La protection des actionnaires minoritaires des societes anonymes dans l'espace ohada( Télécharger le fichier original )par Adjo Flavie Stéphanie SENIADJA Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - DEA en droit privé fondamental 2008 |
CHAPITRE II : LES SANCTIONS D'EXCEPTION............................61SECTION I: L'INTERVENTION D'UN TIERS.................................61 SECTION II : LA DISSOLUTION ANTICIPEE DE LA SOCIETE..........68 CONCLUSION........................................................................74INTRODUCTIONDurant ces dernières années, la mondialisation de l'économie a entraîné un vaste mouvement de rapprochement des législations nationales, dans la quête d'une plus grande compétitivité. A l'image des Etats européens, regroupés dans une union européenne forte, l'Afrique a entrepris le rapprochement des législations afin de conforter son intégration économique1(*). Cette initiative qui passe nécessairement par une véritable intégration juridique, constitue un vecteur essentiel de la sécurisation des agents économiques et de la création d'emplois. L'organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires2(*) constitue, de nos jours, le meilleur outil d'expression des entreprises africaines. En effet, l'entrée en vigueur le 1er janvier 1998 de l'Acte Uniforme de l'OHADA, créé par le traité de port Louis et adopté par le conseil des ministres le 17 avril 19973(*), portant sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique marque un bouleversement dans l'histoire du droit des sociétés des pays africains membres de la zone franc. Ce texte, en effet, est venu mettre un terme, dans la plupart des pays concernés, à plus d'un siècle d'application de la loi française du 24 juillet 1867 sur les sociétés par action. De toute évidence, l'ancienne législation héritée de la colonisation n'était plus adaptée à la situation économique du continent4(*). Elle constituait même, à certains égards, un frein au développement des entreprises. Il fallait donc simplifier, adapter et sécuriser le droit des sociétés car l'existence de règles identifiables et claires à la création et au fonctionnement des entreprises est un préalable indispensable au développement économique5(*). Afin de satisfaire aux exigences de l'économie contemporaine, la reforme de l'OHADA devait donc relever le double défi de la modernisation du droit des sociétés commerciales et surtout celui de la sécurisation des associés. De facto, les acteurs de la réforme ont adopté une conception assez moderne du droit des sociétés commerciales en donnant une définition plus moderne et plus dynamique de la société commerciale et en simplifiant le fonctionnement de la société anonyme6(*). L'Acte Uniforme abandonne la conception basée sur le contrat de société retenue par l'article 1832 du code civil français de 18047(*) qui était encore en vigueur dans certains pays signataires du traité8(*) pour suivre l'exemple du droit français où la loi du 4 janvier 1978 avait modifié l'article 1832 du code civil. Désormais, l'alinéa 1er de l'article 4 de l'AUSCGIE dispose que : « la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une activité des biens en numéraires ou en nature, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme »9(*). L'alinéa 2 du même article précise quant à lui que « la société doit être créée dans l'intérêt commun des associés » et enfin, l'article 5 pose les principes de création de la société commerciale par une seule personne « associé unique »10(*) à l'instar de la loi française du 11 juillet 1985. Cependant, les rédacteurs de l'AUSCGIE ont maintenu le principe du gouvernement majoritaire dans les sociétés anonymes11(*), car indispensable au bon fonctionnement et à la stabilité des sociétés commerciales. Traditionnellement, le pouvoir de décision est concentré entre les mains de la majorité. Ce n'est d'ailleurs pas là un droit propre aux sociétés commerciales : « les régimes politiques sont tributaires du même principe»12(*). Le fonctionnement de la société anonyme, domaine par excellence des innovations les plus importantes et les plus modernes de l'AUSCGIE, dans le droit OHADA, est donc dominé par la règle de la majorité dans les organes de gestion et les organes délibérants, selon laquelle toutes les décisions sont prises à la majorité simple ou qualifiée13(*). Seulement, ce qui attire l'attention dans le nouveau dispositif, ce sont les aménagements apportés dans le cadre de cette loi de la majorité à la situation des minoritaires. Il est nécessaire ici pour mieux comprendre le sujet de préciser ces notions de majorité et minorité14(*) ? Pour la notion de majorité, il convient tout d'abord d'observer que la majorité dans les sociétés anonymes peut être comprise différemment selon que l'on prend pour cas le conseil d'administration ou l'assemblée générale. Au sein du conseil d'administration, les délibérations ne sont valables que si la moitié au moins de ses membres est présente, les décisions étant prises à la majorité des membres présents ou représentés. Ici, la majorité est égale à 50% plus une voix. Les minoritaires sont donc l'ensemble des voix restantes. Dans les assemblées générales, le quorum est fixé par l'article 548 de l'AUSCGIE, les majoritaires représentent au moins le quart des actionnaires ayant le droit de vote. A la deuxième convocation, la majorité est calculée selon les voix exprimées. Pour ce qui est de l'assemblée générale ordinaire, l'article 549 de l'AUSCGIE dispose que : «L'assemblée générale ordinaire statue à la majorité des voix exprimées. Dans les cas où il est procédé à un scrutin, il n'est pas tenu compte des bulletins blancs dont disposent les actionnaires présents ou représentés ». En d'autres termes, elle statue à la majorité des voix exprimées, les abstentions et les votes blancs étant considérés comme des votes contre15(*). Quant à l'assemblée générale extraordinaire, elle statue suivant les dispositions de l'article 554 de l'AUSCGIE, à la majorité des deux tiers des voix exprimées. A l'inverse, « la minorité réunit ceux qui pour des raisons diverses n'ont pas votées les résolutions adoptées par les majoritaires »16(*). Autrement dit, l'actionnaire minoritaire est un actionnaire qui de part sa faible participation dans la société, ne joue pas un rôle décisionnel important durant les assemblées générales. La minorité réunit ceux qui n'ont pas voté les résolutions des majoritaires. Cette règle de la majorité domine ainsi la participation et le vote des décisions collectives des actionnaires ainsi que celle des organes dirigeants. Notons cependant qu'au cours d'une assemblée ceux qui ont une forte participation dans la société peuvent être mis en minorité au cours d'un vote. Comme on peut le constater, les notions de majorité et de minorité sont le plus souvent fluctuantes. Ainsi, le pouvoir de décision qui appartient à la majorité lui est-il confié non pas dans un intérêt personnel, mais, afin de réaliser l'objet social17(*). Cependant, les sociétés anonymes, comprennent souvent des actionnaires18(*) nombreux et qui se connaissent mal. Ces actionnaires sont souvent animés par des intérêts divergents ; ce qui naturellement fait de la société un terreau fertile pour les conflits. Les actionnaires minoritaires se sentent parfois pris en otage par la majorité. Notamment, ils reprochent fréquemment aux majoritaires d'abuser de leurs droits et de gérer les sociétés, non pas dans l'intérêt social mais dans leurs intérêts personnels. MANDEVILLE, dans la fable des abeilles met en garde quand il affirme que « la recherche de l'intérêt individuel fonde les hommes dans toutes les actions même les plus vertueuses ». L'égoïsme, l'amour de soi, constituent le ressort de l'action humaine. Dans ce contexte, les intérêts des actionnaires minoritaires, c'est-à-dire ceux qui ne détiennent pas une fraction de capital suffisante pour contre balancer le pouvoir des majoritaires se trouvent parfois sacrifiés. Il n'est donc pas rare dans le cadre du fonctionnement de la société anonyme d'assister à la prise de décisions contraires, non seulement à l'intérêt des minoritaires, mais également à l'intérêt social adopté par les actionnaires majoritaires dans l'unique dessein de satisfaire les membres de la majorité au détriment des autres actionnaires. Cette tendance à l'écrasement des minoritaires entraîne des conflits, sinon des oppositions entre actionnaires conduisant à la constitution de blocs antagonistes dont l'attitude peut provoquer la fin prématurée de la société. Alors, quelle solution le législateur OHADA apporte-il à cet épineux problème ? En d'autres termes, la protection mise en place par le législateur africain en faveur des actionnaires minoritaires est-elle efficace ? Le législateur OHADA, même s'il opte pour la proportionnalité des droits au montant des apports n'hésite pas à voler au secours des actionnaires minoritaires dans la mesure où dans toute société, les intérêts des associés, même s'ils détiennent la majorité du capital sont essentiellement transcendés par l'intérêt social. On sent encore plus qu'il leur vient à la rescousse lorsqu'il renforce les droits des associés en améliorant leur information et en instituant à la surprise générale et à la grande joie des associés minoritaires, l'expertise de gestion. Cependant, convient-il de préciser que la protection communautaire dont jouissent les actionnaires minoritaires n'est pas une protection arbitraire, préjudiciable aux actionnaires majoritaires. Elle est plutôt tournée vers l'égalité des actionnaires19(*). Ces mesures, scrutées ou regardées de près conduisent à observer qu'elles sont des mécanismes de salut public ; en ce sens qu'une entreprise contrainte de fermer pour mésintelligence entre actionnaires, au delà des intérêts partisans, affecte gravement l'ordre public économique et social. L'intérêt de notre sujet apparaît alors manifeste, notamment en Afrique subsaharienne où les mouvements politiques des années 90 ont été accompagnés des mouvements économiques et financiers20(*). En effet, les Programmes d'Ajustement Structurels ont mis à la charge des pays bénéficiaires, l'obligation de privatiser les sociétés d'Etat. Ainsi, plusieurs multinationales ont pris le contrôle d'importantes compagnies en s'octroyant la majorité des actions ; l'Etat et les travailleurs des dites sociétés ne détenant que des parts minoritaires. Protéger les actionnaires minoritaires revient des fois à la protection non seulement de l'Etat, mais surtout des petits actionnaires face à ces géantes multinationales. De ce fait, l'OHADA, à travers ses dispositions en la matière, évite l'éviction des actionnaires nationaux. Leur présence est capitale pour la surveillance des mouvements de fonds, surtout leurs rapatriements illégaux vers leurs pays d'origine. Les fuites de capitaux irréguliers impactent négativement la balance de paiement des pays en développement comme ceux de la zone OHADA21(*). La protection qu'offre l'OHADA arrive à point nommé, vu les différents déséquilibres aux plans économique, social et politique. C'est pourquoi, conscient des dangers divers encourus par les pays africains, l'OHADA, dans ses dispositions sur la protection des actionnaires minoritaires se présente donc comme une réponse aux problèmes liés au développement économique des pays visés. Voilà pourquoi nous devons nous pencher sur la recherche constante d'une protection efficace des actionnaires minoritaires. Cette recherche étendue dans le droit français, existe aussi dans le droit OHADA. A défaut de jurisprudence constante et connue sur cette question, l'Acte uniforme organise dans ses dispositions éparses un système de protection des actionnaires minoritaires qu'il serait judicieux d'appréhender à travers les moyens de protection prévues par le législateur (Titre I) et à travers les sanctions en cas d'atteintes de leurs droits (Titre II). * 1 _ Keba MBAYE ; L'histoire et les objectifs de l'OHADA ; Petites affiches, n°205, 13 octobre 2004 ; P.4 * 2 _ OHADA * 3 _ Pour une présentation générale de l'OHADA, V. Gérard POUGOUE, Présentation générale et procédure en OHADA, PUA, 1998 * 4 _ Jean PAILLUSSEAU, L'acte uniforme sur le droit des sociétés; Petites affiches, n°205, 13 octobre 2004 ; P.19 * 5 _ Benoît LE BARS et Boris MATOR, Management et financement de la société anonyme de droit OHADA, La semaine juridique n°5, 28 octobre 2004 ; P12 * 6 _ Les rédacteurs de l'Acte Uniforme se sont inspirés du droit français tout en gardant des solutions avant-gardistes * 7 _ Jean PAILLUSSEAU, L'acte uniforme sur le droit des sociétés ; op. cit. ; P.20 * 8 _ La Côte d'Ivoire et le Cameroun * 9 _ C'est une convention qui doit remplir toutes les conditions de validité prévues par les dispositions relatives au droit commun des contrats. Mais, en raison de son caractère particulier, cette convention nécessite l'intervention d'éléments spécifiques également exigés à peine de nullité. * 10 _ Jean PAILLUSSEAU, L'acte uniforme sur le droit des sociétés; op. cit. ; P.23 * 11 _ Dans le cadre de l'OHADA, la société anonyme joue un rôle économique de premier plan, elle apparaît comme la forme sociétaire la plus importante. Aussi, elle est la seule forme de société de capitaux. * 12 _ Yves Guyon, Droit des affaires : droit commercial général et sociétés, 8ème édition Paris, Economica, 2003, P.402 * 13 _ Le principe de la majorité se manifeste à travers plusieurs articles de l'AUSCGIE.L'article 545 par exemple dispose que « les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés à moins qu'un statut ne prévoit une majorité plus forte ». * 14 _ Pour plus de précision sur la notion de majorité, voir infra 1ère partie, chapitre 2, p.30 * 15 _Alain FENEON, « Les droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés commerciales de l'espace OHADA », PENANT, n.839, p. 156 * 16 _ GUYON Y., op. cit.P.408 * 17 _ La majorité ne saurait pourtant faire mauvais usage de son pouvoir car elle violerait l'alinéa 2 de l'article 4 de l'AUSCGIE qui prévoit que la société est constituée dans un intérêt commun. * 18 _ La notion d'actionnaire renvoie aux sociétés de capitaux, notamment la société anonyme. * 19 _ Le législateur OHADA sanctionne également l'abus de minorité. V. art. 131 de l'AUSCGIE. * 20 _ Keba MBAYE ; L'histoire et les objectifs de l'OHADA ; op. cit. ;P. 4 * 21 _ En effet, les fuites de capitaux et les problèmes sous-jacents, notamment, les fermetures d'entreprises avec leurs corollaires comme le chômage sont à la base de beaucoup de remous sociaux, facteur d'instabilité politique. |
|