Responsabilité du dirigeant et gestion des risques( Télécharger le fichier original )par Claudine MARTIN Université de Nantes - Master 2 Droit des activités économiques 2008 |
B. La mise en place de « garde-fous » par la gestion des risques juridiquesLe juriste de l'entreprise a incontestablement un rôle à jouer dans la gestion des risques juridiques (1), et il en va de même du contrôleur de gestion (2). 1. Le rôle déterminant du juriste dans la gestion des risques juridiques Le dirigeant a tout intérêt à placer le juriste au coeur de la gestion des risques juridiques pour organiser des mesures permettant d'éviter de voir sa responsabilité civile, contractuelle ou délictuelle, mise en cause. En effet, de par ses compétences, le juriste peut déterminer les vulnérabilités juridiques de l'entreprise, garantir un niveau de risque acceptable pour l'organisation intégrant l'environnement juridique, technique, économique, humain et organisationnel dans lequel il évolue. Pour lui, professionnellement, il s'agit de nouvelles opportunités à saisir, qui enrichissent incontestablement ses compétences. Il passe ainsi d'une vision règlementaire et juridique à une vision plus méthodologique, organisationnelle et transversale. Ainsi, Frédéric Reliquet et Stéphane Baller affirmaient lors d'une conférence organisée les 6 et 7 juin 2008 par le cabinet Ernst and Young : « Les perspectives de généralisation de la gestion des risques au sein des entreprises représentent aujourd'hui une véritable opportunité pour les juristes de se positionner comme une référence à l'origine d'une politique de gestion des risques vers laquelle s'orientent la plupart des entreprises »67(*). Concrètement pour prévenir la mise en cause de la responsabilité civile du dirigeant, le juriste peut mettre en place plusieurs outils. Tout d'abord il peut rédiger et diffuser dans l'entreprise un guide des bons rapports contractuels. Il s'agit de sensibiliser le personnel aux règles à respecter lorsque l'on collabore par la voie contractuelle avec ses partenaires68(*). A titre d'exemple il peut rappeler que des précautions sont à prendre lorsque l'on met fin à une relation commerciale durablement établie avec un partenaire, sous peine de sanctions prévues par le code du commerce.69(*) A ce guide des bons rapports contractuels, le juriste peut lier des notes de sensibilisation sur un aspect précis de la législation ou réglementation en vigueur. Dans le même ordre d'idées, il peut également organiser une veille juridique afin de se tenir informé des nouvelles législations. Un tel dispositif pourra notamment prévenir la mise en cause du dirigeant pour manquement aux « dispositions législatives et règlementaires », hypothèse que nous avons développée précédemment. En outre, le juriste peut aussi introduire des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité dans les contrats. Elles ont pour effet de limiter la responsabilité du dirigeant sur certains aspects. Toutefois, la jurisprudence se montre assez stricte en ce qui concerne les clauses exonératoires, et elles sont parfois interdites. Les juges n'entendent pas laisser le chef d'entreprise organiser son impunité. C'est pourquoi ce type de clause est à manier avec précaution car elles peuvent être déclarées nulles Ainsi, à titre d'exemple, la Commission des Clauses Abusives considère que ces clauses ne doivent pas avoir pour effet d'interdire l'exercice des actions en justice ou des voies de recours par le cocontractant, ou encore d'imposer par le biais d'une clause compromissoire, le recours à l'arbitrage pour un litige qui n'est pas encore né70(*). Le juriste peut également mettre en place un outil de Gestion des Contrats. Il s'agit d'une base de données ayant pour vocation essentielle de répertorier l'ensemble des contrats souscrits par l'entreprise. Les objectifs principaux de cette application sont d'avoir une vision exhaustive et classifiée des engagements de l société, d'assurer une meilleure maîtrise des engagements financiers et des échéances contractuelles, et d'être une source de renseignement fiable et rapide pour les membres de l'entreprise. Si cette base est avant tout un outil pour l Juridique et pour la Comptabilité (en vue d'optimiser la gestion des échéances contractuelles et financières, des flux de prestations et de leur règlement), elle est tout aussi utile pour le dirigeant qui a ainsi accès à l'ensemble des engagements dont il a la responsabilité. Mais le juriste doit évidemment collaborer avec l'ensemble des membres de l'entreprise pour que les outils qu'il met en place soient efficaces. Il doit par exemple être en relation avec la direction commerciale pour ce qui concerne la politique contractuelle, avec la direction marketing pour tout ce qui attrait à la propriété intellectuelle, ou encore être en lien avec la direction informatique pour ce qui concerne les NTIC. En théorie, les outils que le juriste peut organiser au sein de l'entreprise pour agir en prévention de la mise en cause de la responsabilité du dirigeant sont efficaces. Mais il s'agit beaucoup de sensibilisation du personnel à la législation en vigueur ou aux engagements contractuels à respecter. Ainsi, les actions menées par le juriste dans le cadre de la gestion des risques ne seront efficaces que si l'ensemble des membres de la société sont réceptifs. Afin de s'en assurer, il est indispensable que le juriste soit soutenu par sa direction, et que la sensibilisation soit durable, pour éviter que le « soufflet ne retombe ». De surcroît, si les compétences du juriste sont importantes pour mettre en place des garde-fous afin d'éviter que la responsabilité du dirigeant soit mise en cause, il n'en demeure pas moins que la gestion des risques est une discipline qui requiert des compétences qui vont au-delà du droit. Il est effectivement nécessaire d'avoir des connaissances en finance, en stratégie, et en techniques mathématiques aussi71(*). C'est pourquoi le dirigeant opte souvent pour la création d'un contrôle interne de gestion. En principe, cet organe lui permet d'éviter d'être mis en cause pour faute de gestion notamment (cas que nous avons mis en exergue dans un développement précédent). 2. L'organisation d'un contrôle interne de gestion Le contrôleur de gestion participe à la définition des prévisions budgétaires et des objectifs financiers de l'entreprise. Il veille à leur respect au cours de l'année, analyse les écarts et propose des mesures correctrices. Ainsi il peut alerter le dirigeant si les finances de l'entreprise deviennent critiques. Le contrôle de gestion, comme son nom l'indique, permet alors au dirigeant d'éviter de commettre une faute de gestion et de prendre les mesures nécessaires lorsque l'organisation connaît des difficultés, et par la même éviter d'engager sa responsabilité. Il permet une transparence accrue de la communication financière et une meilleure prise de décision managériale72(*). Cet organe permet aussi de prévenir l'engagement de la responsabilité civile du dirigeant en ce qu'il vérifie que l'utilisation des fonds est légale, que les déclarations sont réalisées conformément aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur, tant sur la forme que sur le fond. Le contrôle de gestion est un instrument qui est de plus en plus développé dans les entreprises. A ce constat, plusieurs explications sont possibles. D'une part, des études ont montré que les investisseurs privilégient les entreprises dont le contrôle interne de gestion est efficace. D'autre part, depuis 2006 le contrôle de gestion fait partie des compétences que l'on attend du contrôleur des comptes73(*). Cette précision n'est pas sans importance. Elle signifie que le contrôleur de gestion devient un acteur essentiel du monde de l'entreprise. Néanmoins, l'inconvénient du contrôle de gestion réside premièrement dans son coût qui peut paraître excessif, et deuxièmement dans le ralentissement des activités qu'il provoque en interne, au moins durant le temps nécessaire à sa mise en place. En effet, à titre d'illustration, une facture qui doit être validée par deux personnes mettra plus de temps à entrer en comptabilité. Mais cette procédure de double signature, qui peut être instituée par le contrôle de gestion, ne représente pas une perte de gain, seulement une perte de temps. En l'occurrence on peut penser que c'est le prix à payer pour se protéger contre une sanction pour irrégularités dans la comptabilité74(*) ou encore contre une condamnation pénale pour faux75(*). Il est effectivement important de souligner que le contrôle de gestion est un outil qui permet au dirigeant d'éviter que sa responsabilité civile ne soit mise en cause, pour faute de gestion notamment, mais aussi pour prévenir de l'engagement de sa responsabilité pénale. Le contrôleur peut par exemple prévenir le dirigeant que les comptes sociaux établis par le comptable ne sont pas fidèles à la situation réelle de l'entreprise, et par conséquent lui éviter de voir sa responsabilité pénale engagée pour publication de comptes infidèles. Nous venons de mettre en exergue quelques outils que le dirigeant peut mettre en oeuvre pour éviter la mise en cause de sa responsabilité civile. Il convient désormais d'étudier quelques cas d'engagement de la responsabilité pénale du chef d'entreprise, et les moyens développés par la gestion de risques pour les éviter. Chapitre 2. La gestion des risques, un outil de prévention de la mise en jeu de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux Le principe en Droit pénal est : « nullum crimen nulla peona sine lege »76(*). Autrement dit, la responsabilité pénale d'une personne ne peut être engagée que si l'infraction qu'elle est accusée d'avoir commise a été prévue dans un texte répressif, ainsi que les sanctions qui s'y rattachent. C'est ce que l'on appelle le principe de la légalité des délits et des peines en matière pénale. Le Droit français a prévu une multitude d'infractions, aux conséquences lourdes, dont pourrait se rendre coupable le dirigeant social. En effet, pèsent sur ses épaules de nombreuses obligations règlementaires et légales dont le non respect serait susceptible d'engager sa responsabilité pénale. C'est le cas par exemple en matière du droit du travail, du droit des sociétés, ou encore du droit de la concurrence. Cependant, il est intéressant de souligner dès à présent qu'un mouvement de dépénalisation du monde des affaires a été entrepris. Il est vrai que depuis quelques années, il a été considéré que le droit pénal des affaires présentait une pénalisation excessive et peu efficace donc plusieurs lois sont intervenues afin de réduire l'exposition des dirigeants. D'une manière succincte on peut dire que ce mouvement de dépénalisation a débuté avec la loi n° 2000-647 du 10 Juillet 2000, dite « loi Fauchon ». Elle prévoit principalement qu'en ce qui concerne les délits non intentionnels, en cas de causalité indirecte, la responsabilité des personnes morales et physiques sont indépendantes, puisque la responsabilité des premières sera retenue en cas de faute simple, tandis que les dirigeants sociaux jouissent d'une immunité pour une faute d'importance comparable. Ensuite, la loi dite « NRE » du 15 Mai 200177(*), est venue supprimer un certain nombre de sanctions pénales en droit des sociétés, notamment en ce qui concerne le devoir d'information des associés par le dirigeant. Puis la loi dite de « sécurité financière » du 1er août 200378(*) et l'ordonnance du 25 Mars 200479(*) relative à la simplification du droit des sociétés ont également supprimé de nombreuses infractions parmi lesquelles on peut citer à titre d'exemple : le défaut de convocation aux assemblées générales des titulaires d'actions nominatives dans le délai légal (ancien article L 242-11 du code de commerce). Le décret du 11 Décembre 200680(*) a poursuivi le mouvement de dépénalisation et a supprimé de nombreuses infractions qui pouvaient être retenues à l'encontre des dirigeants de SARL notamment. Et enfin, le rapport Coulon, déposé le 20 Février 2008 à l'Assemblée nationale a préconisé le transfert vers la justice civile de plusieurs infractions très rarement poursuivies aujourd'hui81(*) : telle que la condamnation au paiement d'une amende de 3 750 euros prévue par l'article L 242-15 du code de commerce82(*). Nous allons désormais développer quelques cas d'engagement de la responsabilité pénale du dirigeant (I), et les moyens mis en oeuvre dans le cadre de la gestion des risques pour les éviter (II). I. Quelques cas de mise en jeu de la responsabilité pénale des dirigeants La responsabilité pénale du dirigeant peut être engagée dans de nombreuses hypothèses. A défaut de pouvoir être exhaustif, nous développerons d'une part l'hypothèse dans laquelle le dirigeant se rend coupable de manquement aux règles d'hygiène et de sécurité (A), puis nous étudierons quelques infractions prévues par le Droit des sociétés (B) : l'abus de biens sociaux et la présentation ou publication de comptes infidèles. Mais avant toute chose, il est nécessaire de préciser que tant le dirigeant de droit que celui de fait, qui exerce le pouvoir effectif de direction ou d'administration générale de la société, peut voir sa responsabilité pénale engagée dans les cas mis en valeur dans les développements suivants. * 67 _ Conférence du 6 et 7 juin 2008 organisée par Frédéric Reliquet et Stéphane Baller, membres du cabinet d'audit Ernst and Young * 68 _ Voir Annexes 4 et 5, pages 61 et suivantes : note de procédure interne relative à la contractualisation et à la législation Informatique et Libertés * 69 _ Article L442-6-I 5°code de commerce : « I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ». * 70 _ Voir recommandation de la Commission des Clauses Abusives sur les clauses concernant les recours en justice, BOSP du 24 février 1979. * 71 _ Voir Annexe n°6, page 68, Entretien avec Dominique PAGEAUD, Gestionnaire de risques, Société d'Avocats Ernst and Young. * 72 _ Voir site relatif au contrôle de gestion : http://www.controledegestion.org/ * 73 _ Article 8 de la Directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2006 relative aux contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, modifie les directives 78/660/CE et 83/349/CE du Conseil, et abroge la directive 84/253/CE du Conseil. * 74 _ Cass. Com, 7 février 1992 - Arrêt n° 23 * 75 _ Articles 441-1 et suivants code pénal : « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ». * 76 _ Expression que l'on attribue traditionnellement à Cesare Beccaria, philosophe italien du XVIIIème siècle, qui a notamment écrit « Des Délits et des Peines » en 1764. * 77 _ Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 * 78 _ Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 * 79 _ Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 * 80 _ Décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006 * 81 _ Voir les Rapports de la Documentation Française : lien suivant : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000090/0000.pdf * 82 _ Article L 242-15 code de commerce : « Est puni d'une amende de 3750 euros le fait, pour le président ou les administrateurs d'une société anonyme : 1° Paragraphe abrogé. 2° De ne pas annexer à la feuille de présence les pouvoirs donnés à chaque mandataire ; 3° De ne pas procéder à la constatation des décisions de toute assemblée d'actionnaires par un procès-verbal signé des membres du bureau mentionnant : la date et le lieu de la réunion, le mode de convocation, l'ordre du jour, la composition du bureau, le nombre d'actions participant au vote et le quorum atteint, les documents et rapports soumis à l'assemblée, un résumé des débats, le texte des résolutions mises aux voix et le résultat des votes. » |
|