L'ordonnance de la C.I.J. en l'affaire relative à des questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), demande en indication des mesures conservatoires( Télécharger le fichier original )par Etienne KENTSA Université de Douala - DEA 2010 |
CONCLUSION DU CHAPITRE IDe ce qui précède, il ressort que la Cour a fait preuve de précision et de minutie dans le processus ayant conduit à l'établissement de sa compétence prima facie. La Cour a joint la logique à l'urgence que commande la procédure incidente. La requérante ayant évoqué comme bases de compétence de la Cour, l'article 30 de la Convention contre la torture et les déclarations facultatives d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, celle-ci ne s'est pas contentée d'affirmer spontanément sa compétence prima facie. La Cour a d'abord vérifié si, prima facie, les conditions procédurales de l'article 30 étaient établies. Un accent particulier a été mis sur l'existence prima facie d'un différend entre les parties. La Cour a déclaré ces conditions procédurales réunies prima facie. Ce qui lui a permis d'affirmer sa compétence prima facie sur la base de la Convention contre la torture ; sans qu'elle ait besoin de vérifier si les déclarations des parties pourraient également fonder, prima facie, sa compétence. On a pu constater que la compétence de la Cour est largement tributaire de l'existence d'un différend entre les parties. L'appréciation de l'existence d'un différend a permis en l'espèce de remarquer qu'on est passé d'un différend manifeste, à la date du dépôt de la requête, à un différend quasi latent au moment du délibéré. Alors qu'elles étaient très perceptibles à la date du dépôt de la requête de la demanderesse, les divergences de vues des parties avaient presque disparu au moment du délibéré. En matière de mesures conservatoires, la compétence prima facie est une condition préliminaire et capitale dans la mesure où seul son établissement permet à la Cour de poursuivre l'examen des autres conditions requises. Dans cette affaire, l'affirmation de l'existence d'un différend et donc de la compétence prima facie a amené la Cour à s'étendre également sur les conditions relatives aux droits protégés. CHAPITRE II : LA CONFIRMATION DES CONDITIONS RELATIVES AUX DROITS PROTEGES Les exigences liées aux droits invoqués par la Belgique, sont aussi importantes que les exigences de la compétence prima facie et de l'existence prima facie d'un différend entre les parties. En effet, les mesures conservatoires ont pour but de sauvegarder des droits de l'une quelconque des parties ; d'où la nécessité de vérifier à l'occasion de cette procédure incidente l'existence d'un lien suffisant entre ces droits et les mesures demandées. Par ailleurs, la Cour doit toujours vérifier s'il y a urgence à protéger lesdits droits par des mesures conservatoires. L'urgence peut dès lors être légitimement considérée comme une condition essentielle et ultime en matière de contentieux des mesures conservatoires. C'est en effet l'urgence d'une situation qui amène très souvent la Cour à indiquer de telles mesures92(*). Excepté la compétence de la Cour, l'urgence est la condition qui se dégage facilement des dispositions du Statut et du Règlement de la Cour. En fait, le Statut ne prévoit aucune condition précise ; il autorise tout simplement la Cour à indiquer des « mesures conservatoires du droit de chacun si elle estime que les circonstances l'exigent » (article 41, § 1). L'article 74 du Règlement mentionne tout simplement l'urgence de la procédure en matière de mesures conservatoires et non l'urgence que présentent les circonstances d'une affaire. L'urgence est intimement liée aux droits à protéger dans la mesure où c'est uniquement en cas de risque réel et imminent de préjudice irréparable que la Cour pourra indiquer des mesures conservatoires. Ceci conduit, d'une part, à l'examen de l'exigence du lien suffisant entre les droits protégés et les mesures sollicitées (Section I) et, d'autre part, à l'analyse de l'exigence de l'urgence (Section II). Section I : La confirmation de l'exigence du lien entre les droits protégés et les mesures demandées La Cour a commencé par rappeler que le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires qu'elle tient de l'article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant qu'elle statue au fond. Ce qui l'amène à rechercher, à travers de telles mesures, la sauvegarde de droits que son arrêt définitif « pourrait ultérieurement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur »93(*). L'indication de ces mesures exige qu'un « lien [soit] donc établi entre [elles] et les droits qui font l'objet de l'instance pendante devant la Cour sur le fond de l'affaire »94(*). En plus, l'indication de mesures conservatoires ne serait possible que si les droits allégués par une partie apparaissent au moins plausibles. La vérification d'un tel lien et de la plausibilité des droits allégués nécessite tant l'examen du fondement des droits invoqués par la Belgique (§ 1) qu'un exposé de leur contenu (§ 2). § 1- Les fondements juridiques des droits invoqués par la Belgique Dans sa plaidoirie, la Belgique a revendiqué essentiellement deux droits : le droit au respect de l'obligation de poursuivre ou d'extrader et le droit à la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves. Ces droits sont prévus par des instruments juridiques internationaux et ont un caractère erga omnes95(*). L'analyse des fondements conventionnels de ces droits (A) précèdera l'examen de leurs fondements coutumiers (B). A. Les fondements conventionnels des droits invoqués par la Belgique L'Ordonnance du 28 mai 2009 mentionne uniquement la Convention contre la torture comme fondement des droits invoqués par la Belgique (le droit au respect de l'obligation de poursuivre ou d'extrader et le droit à la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves). Pourtant en dehors de cette Convention, les droits invoqués puisent également leur source dans les Conventions de Genève du 12 août 1949, pour ce qui est des crimes de guerre. Ces Conventions lient la Belgique et le Sénégal depuis, respectivement, le 3 septembre 1952 et le 18 mai 1963. Elles obligent chaque partie contractante à rechercher et à déférer les auteurs d'« infractions graves » à ses propres tribunaux ; l'État concerné peut cependant, s'il le préfère, « les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite »96(*). Éric DAVID s'est fait l'écho de l'état du droit international conventionnel en rappelant que des traités liant le Sénégal et la Belgique obligent les parties à assurer la répression des crimes attribués à Hissène HABRE par le juge d'instruction belge dans le mandat d'arrêt international et dans la demande d'extradition97(*). Il s'agit des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre, des crimes de torture et de génocide dont les auteurs présumés doivent être soit poursuivis en justice dans l'État où ils se trouvent, soit extradés vers un État qui désire les poursuivre. S'agissant principalement des crimes de torture, la Convention contre la torture, qui lie les parties (depuis le 21 août 1986, pour ce qui est du Sénégal, et le 25 juin 1999, en ce qui concerne la Belgique) oblige les États parties à poursuivre les auteurs présumés de ces crimes dans les conditions prévues aux articles 5 et 7, ou à les extrader vers un autre État partie en vertu de l'article 8. L'on se souviendra que cette règle, dans le cas particulier de Hissène HABRE, a reçu une « éclatante confirmation » de la part du Comité contre la torture, organe institué par la Convention contre la torture (article 17). En effet, le Comité avait été saisi par une requête d'anciennes victimes de Hissène HABRE alléguant une violation par le Sénégal des articles 5 paragraphe 2, et 7 de la Convention contre la torture (par son abstention à poursuivre) et demandant, à ce titre, différentes réparations. Dans sa décision du 17 mai 2006, le Comité « considère que l'État partie n'a pas rempli ses obligations en vertu de l'article 7 de la Convention »98(*). Cette disposition prévoit en substance que « L'État partie sur le territoire duquel l'auteur présumé d'un acte de torture est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, dans les cas visés à l'article 5, à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale ». Le Comité contre la torture précise d'ailleurs que : « l'obligation de poursuivre l'auteur présumé d'actes de torture ne dépend pas de l'existence préalable d'une demande d'extradition à son encontre »99(*). L'on suit alors facilement Éric DAVID, selon qui « a fortiori, s'il faut poursuivre, même s'il n'y a pas de demande d'extradition, a fortiori, il faut évidemment poursuivre s'il y a une demande d'extradition »100(*). Le Comité considère par ailleurs « qu'en refusant de faire suite à cette demande d'extradition [du 19 septembre 2005], l'État partie a une nouvelle fois manqué à ses obligations en vertu de l'article 7 de la Convention »101(*). Le Comité reconnaissait donc ce que la Belgique demande à la Cour en l'espèce, à savoir, l'obligation pour le Sénégal de poursuivre pénalement l'ex-président tchadien. Sur le plan conventionnel, les droits invoqués par la Belgique sont plus que plausibles. La Cour aurait dû relever le fait que ces droits peuvent tirer également leur source tant des Conventions de Genève du 12 août 1949 que du droit international coutumier tel que l'avait exposé la demanderesse lors des plaidoiries. B. Les fondements coutumiers des droits invoqués par la Belgique Alors même que la Belgique fondait ses droits également sur le droit international coutumier, la Cour a omis d'en faire allusion en affirmant la plausibilité de ces droits. La Cour a ainsi fait montre d'un laconisme que d'aucuns pourraient expliquer par le caractère urgent de la procédure incidente des mesures conservatoires. Cet argument ne peut cependant être retenu dans le cadre de cette étude. En effet, la Cour aurait pu dire que les droits revendiqués par la Belgique, en tant que fondés sur une interprétation possible des Conventions et du droit international coutumier, sont plausibles. Ceci ne lui aurait pas coûté un temps significatif. Le principe aut dedere aut judicare, au centre de l'affaire qui oppose la Belgique au Sénégal, est une règle de droit international coutumier exprimée par l'Assemblée générale des Nations Unies (ci-après AGNU)102(*) et par la Commission du droit international (ci-après CDI). C'est presque une lapalissade que de relever, en passant, que la fonction de la CDI consiste, aux termes de son statut, à codifier et à encourager le développement progressif du droit international103(*). Dans sa résolution 3074 (XXVIII), l'AGNU, déclare : « Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire l'objet d'une enquête et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justice et, s'ils sont reconnus coupables, châtiés »104(*). Il convient de noter que l'AGNU n'a guère précisé la portée de cette obligation. Dans la mesure, toutefois, où elle insiste sur la nécessité que les auteurs de ces crimes soient « recherchés, arrêtés, traduits en justice et, s'ils sont reconnus coupables, châtiés », on peut en déduire qu'on vise l'État du lieu d'arrestation comme titulaire de l'obligation d'assurer les poursuites s'il n'extrade pas l'auteur vers un autre État105(*). La CDI est beaucoup plus précise dans son Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité adoptée en 1996. Il ressort de l'article 9 de ce projet que : « Sans préjudice de la compétence d'une cour criminelle internationale, l'État partie sur le territoire duquel l'auteur présumé d'un crime visé à l'article 17 [génocide], 18 [crimes contre l'humanité], 19 ou 20 [crimes de guerre] est découvert extrade ou poursuit ce dernier ». A ce qui précède, l'on peut ajouter les Conventions de Genève de 1949 et la Convention contre la torture qui, selon Éric DAVID, sont autant d'expressions du droit international coutumier106(*). La Cour a d'ailleurs qualifié les Conventions de Genève de « principes intransgressibles du droit international coutumier »107(*). Il va sans dire que l'obligation de poursuivre ou d'extrader lie son titulaire envers tout État, même si le droit international conventionnel peut être plus facilement respecté en la matière. La Belgique revendique en tout cas des droits sur la double base conventionnelle et coutumière ; d'où la nécessité d'exposer leur contenu. § 2- Le contenu des droits invoqués par la Belgique La Cour a estimé qu'« à ce stade de la procédure [elle] n'a pas à établir de façon définitive l'existence des droits revendiqués [...] ni à examiner la qualité de la Belgique à les faire valoir [...]; et que ces droits, en tant que fondés sur une interprétation possible de la Convention contre la torture, apparaissent en conséquence plausibles »108(*). La Belgique a spécialement invoqué son droit de voir le Sénégal soit poursuivre, soit extrader Hissène HABRE. Toutefois, il semble important de s'attarder aussi sur le droit à la lutte contre l'impunité. On examinera donc tour à tour le droit au respect de l'obligation de poursuivre ou d'extrader (A) et le droit à la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves (B). A. Le droit au respect de l'obligation de poursuivre ou d'extrader En omettant de mentionner clairement le droit de la Belgique au respect de l'obligation de poursuivre ou d'extrader par le Sénégal, la Cour a beaucoup surpris. En fait, on aurait pu penser que la Cour reprendrait ce droit dans un obiter dictum de son Ordonnance. L'on se souviendra que, dans l'affaire Barcelona Traction (Belgique c. Espagne), la Cour a jugé que les obligations des Etats envers la « Communauté internationale » dans son ensemble, vu leur importance, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits [fondamentaux de l'homme] soient protégés109(*). Le principal organe judiciaire des Nations Unies ajoutait que « les obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes »110(*). La Belgique et le Sénégal, comme la plupart des États du monde, se sont engagés à poursuivre ou à extrader les auteurs présumés des crimes internationaux les plus graves. Cette obligation a en effet un caractère coutumier et erga omnes. Son respect par l'une des parties devient donc un droit pour les autres et vice versa. Celles-ci ont la possibilité de revendiquer le respect d'une telle obligation. Le principe aut dedere aut judicare peut être considéré comme l'un des ferments de l'ordre public international111(*). On ne peut parler d'une société internationale que si la demande de justice, qui accompagne toutes les relations sociales, peut s'exprimer dans son cadre et si elle peut y recevoir des réponses, même partielles. Selon Serge SUR, « si la justice vient à faire défaut, rien ne peut la remplacer »112(*). Pour l'auteur, la justice est comme l'air que l'on respire, invisible mais vitale. D'où la nécessité pour chaque État de respecter et d'exiger des autres le respect de l'obligation internationale de poursuivre ou d'extrader les auteurs des crimes les plus odieux. Ce système est d'ailleurs « la technique la plus efficace pour assurer l'ubiquité de la répression » 113(*) qui est au coeur du droit international pénal. Les affaires concernant la perpétration des infractions graves au droit international humanitaire et au droit international des droits de l'Homme sont devenues très fréquentes au sein des Etats. Ces infractions graves, parce qu'elles sont faites à l'encontre de l'Homme, heurtent la conscience de toutes les nations civilisées. C'est pourquoi Gérard COHEN-JONATHAN estime que, « face à l'universalité des victimes des violations des droits de l'Homme, il faut sans cesse réaffirmer l'universalité des droits eux-mêmes, et combattre pour la sauvegarde de ce patrimoine commun de l'humanité »114(*). En effet, les souffrances éprouvées par tous ceux qui sont maltraités ou torturés, quelles que soient leur race, leur religion, leur nationalité, sont identiques. Dans cette perspective, l'effort de décriminalisation de la société internationale, à travers la mise en oeuvre du principe aut dedere aut judicare, doit être partagé par tous les États. C'est dire si le droit au respect de ce principe appartient à tous ces États. Comme le note justement Cherif BASSIOUNI, « les Conventions internationales et régionales, de 1963 à 2001, ont renforcé la notion aut dedere aut judicare et cela a donné à la coopération pénale internationale dans certains domaines un automatisme qui a été en quelque sorte la feuille de vigne qui a couvert la nudité partielle de la souveraineté nationale »115(*). Le chemin reste toutefois assez long si l'on considère un tant soit peu l'attitude laxiste ou réticente des États pour ce qui est de la mise en oeuvre de cette règle. Xavier PHILIPPE fait d'ailleurs remarquer que »in many cases the aut dedere aut judicare principle remains purely theoretical, and states that have courageously tried to implement the principles of universal jurisdiction and complementarity in a more systematic and concrete manner through their national legislation have not been long in realizing that the constraints of realpolitik or diplomacy clashed with the concept of universal jurisdiction»116(*). Au-delà d'un droit spécifique de la Belgique au respect du principe aut dedere aut judicare par le Sénégal, on peut, sur la base du droit international conventionnel et coutumier, affirmer que le respect dudit principe est en même temps un droit et un devoir pour chaque État vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble. Ce que l'Ordonnance du 28 mai 2009 aurait dû relever dans un de ses obiter dicta. L'on peut en effet relever, à la suite d'Alain PELLET117(*), que dans la droite ligne du dictum de la CIJ dans l'affaire Barcelona Traction, tout Etat peut mettre en cause la responsabilité de l'auteur d'un crime, même sans en être la victime immédiate. La Belgique, comme tout État, peut également prétendre à un droit plus général à la lutte contre l'impunité. B. Le droit à la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves Dès l'abord, l'on se doit de préciser que la Cour n'avait pas à se pencher spécialement sur le droit de la Belgique à lutter contre l'impunité des crimes les plus graves. En fait, l'on ne doit pas perdre de vue que l'Ordonnance du 28 mai 2009 n'est que l'aboutissement d'un incident de procédure. A ce titre, la Cour doit tout simplement se préoccuper de sauvegarder par des mesures conservatoires les droits que l'arrêt qu'elle aura à rendre ultérieurement pourrait éventuellement reconnaître à l'une des parties. Les atrocités qu'a connues la société internationale, d'abord, notamment pendant les deux conflits mondiaux, et ensuite, dans le cadre des conflits armés internationaux et internes récents, ont suscité chez des États une volonté réelle de lutter contre l'impunité de celles-ci. Cette volonté punitive a eu pour résultat le développement d'un arsenal juridique coutumier et conventionnel en faveur de la répression internationale des infractions graves. C'est ainsi que le droit international oblige les États à lutter contre l'impunité des auteurs de telles infractions. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter les Conventions de Genève du 12 août 1949 (notamment l'article commun aux quatre Conventions118(*)), la Convention contre la torture (articles 5, 6 et 7), le Statut de la CPI (préambule, considérants 4 à 6119(*)) et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies de 2003 sur la situation en Côte d'Ivoire120(*), en République Démocratique du Congo121(*) et en Sierra Leone122(*). Ces exemples montrent bien que la volonté de réprimer efficacement les crimes internationaux et d'obvier les cas d'impunité se trouve le mieux assurée par l'obligation faite aux États de traduire les auteurs présumés en justice123(*). L'objet principal de la plupart de ces textes est de combattre l'impunité et d'exercer une répression efficace des infractions graves, en assurant qu'une juridiction nationale sera toujours compétente à l'égard de celles-ci. Le juge CANÇADO TRINDADE pense d'ailleurs que, dans le cas d'espèce, «the right to be preserved is ultimately the right to the realization of justice, the right to see to it that justice is done...»124(*) L'obligation pour les États de lutter contre l'impunité des crimes internationaux ne faisant plus de doute, ne peut-on pas dès lors affirmer que chaque État a également le droit d'en exiger l'observation des autres ? Certainement dans la mesure où l'État violerait le droit international et où sa responsabilité internationale se trouverait engagée en cas de non respect de son obligation de réprimer les infractions graves. Le non respect de cette obligation par l'amnistie des crimes en cause ne serait pas opposable aux États ayant compétence pour connaître desdits crimes, ceux-ci pouvant toujours entamer des poursuites contre les auteurs présumés125(*). De fait, certains États (notamment la Belgique126(*) et l'Espagne) affirment avec force l'exigence de mettre fin à l'impunité en se substituant aux juges nationaux ou au for du territoire, « coupables » d'omission, car ils n'engagent aucune poursuite contre les auteurs présumés de crimes gravissimes127(*). Ces États remplissent ainsi leurs obligations conventionnelles au risque de courroucer leurs homologues. Il faut noter, pour le déplorer, que, même si le droit international exige la lutte contre l'impunité, certains États n'y accordent pas toujours beaucoup d'attention. Il s'agit là d'un « décalage frappant entre les potentialités du droit et leur usage effectif » évoqué par Antonio CASSESE128(*), d'un contraste déplorable entre le discours politico-diplomatique et la pratique judiciaire. De ce qui précède, il ressort que les droits invoqués par la Belgique sont bien fondés et c'est à bon droit que la Cour a affirmé leur plausibilité. Dès lors, il reste à examiner la dernière exigence pour l'indication des mesures conservatoires, l'urgence, pour dire s'il existait en l'espèce un risque de préjudice irréparable aux droits invoqués par la demanderesse. * 92 _ Voir C.I.J., Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, Ordonnance du 15 mars 1996, Rec. 1996, p. 22, § 35. La Cour déclare dans cette Ordonnance que « de telles mesures ne sont justifiées que s'il y a urgence ». * 93 _ Cf. C.I.J., Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, Rec. 1993, p. 19 ; C.I.J., Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d'Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 5 février 2003, Rec. 2003, p. 89, § 48 ; C.I.J., Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 17 juin 2003, Rec. 2003, p. 107, § 22 ; C.I.J., Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), ordonnance du 13 juillet 2006, Rec. 2006, p. 129, § 61, etc. * 94 _ Voir C.I.J., Questions concernant des obligations de poursuivre ou d'extrader, op. cit., p. 13, § 56 ; C.I.J., Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, Rec. 2008, § 118). * 95 _ Le respect de ces droits aboutit au respect et à la protection des droits de l'homme. Et c'est le lieu de préciser que « l'obligation de respecter les droits de l'homme [est] une obligation erga omnes » ; cf. Gérard COHEN-JONATHAN, « Responsabilité pour atteinte aux droits de l'homme », S.F.D.I., Colloque du Mans (1990), La responsabilité dans le système international, Paris, Pedone, 1991, pp. 101-135 (spéc. pp. 123-124). Alain PELLET va un peu plus loin en affirmant que « les normes protectrices des droits de l'homme sont, sans aucun doute, le domaine privilégié du jus cogens », in « " Droits-de-l'hommisme " et droit international », op. cit. (supra, note n° 3), p. 173. * 96 _ Article 49 de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (CG I) ; article 50 de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (CG II) ; article 129 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (CG III) ; article 146 de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (CG IV). * 97 _ Cf. CR 2009/8, p. 28 (DAVID). * 98 _ Op. cit. (supra, note n° 28), § 9.9. * 99 _ Ibid., § 9.7. * 100 _ CR 2009/8, p. 29 (DAVID). * 101 _ Op. cit.(supra, note n° 28), § 9.11. * 102 _ L'article 13 de la Charte des Nations Unies donne mandat à l'AGNU de « provoque[r] des études et [de faire] des recommandations en vue de : [...] encourager le développement progressif du droit international et sa codification [...] ». * 103 _ Cf. statut de la CDI, articles 1, 18 et suiv., A/Rés. 174 (II) du 21 novembre 1947, modifié en 1950, 1955, 1956, 1961 et 1981. * 104 _ § 1, A/Rés. 3074 (XXVIII) relative aux Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, adoptée à l'unanimité le 3 décembre 1973. * 105 _ Voir Eric DAVID, op. cit. (supra, note n° 19), p. 5. * 106 _ CR 2009/8, p. 30 (DAVID). * 107 _ C.I.J., Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, Rec. 1996 (I), p. 257, § 79. * 108 _ C.I.J., Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader, op. cit., p. 13, § 60. * 109 _ C.I.J., Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), arrêt du 5 févr. 1970, Rec.1970, pp. 3-53 (spéc. P. 32, § 33). * 110 _ Ibid. * 111 _ Voir à ce sujet Cherif BASSIOUNI, op. cit. (supra, note n° 18). Cet auteur pense que « les obligations des Etats requièrent leur exécution en conformité à un axiome « aut dedere aut judicare » » (p. 13). Cette notion provient d'une formulation plus longue mise au point par Hugo GROTIUS en 1624 et abrégée dans la formule « aut dedere aut punire » (Hugo GROTIUS, De jure belli ac pacis, livre II, chapitre XXI, sections III et IV). * 112 _ Serge SUR, « Justice, justices », Questions internationales, n° 4, novembre-décembre 2003, pp. 4-5 (spéc. p. 4). * 113 _ Serge SUR, op. cit. (supra, note n° 18), p. 10. * 114 _ Gérard COHEN-JONATHAN, « Les droits de l'homme, une valeur internationalisée », Droits fondamentaux, n° 1, 2001, pp. 157-164 (spéc. pp. 157-158), http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df1cjdhvi.pdf (consultée le 18 septembre 2009). * 115 _ Cherif BASSIOUNI, op. cit. (supra, note n° 18), p. 5. * 116 _ Xavier PHILIPPE, op. cit. (supra, note n° 12), p. 378. * 117 _ Alain PELLET, « " Droits-de-l'hommisme " et droit international », op. cit. (supra, note n° 3), p. 174. * 118 _ Cf. supra, note n° 96. * 119 _ Ces considérants se lisent comme suit : « Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale, Déterminés à mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes, Rappelant qu'il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux, » * 120 _ S/Rés. 1464 (Côte d'Ivoire), adoptée le 4 févr. 2003, § 7 : « Condamne les graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire intervenues en Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002, souligne la nécessité de traduire en justice les responsables et demande à toutes les parties, notamment le Gouvernement, de rendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher de nouvelles violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, en particulier à l'encontre des populations civiles quelles que soient leurs origines ». * 121 _ S/Rés. 1468 (RDC), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4723ème séance du 20 mars 2003, §§ 6-7. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité soulignait notamment que « le gouvernement de transition de la République démocratique du Congo dev[ait] rétablir l'ordre public et le respect des droits de l'homme et mettre fin à l'impunité sur toute l'étendue du territoire » (§ 6). * 122 _ S/Rés. 1470 (Sierra Leone), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4729ème séance le 28 mars 2003, préambule, 7e considérant : « Soulignant qu'il importe que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et la Commission de la vérité et de la réconciliation prennent des mesures efficaces en ce qui concerne les questions d'impunité et de responsabilité et la promotion de la réconciliation ». * 123 _ Voir Paola GAETA, « Les règles internationales sur les critères de compétence des juges nationaux », in : Antonio CASSESE et Mireille DELMAS-MARTY (dir.), Crimes internationaux et juridictions internationales, Paris, PUF, 2002, p. 191-213 (spéc. p. 203). * 124 _ Op. diss. CANÇADO TRINDADE, p. 23, § 95. * 125 _ Voir Paola GAETA, op. cit. (supra, note n° 123), p. 203. * 126 _ Eric DAVID relève la « transformation de la Belgique en paradis pénal », in « Une règle à valeur de symbole », in : Politique-Revue de débats, Bruxelles, 2002, n° 23, p. 14. * 127 _ Voir Antonio CASSESE, « Conclusions générales », in : Antonio CASSESE / Mireille DELMAS-MARTY (dir.), Crimes internationaux et juridictions internationales, op. cit. (supra, note n° 123), pp. 255-261 (spéc. p. 256). * 128 _ Ibid. |
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