Les conditions professionnelles du journaliste de la presse privée au Cameroun ( enquête)( Télécharger le fichier original )par Miriam Aurélie Fogoum Mawa Siantou Supérieur sous couvert IFASIC KINSHASA - Graduat III 2009 |
Chapitre II : EnquêteSection I : Procédure de l'enquête1. Objectif de l'enquête Pour qu'il y ait enquête, il faut au départ un problème, une rupture entre ce qu'on constate et ce qui doit être. Nous le définissons donc comme étant tout constat effectué pris en charge par des théories d'une discipline scientifique particulière. Et comme le définit également Lauriane Gaud journaliste au Canard enchaîné ajoute à ce sujet : « Une enquête est une démarche de curiosité dans un sens critique. C'est rechercher approfondir, regrouper vérifier et étayer. ». Notre problème doit être formulé de telle sorte que les hypothèses soient émises clairement. C'est pourquoi, notre enquête s'inscrit dans la logique de notre problématique, qui cherche à démontrer que le journaliste de la presse écrite privée camerounaise ne peut être efficace en vivant des conditions de travail dérisoire et qu'il lui est difficile de joindre les deux bouts. 2. Les techniques d'approche Pour mener à bien cette investigation, nous avons eu recourt à l'enquête proposée par Philippe Gaillard : «L'enquête a pour but l'étude approfondie d'un problème et plus souvent économique, politique, social ou culturel.» Les techniques que nous avons utilisées pour mener à bien notre enquête sont l'observation directe. Car comme l'indique son nom, il s'agit d'une étape au cours de laquelle nous avons observé le phénomène étudié de manière spontanée après une descente sur le terrain. Puis nous avons procédé à l'interview directe : des entretiens avec le rédacteur en chef de Mutations, de même qu'avec son adjoint, de même qu'un entretien avec le rédacteur en chef de la Nouvelle Expression et monsieur Daka du journal le Diapason. Nous avons également procédé par interview indirecte. C'est une méthode qui consiste à distribuer un questionnaire aux journalistes afin de recueillir les opinions sur les différentes questions fermées. La technique peut- être définie comme : « Une opération limitée, pratique, concrètes qui fonctionnent comme dans un instrument auquel on recourt tantôt pour l'interprétation. »47(*) Une méthode qui est une combinaison de deux techniques : le questionnaire et le choix de l'échantillon. Nous avons distribué des questionnaires aux reporters des rédactions du quotidien La Nouvelle Expression, du mensuel Ici Les Gens du Cameroun, et de l'hebdomadaire Le Diapason. Dans notre démarche nous avons recouru à la technique de l'échantillonnage par quotas, car nous avons construit un modèle réduit de la population à interroger. Il s'agit pour nous d'interroger pour chaque organe de presse les journalistes y travaillant, leur nombre étant déjà défini à l'avance. Notre enquête est classée en trois groupes : - Le premier groupe correspond à celui des journalistes de La Nouvelle Expression - Le deuxième répond à celui du magazine Ici Les Gens du Cameroun - Et le troisième appartient à celui de l'hebdomadaire Le Diapason Nombre des enquêtés Quant au nombre d'interviewés nous aurons Groupe I : 20 Groupe II : 14 Groupe III : 08 Ce qui nous donne un total de 42 personnes 3- Limites de l'enquête Notre enquête a connu quelques résistances. Sur les quarante deux questionnaires distribués, seuls quarante nous ont été retournés notamment à La Nouvelle Expression nous n'avons eu que dix huit interviewés qui ont rendu leur questionnaire. Raison pour laquelle nous avons considéré comme neutres, les deux personnes dont nous n'avons pas eu de réponses. Nous nous sommes personnellement rendus sur le terrain pour la distribution des questionnaires et pour mener nos entretiens. Nous nous sommes également heurtés à la réticence même des journalistes à recevoir les questionnaires. Certains avançaient des cas d'indisponibilité. Il nous a fallu insister longtemps pour avoir un retour. Nous avons donc fait nos calculs sur la base de quarante au lieu de quarante deux. 4- Résultats de l'enquête Q1- L'identification des enquêtés
Ce tableau représente le nombre de personnes enquêtées par sexe. Nous constatons ici que sur 40 personnes interrogées il n'y a en que dix de sexe féminin. Nous n'avons pas mené une enquête approfondie pour savoir pourquoi les femmes sont très peu représentées, mais il se dégage clairement que les femmes sont quasi absentes dans les rédactions. Une remarque que nous avons pu faire toutefois dans ces rédactions c'est que 70% de nos enquêtés se situent dans la tranche de 26 à 45 ans. Q2- Avez-vous déjà entendu parler du code du travail ?
A l'analyse de ce tableau il en ressort que tous les journalistes interviewés ont déjà entendu parler du code du travail. Tous sont conscients qu'en tant que travailleur ils ont des droits définis par la loi. Q3- L'avez-vous déjà lu ?
On constate qu'en majorité, plusieurs journalistes ont certes entendu parler du droit du travail mais très peu en connaissent le contenu. Ce qui veut dire que beaucoup de journalistes ne connaissent pas réellement leurs droits en tant que travailleur. Q4- Avez-vous déjà entendu parler de la convention collective ?
L'analyse des résultats à cette question montre que plus de la moitié des journalistes connaissent l'existence de la convention collective signée le 17 novembre dernier. Ladite convention est établie pour revendiquer et mettre en exergue les droits et les devoirs du journaliste, auprès de leurs employeurs et de la Loi. Q5- L'avez-vous déjà lu ?
Selon notre observation, moins de quinze personnes sur les 40 interviewés ne connaissent pas le contenu de leur convention collective. Beaucoup parmi eux ont fait fi du droit du travail. On pourrait presque en déduire que le journaliste est une des causes de sa condition de professionnelle et sociale médiocre. Puisqu'il ne connait pas ses droits, il ne peut donc les défendre et revendiquer un meilleur sort. Q6- Connaissez-vous le rôle des Syndicats ?
Tous les journalistes interviewés sont d'avis que le rôle des syndicats est de défendre les intérêts des travailleurs dans une perspective d'amélioration des conditions et de vie et de travail. Seulement plusieurs d'entre ne sont membres d'un groupement syndicale de journalistes Q7- Qu'est ce qui peut empêcher l'application du cadre organique (code de travail, de la convention collective)
Dans ce tableau on remarque que la question de l'application du code du travail ou encore de la convention collective divise ; Certains journalistes pensent effectivement que la situation qui prévaut est due à la fois aux difficultés financières et aux employeurs. La majorité accuse les employeurs de ne vouloir assumer les effets financiers des textes. Ils expliqueront en plus que ces derniers redoutent la liberté syndicale et le pouvoir des travailleurs. Ils estiment que les employeurs sont de mauvais gestionnaires. Pour ceux qui pensent que la situation financière n'est pas une cause, ils prennent pour exemple les fortes rentrées publicitaires qui serviraient à payer les travailleurs. Toutefois les 22,5% dont l'avis porte sur les difficultés financières avancent la faiblesse des ventes, mais aussi du marché publicitaire qui devient de plus en plus étroit. Le marché de l'emploi étant des plus ardus, le patron de presse pense donc faire une faveur aux journalistes en les employant. Q8- le salaire d'un journaliste devrait varier entre :
Il ressort de ce tableau certains détails. Notamment : plusieurs journalistes pour n'avoir pas lu la convention collective ne maîtrise pas les salaires de base qui devraient leur être attribués. Cinq journalistes de la catégorie III nous ont fait comprendre qu'un journaliste loin d'avoir un plafond fixe devrait toucher 100.000 FCFA, plus inscription à la Caisse Nationale de prévoyance sociale (CNPS), et assurance comprise si possible. Seul trois journalistes de la même catégorie ont déclaré que tout journaliste indépendamment de son diplôme devrait avoir une base de 250.000FCFA. Pour ceux du premier groupe, les journalistes quelques soient leurs diplômes devraient toucher exactement pareil. Ils mettent la barre entre 200.000 FCFA et un peu plus de 300.000FCFA. Pour ceux de la catégorie II qui ont pris connaissance de la convention collective, ils mettent le plafond au-delà de la paye indiquée par cette dernière, estimant que le diplôme (à partir de Bac + 5) et l'expérience sont un bon prétexte pour avoir un salaire au-delà de la base fixée par la convention. Nous avons eu des difficultés à classer leurs collègues qui avec un Bac + 3 et une maîtrise réclame un salaire de base de 300.000Fcfa. Mais quelque soit le classement, il ressort que le journaliste ne saurait avoir une véritable motivation à exercer son métier, lorsque son salaire ne répond pas à ses attentes. Q9- Arrivez- vous à subvenir à vos besoins quotidiens ?
L'examen de ce tableau démontre clairement que très peu de journalistes subviennent à leur besoin. Pour 27,5 % c'est assez difficile du fait d'une famille nombreuse qu'ils ont à leur charge. Pour les 62,5%, qui font la majorité il est absolument impossible de s'en sortir avec le salaire qu'ils ont à la fin du mois et qui plus est n'est pas toujours régulier. Q10- Qu'est ce qui peut empêcher le journalisme de s'épanouir financièrement et matériellement?
De ce tableau, on peut analyser que certains journalistes estiment que la loi, les employeurs et le journaliste sont un frein à l'épanouissement des journalistes. Les raisons avancées : la loi restreint l'accès aux sources et limite les privilèges du journaliste ; l'employeur met à sa disposition le strict minimum et redoute les syndicats et le code du travail. Quant au journaliste, il s'autocensure et se laisse très souvent manipuler par l'argent. De plus, les journalistes sont mal organisés et font face à des employeurs mal intentionnés dans un environnement juridique peu favorable. Il est donc peu probable qu'ils s'épanouissent matériellement et professionnellement. Par contre les interviewés pensent a près de30% que l'employeur a ses parts dans le frein à l'épanouissement professionnelle du journaliste. Certains diront : «Ils veulent tout pour eux et rien pour les autres ». Après constat, on remarque que les salaires sont en dessous des standards : «Un tel traitement va forcément influencer le rendement du journaliste » déclare un enquêté. Q11- Votre salaire est-il régulier ?
En analyse de ce tableau, nous pouvons en déduire que sur les trois entreprises de presse que nous avons sondées, seule une peut prétendre offrir à ses employés des salaires réguliers. Aucun mois n'est sauté. Par contre les journalistes des groupes I et III ne subissent pas le même sort. Q12- La dévaluation du Franc Cfa peut-elle être une cause de la crise de la presse privée ?
A cette question la majorité des interviewés a répondu par l'affirmative tout en rajoutant qu'elle a suscité une baisse des pouvoirs d'achat, suivie d'une pression fiscale, plus l'augmentation des prix des journaux détournent le lecteur des kiosques. Certains pensent également que la dépravation des moeurs influe sur la mauvaise santé du journalisme car l'information est biaisée. On ne la traite pas convenablement et on s'aliène devant les lecteurs, qui perdent confiance. Conséquences, le lectorat est en baisse car recherche une qualité qui n'est plus celle qu'il a connu. D'aucuns rajouteront même que « Le journalisme était mieux pratiqué il y a quarante ans ». Par contre 30% diront que la faute revient aux employeurs qui gèrent leur entreprise comme leur porte-monnaie. Q13- Etes-vous satisfait du matériel mis à votre disposition ?
A cette question, tous les questionnés ont répondu sans hésitation « Non». Selon eux il reste beaucoup d'efforts à faire de ce côté. Les machines sont très souvent en pannes, ou il n'y en a pas suffisamment pour se déployer sur le terrain ou encore rédiger des papiers. Certains nous avoueront qu'ils se retrouvent très souvent à travailler dans des cybers café s'ils veulent tenir le date line : «C'est autant de choses qui nous ralentissent et parfois nous démotivent un peu» avoue l'un deux. En conclusion de cette enquête, on constate clairement que le journaliste de la presse privée ne connait pas réellement ses droits car à plus de 50% il n'a pas lu le code du travail Camerounais et ne connait pas le contenu de la Convention Collective signée en novembre 2008. Ces deux codes lui ouvrent pourtant la voie vers des revendications plus objectives sur ses conditions professionnelles notamment son salaire, son droit aux congés... et des conditions sur les lieux du travail. Cependant, nous ne pouvons accabler seulement le journaliste face à ces conditions professionnelles qui n'évoluent pas. Au regard de notre sondage, la pierre est largement jetée sur l'employeur qui est considéré comme l'avare ne voulant mettre les moyens nécessaires en place pour relever la paye et faciliter les conditions de travail de ses employés. Même si les exigences économiques voire sociales ont influé sur la disgrâce de la presse écrite privée, l'employeur ou le directeur de publication y met du sien, manquant du même coup d'une véritable volonté pour assainir le travail de ses subordonnés. La loi quant à elle tire la couverture de son côté et ne facilite pas l'expansion véritable des journalistes du privée et de leurs syndicats. Le journaliste Jean Vincent Tchienehom ajoute à ce propos: « Nous sommes dans un pays qui a opté pour la sublimation d'un homme fort et le maintien d'institutions ultra faibles: pas de conseil des ministres hebdomadaire comme c'est la tradition partout, un parlement transformé en chambre d'enregistrement, un Conseil économique et social en hibernation depuis 1987, un Sénat et une Cour constitutionnelle qui tardent à se mettre en place malgré leur création il y a 14 ans, etc...La fragilisation voulue des médias procèdent de cette stratégie, d'autant plus que la presse privée est perçue comme un outil au service de l'opposition au régime. Le combat de la presse pour revendiquer des espaces de liberté et bâtir une puissance autonome risque d'être très long ».48(*). L'analyse faite de ces propos nous amène à dire que le gouvernement n'est pas favorable à une force sociale qui n'est pas sous son contrôle. Un héritage du monopartisme qui est laborieux à déterrer. Il n'est donc pas aisé pour ce « travailleur » à la situation particulière d'être plus efficace. Sa situation pourrait le pousser dans des : «Violations éthiques et déontologiques qui sont légions aujourd'hui. Sans oublier les attaques contre les personnalités, les règlements de compte, les cas de diffamation aussi » dit tristement André Naoussi journaliste du magazine Africa International. Le Rédacteur en Chef du quotidien Mutations Xavier Messe le rejoint : « Il faut qu'on soit assez bien rémunéré, car lorsqu'on n'est pas mentalement libéré, il est difficile que l'on produise bien ». * 47 _ Bwakassa Tulu K. Cité par Nyoum Benjamin, mémoire : l'utilisation des dépêches de la PANA dans la presse Zaïroise 1992-1993, P.2 * 48 _ Jean Vincent Thchienehom, entretien mené par Mohamadou Houmfa, journal du Cameroun.com |
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