Seconde partie : La protection de l'actionnaire par le
droit de l'Union européenne à l'occasion d'opérations
spécifiques portant sur la société
Le droit européen des sociétés met en
place une protection des actionnaires, et en particulier des actionnaires
minoritaires, lors des opérations afférentes au capital social
(Chapitre premier), lors des fusions et scissions de société
(Chapitre second), ainsi que dans le cadre des offres publiques d'acquisition
(Chapitre 3).
Chapitre premier : La protection de l'actionnaire dans
le cadre des opérations afférentes au capital social.
La protection de l'actionnaire dans le cadre des
opérations afférentes au capital social est assurée d'une
part par le rôle dévolu à l'assemblée
générale des actionnaires (Section 1), et d'autre part par le
droit préférentiel de souscription, en principe
conféré à chaque actionnaire (Section 2). Il y a par
ailleurs lieu d'aborder succinctement la question de la réduction de
capital social par retrait forcé d'actions (Section 3).
Section 1 : Le rôle de l'assemblée
générale des actionnaires.
Comme nous l'avons vu précédemment, une fonction
éminente est conférée par le législateur
européen à l'assemblée générale des
actionnaires : ce principe trouve l'une de ses expressions les plus
marquées dans les dispositions relatives aux modifications du capital
social. Ainsi, l'assemblée générale se voit
conférer une compétence de principe pour décider des
augmentations et des réductions du capital social (§ 1), ainsi
qu'un rôle important en cas de perte grave du capital souscrit (§
2).
§ 1 : La compétence de principe de
l'assemblée générale.
En application des articles 25 § 1 et 30 § 1 de la
deuxième directive, toute augmentation ou réduction du capital
social doit être au moins subordonnée à une décision
de l'assemblée générale statuant à une
majorité qui ne peut être inférieure aux deux tiers des
voix afférentes soit aux titres représentés, soit au
capital souscrit représenté (règle de majorité
prévue par l'article 40 § 1). Ces dispositions visent à
protéger l'intérêt des « anciens » actionnaires,
qui réside dans le maintien de leur quote-part de participation dans la
société et de leurs droits patrimoniaux et extra-patrimoniaux y
correspondant, en leur conférant le pouvoir de décision relatif
à la modification du capital social121.
121 H. Hirte, « Kapitalschutz (Gläubiger- und
Eignerschutz im Europäischen Recht », in Grundmann (Hrsg.),
Systembildung und Systemlücken in Kerngebieten des Europäischen
Privatrechts, 2000, p. 211 (222).
La CJCE a eu l'occasion de réaffirmer le principe de la
primauté de l'assemblée générale dans ce processus
de décision en condamnant à plusieurs reprises des dispositions
de droit grec des sociétés, qui permettaient à une
administration publique de procéder à des augmentations du
capital social de sociétés privées à des fins
d'assainissement financier, sans le consentement des actionnaires. Dans ce
cadre, la décision Karella, rendue en 1991, est d'une
importance particulière122. Dans cette décision, la
CJCE a décidé que l'article 25 § 1 de la deuxième
directive a un effet direct envers les administrations publiques et est donc
« susceptible d'être invoqué devant les juridictions
nationales par un particulier à l'encontre des autorités
publiques ». Par conséquent, l'article 25 § 1 fait «
obstacle à une réglementation nationale qui, afin d'assurer
la survie et la continuation de l'activité des entreprises (...)
prévoit qu'il peut être décidé par acte
administratif d'augmenter leur capital social (...) ». La CJCE a
confirmé et complété cette position dans d'autres
décisions ultérieures123.
La sanction de toute violation de ces dispositions doit
être déterminée par les législateurs nationaux, qui
doivent, à cette occasion, respecter le principe de l' « effet
utile » du droit européen124. Ainsi, le Code de commerce
français prévoit que toute décision prise en violation de
la compétence exclusive de l'assemblée générale
extraordinaire est frappée de nullité (art. L. 225-129, al. 1 et
L. 225-149-3, al. 3
C. Com). Telle est également la
sanction prévue par le droit allemand.
Dans certaines périodes, il peut cependant être
plus confortable pour la société que les organes de direction et
d'administration disposent de davantage de marge de manoeuvre et puissent
procéder à une augmentation de capital sans avoir recours
à l'assemblée générale125. C'est
pourquoi la deuxième directive prévoit que des
délégations de l'assemblée générale en
faveur des dirigeants sont possibles sous certaines conditions. Ainsi,
l'article 25 § 2 prévoit que les statuts, l'acte constitutif ou
l'assemblée générale peuvent autoriser les organes de
direction ou d'administration de la société à
procéder à une augmentation du capital souscrit jusqu'à
concurrence d'un montant maximal qu'ils fixent, dans le respect du montant
maximal éventuellement prévu par la loi. Cette autorisation a une
durée maximale de cinq ans et peut être renouvelée une ou
plusieurs fois pour une période qui, pour chaque renouvellement, ne peut
dépasser cinq ans.
Concernant l'autorisation d'augmentation du capital social, le
droit européen prend un visage plus libéral que le droit allemand
: en effet, le § 203, al. 3 AktG prévoit que le montant
122 CJCE, 30 mai 1991, Karella e.a. / Ypourgio viomichanias,
energeias & technologias e.a., Aff. C-19/90 et 20/90, Rec.1991,
p.I-2691.
123 CJCE, 24 mars 1992, Evangelikis Ekklisias, Aff.
C-381/89, Rec. 1992, p. I-2111) ; 12 novembre 1992, Kerafina, Aff.
C-134/91 et C-135/91, Rec. 1992, p. I-5699 ; 12 mars 1996, Pafitis,
Aff. C-441/93, Rec. 1996, p. I-1347 ; 12 mai 1998, Kefalas, Aff.
C-367/96, Rec. 1998, p. I-2843.
124 U. Klinke, « Europäisches Unternehmensrecht und
EuGH. Die Rechtsprechung in den Jahren 1998 bis 2000 », ZGR 2002,
163 (184).
125 M. Habersack, Europäisches Gesellschaftsrecht,
§ 6 Rn. 63.
maximal fixé par l'autorisation ne peut excéder
la moitié du capital social126. Le droit français
prévoit tant une délégation de pouvoir qu'une
délégation de compétence au profit du conseil
d'administration ou du directoire pour décider d'une augmentation de
capital. La délégation de compétence, qui permet aux
organes de décider eux-mêmes de réaliser ou non
l'augmentation de capital, doit fixer sa durée (qui ne doit pas
dépasser vingt-six mois) et le plafond global de l'augmentation de
capital éventuelle (art. L. 225-129-2
C. Com.). En revanche, la
délégation de pouvoir donne aux dirigeants la seule
possibilité de fixer les modalités de l'augmentation de capital,
qui devra obligatoirement intervenir dans un délai de cinq ans (art. L.
225-129-1
C. Com.)127.
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