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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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Annexe no 11

METEO

Février 1954 : Mars 1954 :

Minimum : - 14° Minimum : - 3°

Maximum : 11° Maximum : 19°

Moyenne mensuelle : 2, 3° Moyenne mensuelle : 8, 7°

Pluie 37, 8 mm en 13 jours. Pluie 48, 3 mm en 15 jours.

13 jours de gelée. 2 jours de gelée.

5 chutes de neige. 1 chute de neige.

- Linos de couvertures des revues scolaires « Joyeux écoliers »

(Journal mensuel publié dans la classe de Jean ROMAC, instituteur de l'école Poincaré de
Villerupt, n° 36, mois de janvier et février 1954).

Annexe n° 12

Annexe n° 13

> Entretien libre de recherche mené par Federica STORTONI avec un Français

d'origine italienne (deuxième génération) de mère et père italiens des Abruzzes.

Annexe n° 14

(Dans STORTONI (Federica), Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... ».

Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la direction du professeur NATHAN (Tobie) et du professeur CHATTAH (Rabih), Université de Paris 8 Vincennes - Saint Denis, (UFR7/Psychologie, pratiques cliniques et sociales) et université de Bologne (département de Psychologie clinique), soutenance le 16 juillet 2007).

(Lieu de l'entretien : sur la terrasse de la maison du témoin en banlieue parisienne.)

« F. S. : je fais une thèse en psychologie sur les descendants d'Italiens et je m'intéresse à ce qu'est être un Français d'origine italienne. Je m'intéresse aux choses qui restent, qui disparaissent, qui se transmettent, qui se mélangent, qui ne se mélangent pas sur plusieurs générations. Voilà le point de départ de notre dialogue mais tu peux à partir de cette piste, me

raconter ce que tu veux...

Bruno : Oui, je commence par mes parents... Je parle français ou en italien ?

F. S. : comme tu préfères.

B : oui, alors, mes parents venaient avec leurs parents, mes grands parents en France dans les années 20-30. Ma mère est venue en France, elle avait huit ans. Du côté de mon père qui vient d'un petit village à la frontière avec le Molise, c'est un petit village de 900 mètres d'altitude.

Son père a commencé à migrer aux Etats-Unis au début du siècle, pour des raisons économiques, et il avait amené ses deux fils aînés, il y est resté cinq ans. Un a fait souche là-bas, et c'est comme ça que j'ai des cousins à Boston ; et par contre le deuxième fils s'est engagé à 17 ans dans l'armée américaine, il est venu en Europe, il a pris les gaz en 14-18 et il est mort jeune, de ça. Il n'a pas eu d'enfants. L'aîné est resté en Amérique et le grand-père est rentré en Italie. Et ensuite il vient en France et là, il amené mon père la première fois. La grand-mère était restée au village pendant tout ce temps. Il est mort en France, mon grand-père.

F. S. : Il est enterré où ?

B : Il est enterré ici, en France. Pour l'anecdote, mon grand-père aux Etats-Unis envoyait des dollars, et disait à sa femme : « nourris bien les enfants, envoie-les à l'école » et elle ne faisait rien de tout ça, elle mettait de côté l'argent à la Caisse d'épargne, « cassa di Risparmio ». Après ça s'est révélé, comme on le sait, aller dans les poches des industriels du Nord, c'est l'analyse de Gramsci... mais bon ! Lorsque mon père est rentré d'Amérique, lui et la grand-mère se sont disputés pour cela. Mon grand-père ici en France a construit une « palazzina », un petit immeuble, à Drancy (avec cet argent qui restait) et ils étaient à un étage et les enfants dans les autres étages.

F. S. : la grand-mère, elle, voulait construire la maison avec l'argent et le grand--père aurait voulu envoyer les enfants à l'école.

B : Oui, ce qui était rare à l'époque pour un homme du Sud, c'est que mon grand-père était un socialiste (maçon), un pur et dur et donc, il avait de la présence, un esprit indépendant, il avait des idées progressistes.

F. S. : Et ils avaient une maison au village ?

B : oui.

F. S. : Ils repartaient au village l'été ?

B : Non, à l'époque on ne partait pas en vacances, ça n'existait pas. Du côté de ma mère, le grand-père était très petit, (il faisait un mètre quarante-neuf), il est allé avec son frère, mon oncle, en Angleterre. Ils tenaient un petit café en banlieue, et il y a eu une bagarre un soir, et ils ont été expulsés. Après ils faisaient des allers et retours entre la France et l'Italie, ils travaillaient, ils achetaient du terrain là-bas, ils se rendettaient et ils partaient en France pour faire un peu d'argent (comme maçons). Et, à ce moment là, ma mère est venue (en 1925), mais ils ne s'installaient pas, jusqu'en 1939. Ils venaient à l'origine de la Ciociaria, d'ailleurs ce nom de famille vient de cette partie de la région. Alors les deux familles étaient de deux régions différentes : l'Etat pontifical, et le règne de Naples. Mon grand-père a fait 5 enfants (une seule fille) et mon père était le dernier. Ma grand- mère a fait 6 enfants (3 filles, 3 garçons). Tout le monde est ici, sauf la famille de Boston. Mon grand-père maternel et la grand-mère sont retournés au pays et après sont décédés là-bas. Mes parents se sont connus en France, en 36, à la Villette. Ils étaient voisins, se sont mariés en 36 et en 39, à l'approche de la guerre, ils sont retournés en Italie. Mon père était philo-faciste. Mussolini disait aux Italiens de rentrer, il leur promettait des choses, et mon père a suivi. Ça lui a coûté 15 jours de prison parce que le régime disait bien : retournez en Italie, mais là d'où vous êtes originaire. Comme il n'y avait pas de travail au village, mon père a essayé de partir à Rome, mais il s'est fait arrêter, après en Grèce, en Albanie. Les oncles et les tantes, une partie est restée en France pendant la guerre, mais mon père lui, voulait retourner en Italie. Il est resté le seul de la famille très italien, il n'a pas cherché à se naturaliser. Jamais. Après ils sont revenus en France mais, ma tante, par exemple, est venue en France en 1920, elle est morte en 1980 ici. Elle n'a jamais remis les pieds au village. Pour elle, dans sa tête, c'était un pays de la faim, de la misère. Elle a transmis ça à ses enfants qui sont restés ici, mariés à de non italiens. Les autres de la famille ont gardé quelques liens avec le village. Tout le monde était de gauche, sauf mon père qui a un certain moment a été séduit par le régime fasciste parce que comme il m'a expliqué : « nous Italiens à la fin des années 30, on relevait la tête... On était maltraités par les Français ». A la Villette à l'époque il y avait les réfugiés politiques qui venaient d'Italie et mon père se battait un peu, il y avait une vraie guerre dans la même communauté italienne. Tu avais les immigrés réfugiés politiques et les autres philofascistes qui espéraient quelque chose. Il faut voir aussi dans quelles conditions ils vivaient à la ville, ils étaient dans des baraques en planches, on appelait ça « la zone ». Pendant la guerre, il y avait les petits fascistes italiens en uniforme et les autres, mais cela ne se passait que dans la communauté italienne, ils allaient embêter les autres Italiens. Jamais ils se seraient permis d'aller embêter les Français. D'ailleurs il y a eu des règlements de comptes entre Italiens dans les années 45. La guerre a été dure pour tout le monde, mon père était prisonnier en Grèce. Et ma mère, en Italie, était sur le front, la ligne Gustave, à Montecassino. Les allemands déplaçaient les populations civiles qui allaient au Nord, ma mère avait deux filles et un fils qui est mort avant moi, elles ont été amenées en camion dans le Nord. Le voyage a duré deux mois, c'était très dur, il y avait les bombardements. Et ma mère, quand elle est arrivée, elle ne tenait plus. Ils ont été très bien accueillis chez les paysans du nord, riches. Ma mère s'est refaite une santé et ma deuxième soeur est restée, jusqu'en 47 là-bas, et on voulait la garder, elle. Elle est toujours restée très liée à cette famille. Elle a vu mon père en 47, elle ne le connaissait pas. Elle parlait l'italien très bien, elle était la seule, elle appelait mon père : Monsieur. Elle est née en 39, mon père est parti en 40 à la guerre. Ma soeur qui était très courtisée par les gens du village, s'est mariée avec un Padovano, du nord qui l'a connue en France. Donc mes parents et les enfants sont venus à Paris, et moi je suis né ici, en France. Bruno, c'est mon prénom, était le chef de famille de cette famille du Nord, d'ailleurs. Avant moi, il y avait un frère qui est mort petit, et ça c'était un drame. Il, Bruno, a fait une crise énorme, il a changé depuis, il n'a plus remis les pieds dans un café avec les amis. Le petit était gardé par une nourrice. Ma mère devait travailler, il n'y avait pas de frigidaire et donc elle a laissé le lait, qui a dû tourner avec la chaleur, et il s'est choppé une

entérite. La mère de mon père a accusé un peu ma mère qui, si elle était restée à la maison, cela ne serait pas arrivé, elle aurait fait attention.

F. S. : Donc toi tu es arrivé...

B : Moi j'étais surprotégé dans l'angoisse de ma mère. Je ramenais pour mon père cet enfant mort à la vie... et cela a été beaucoup travaillé dans ma psychanalyse. A la Courneuve en 40, on ne connaissait pas bien la psychanalyse. C'était quelqu'un qui était un peu autodidacte. J'ai pensé que je voulais être géologue, j'aimais beaucoup les montagnes (de mon village), je voulais aller étudier les glaciers, ou être archéologue. Et j'ai fait l'Université, c'était en mai 68. ça a duré 11 ans, ma psychanalyse.

F. S. : tu as été baptisé ?

B : oui, à la Courneuve et c'était des gens du pays, ma marraine, mon parrain. Ce n'est pas comme en France qu'on choisit les gens de la famille, nous là-bas, c'est vraiment quelqu'un d'une vie particulièrement bien et c'est pour élargir le cercle, ils ont des liens presque sacrés. Mon parcours par rapport à l'Italianité... Je suis allé à la maternelle et la première fois qu'il y a eu quelque chose qui a fait sens, c'est à la dernière année, j'avais fait des objets qui avaient émerveillé les maîtresses. Et j'ai surpris ma maîtresse qui disait à la directrice de l'école : Non, on ne lui donne pas quelque chose c'est un Italien ! Cela a été mon premier choc. C'était en 1955, et c'était la première fois que j'étais confronté, moi, à une hostilité. J'ai raconté ça à ma mère et mes parents le soir, ils n'étaient pas contents. Je sentais une différence entre l'éducation à la maison, j'étais le petit Roi, et à l'extérieur où je devais être poli, serviable, baisser la tête. Et j'ai commencé à intégrer qu'on n'était pas chez nous : « Mon père me disait, on n'est pas chez nous, il faut être respectueux, ils nous accueillent... En gros, tu n'as pas droit à la parole toi, tu fais ce qu'on te dit de faire et voilà... C'est ça qu'il m'a transmis. Il me disait toujours, soit toujours loin de la loi, être loin de la loi : ne pas faire de bêtises pour ne pas avoir à faire à la loi ». Pour commencer, quand en 49 mon père est allé me déclarer à la Mairie, 49 c'était trois ans après la guerre, les Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : « Carlo-Bruno » et le monsieur lui a dit :
« je ne connais pas, c'est quoi ? » Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un prénom italien ».

Le monsieur a dit : « Si on est en France, il faut mettre un prénom français et mon père a
regardé les noms et a dit « Charles-Bruno ». Par la suite par rapport aux Français, c'était très rare qu'on me dise quelque chose. Mais dans la famille de mon père, j'ai entendu beaucoup de choses anti-italiennes de leur part.

Quand j'ai eu le bac, il y avait les bacheliers pour faire une fête à Paris, en 67, et moi de banlieue, j'allais à Paris (c'était rare !) et on se fait arrêter dans la manifestation et je n'avais aucun papier. Et j'étais mineur, j'avais 18 ans (21 ans, la majorité à l'époque) et la police est allée voir mon père sur le chantier, ils m'ont gardé tout une nuit : « comment ça vous n'avez pas de papiers ! » et c'est lui qui m'a dit que j'étais Italien. Ils m'ont établi une carte de séjour, jusqu'à l'age de 21 ans. Jusque-là c'était pas pour moi une vraie question, j'étais sur le passeport de ma mère et point. Et après, j'avais d'office la nationalité française à 21 ans, étant né en France. Et j'ai gardé les deux, j'ai fait militaire ici. Et la police a dit à mon père : « si on le revoit à une manif, on le renvoie en Italie », et mon père m'a menacé là. Donc, on était en 1968 et toutes les manifs (j'étais en plein dedans !), j'ai dü faire attention de ne pas être pris. Là, j'avais déjà la double nationalité comme mes filles ont maintenant. Ceux qui se sont naturalisés à 16 ans pour le travail, ou mes cousines, ils n'ont pas la double nationalité.

F. S. : Et la nourriture...

B : Ma mère cuisinait à l'italienne, les soupes « pasta1 et cice, pasta et fagiole », des pâtes avec les légumes, et non pas les pâtes avec la sauce.

1 Traduction de la langue au français: pâtes et pois chiches, pâtes et haricots.

Chez nous, il y a une tradition culinaire pauvre, ce n'est pas l'Emilie Romagne, la Toscane. Mais
ici on l'appelait pour les mariages pour cuisiner les lasagnes, les pâtes à la main. Et le dimanche
midi, les pâtes étaient pantagruéliques, ils associaient le repas italien et le français : les entrées

françaises et les légumes italiens, les pâtes (lasagnes), la viande rouge (le rôti, on ne mange pas la viande rouge en Italie) avec les légumes, ensuite le fromage (à la française, en Italie, on ne le mange pas dans nos coins pendant le repas), le dessert. On sortait tout l'après midi, et toute la famille venait. Il y avait ma soeur avec son mari qui était un descendant d'italien bien francisé, etc. Ma mère se voulait pratiquante, mais elle devait aller au marché le dimanche matin et moi j'ai fait le baptême, la communion, tout.

B : Dans ma région, ils ont émigré très très tôt, et ils ont perdu certaines traditions par rapport à certains villages très vite et les américains, les anglais italiens apportaient de nouvelles mesures. Il y avait quelque chose, une tisane, un médicament que ma mère faisait mais très peu. Ma mère faisait une tisane avec le pavot, ou la camomille, ou le tilleul pour calmer et pour dormir. Ou elle faisait de l'ail pour les intestins et le marsale avec l'oeuf pour les vitamines.

L'Italianité, c'est complexe, très complexe, je vais chercher à t'expliquer... A mes filles, les choses abruzzes se transmettent involontairement. Ma femme a tenu à ce qu'elles aient des prénoms italiens facilement prononçables en français. Moi aussi j'y tenais. Pour la langue, ma femme a tenu que les filles apprennent l'italien à l'école. Ma fille veut faire l'Erasmus à Naples. Et je suis content, pour moi symboliquement, Naples, c'est ma capitale, ce n'est pas Rome, encore moins Milan. Moi, à la maison, petit je parlais le dialecte, et maintenant, je le parle mais pas très très bien, des termes précis de l'agriculture par exemple,

On parlait le dialecte et le français. Ensuite j'ai eu une période où à l'adolescence, j'ai eu honte d'être italien, et aussi pour ce que je sentais dans la famille de mon père. Si tu veux, il y a un truc à comprendre, ce qui passe dans le langage de tous les jours, c'est que tout ce qui était français était mieux, même avec des gens qui s'intéressent aux Italiens, même ma mère un peu... mon père non, mais il n'affichait pas son italianité, il avait été fasciste et puis en Grèce, il a déchanté (il a été dégoüté... les Grecs étaient des paysans comme chez nous, on ne voit pas ce qu'on faisait chez eux alors qu'ils sont comme nous, aussi pauvres que nous...). On a du mal à se sortir de ce moule qui nous a imprégnés depuis petit que tout ce qui est français, c'est mieux. Chez les Italiens même... on est venu en France parce qu'on ne pouvait pas être en Italie.

En été je vais au village, ils arrivent, les Italo-belges, les Italo-Ecossais, eux ils ont vécu davantage en communautés et nous en France, on s'est facilement, pas assimilé, mais adapté. Assimilés il y a aussi, mais ça n'a pas réussi spécialement. Bon, moi je n'ai aucun accent, je suis bien adapté. Comme ils disent les historiens, s'il n'y avait pas eu Jules César, la Gaule (la Gallia) aurait été germanisée. On est plus proche, les Italiens et les Français, que d'autres.

Dans l'histoire, en effet, c'est que la France est toujours mieux, et la place de l'Italie, qui du point de vue international, est zéro. Jusqu'en juin 40, la France était une puissance internationale énorme. Donc en France c'est mieux ! L'Italie est belle, mais le message qu'on nous faisait passer, c'était que, en France c'était mieux, les écoles, la Santé, le système, les trains. Mon père restait discret sur son italianité, il était content quand on gagnait au sport. La fierté nationale, c'était à travers le sport, ou à partir des années 60, avec le boom économique. Tout ça dans les milieux modestes, dans les milieux bourgeois, c'est autre chose. »

> Questionnaire destiné aux témoins :

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle