Droit des sociétés, n°
44 et 47.
33 B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la
constitution de groupements, n°361.
34 Bayer in : Münchener Kommentar zum Aktiengesetz,
§ 63, n°28 à 31.
35 consistant par exemple en la surévaluation
des biens apportés.
souligne M. Lecourt, cette disposition ne présente
guère d'intérêt dans la mesure où l'apport en nature
est, pour des raisons pratiques compréhensibles, le plus souvent
libéré en une seule fois 36. En application de l'article 10 de la
directive, les apports en nature doivent faire l'objet d'un rapport
spécial établi par un ou plusieurs experts indépendants de
la société, désignés ou agrées par une
autorité administrative ou judiciaire, et qui a pour objet de
vérifier la valeur effective de l'apport en nature et
l'adéquation de cette valeur avec le nombre d'actions qui doit
être remis à l'apporteur. À cet effet, ce rapport doit
décrire le ou les apports en nature ainsi que leurs modes
d'évaluation et indiquer si les valeurs auxquelles conduisent ces
évaluations correspondent au moins au nombre et à la valeur
nominale (ou au pair comptable) des actions à émettre en
contrepartie. Ce rapport doit ensuite être publié selon les
modalités prévues par l'article 3 de la directive
68/151/CEE37, afin que les autres actionnaires fondateurs ainsi que
les éventuels tiers intéressés puissent en prendre
connaissance.
La directive sanctionne efficacement les obligations
décrites ci-dessus en prévoyant que « l'inobservation
des dispositions relatives à la libération minimale du capital
social » peut constituer une cause de nullité de la
société (art. 11 § 2 point d). Cette sanction s'explique par
le fait que la libération minimale du capital social est destinée
à mettre à disposition de la société un minimum de
fonds lui permettant de débuter son activité38.
De façon générale, la transposition de
ces dispositions européennes en droits français et allemand
n'appelle pas de remarques particulières. Il convient cependant de se
pencher sur une difficulté particulière qui est apparue en droit
allemand : il s'agit de la question de la « verdeckte Sacheinlage
», expression que l'on peut traduire par « apport en numéraire
fictif »39. Il s'agit de la situation dans laquelle des apports
en nature sont « déguisés » en des apports en
numéraire : l'actionnaire fondateur procède dans un premier temps
à un apport en numéraire, puis cède presque
immédiatement un bien à la société, qui, en
échange, en paie le prix grâce aux fonds apportés par
l'apport en numéraire précédemment
effectué40. Le bien peut également être vendu
dans un premier temps à la société, puis l'apport en
numéraire effectué au moyen du produit de la vente41.
Cette pratique permet de contourner les exigences afférentes aux apports
en nature42. Dans cette hypothèse, la jurisprudence allemande
prévoyait
36 B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la
constitution de groupements, n°361.
37 Première directive 68/151/CEE du Conseil,
du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre
équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats
membres, des sociétés au sens de l'art. 58, al. 2, du
traité, pour protéger les intérêts tant des
associés que des tiers (JOCE du 14. 03.1968, L 65, pages 8 à
12).
38 B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la
constitution de groupements, n°425.
39 M. Lutter, « L'apport en numéraire fictif : une
théorie allemande et un problème de droit des
sociétés », Rev. sociétés 1991, p.
331.
40 U. Hüffer, Kommentar zum Aktiengesetz, §
27, n°14 et suiv..
41 M. Lutter, « L'apport en numéraire fictif : une
théorie allemande et un problème de droit européen »,
Rec. Dalloz 1991, p. 131, n°3.
42 J. Lösekrug, Die Umsetzung der Kapital-,
Verschmelzungs- und Spaltungsrichtlinie der EG in das nationale deutsche
Recht, p. 98.
depuis la fin des années 192043 une sanction
stricte : l'actionnaire devait libérer une nouvelle fois l'apport en
numéraire auquel il s'est engagé envers la
société44. La question de savoir si cette
jurisprudence était contraire à la directive a fait l'objet de
nombreux débats doctrinaux. Tel aurait été le cas si
l'article 11 de la directive devait être considéré comme
une norme procédant à une uniformisation complète.
Certains auteurs considéraient que l'article 11 est une disposition
d'harmonisation totale dans la mesure où les normes d'harmonisation
minimales sont expressément désignées comme telles par la
directive45. L'opinion dominante en doctrine avançait au
contraire que l'article 11 constituait une norme d'harmonisation minimale et
justifiait sa position en s'appuyant sur le deuxième considérant
de la directive, selon lequel celle-ci tend à assurer une «
équivalence minimale dans la protection tant des actionnaires que
des créanciers »46. La Cour Fédérale
de Justice allemande a expressément abondé en ce sens dans une
décision IBH/Lemmerz47. Cette problématique
ne devrait cependant plus se poser avec autant d'acuité à
l'avenir, dans la mesure où été insérée dans
la loi allemande relative aux sociétés par actions une
disposition prévoyant que tout apport en numéraire qui doit
être considéré comme un apport en nature en raison d'une
opération ultérieure est valide. Il ne libère certes pas
l'actionnaire de son obligation de libération de l'apport en
numéraire auquel il s'était originairement obligé, mais la
valeur du bien doit en être déduite. L'apporteur supporte la
charge de la preuve de la valeur du bien (§ 27, al. 3 AktG).
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