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La maltraitance dans le signalement et le placement le juge, l'éducateur et l'enfant en situation de placement

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par Philippe Martaguet
Université de la Sorbonne nouvelle - D.H.E.P.S. Master 1 2009
  

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4.1Le recrutement de l'équipe éducative

A la rentrée de septembre, neuf postes d'éducateurs sur dix étaient pourvus. L'équipe éducative ne comptait aucun personnel diplômé, travaillant auprès des enfants. Sont ce les limites budgétaires qui ont induit ce recrutement? Je n'ai pas de réponse, mais l'équipe éducative des deux structures se présente ainsi aujourd'hui:

Un éducateur, non diplômé avec sept ans d'ancienneté, aucune expérience précédente. Deux éducateurs, non diplômés avec moins de deux d'ancienneté, aucune expérience précédente. Une éducatrice, non diplômée avec un an environ d'ancienneté, et dix ans d'expérience. Deux éducateurs, non diplômés avec six mois d'ancienneté et deux ans environ d'expériences en C.E.R. (centre éducatif renforcé). Un éducateur, non diplômé avec six mois d'ancienneté, aucune expérience précédente. Un éducateur, non diplômé avec quatre mois d'ancienneté, aucune expérience précédente. Un éducateur qui vient d'arriver, aucune expérience précédente. Seule la directrice est diplômée.

Fort de ce constat, j'ai demandé à la directrice que des formations soit données aux éducateurs. Dans l'immédiat rien n'a été mis en place.

Pour ma part, je suis le plus ancien au sein de l'équipe. A mon arrivée, l'équipe éducative était composée de quatre éducateurs. Deux éducateurs spécialisés avec une ancienneté de plus de dix ans pour l'un, et plus de vingt cinq ans pour l'autre. Un moniteur éducateur avec une ancienneté de sept ans environ. Un dernier dont je n'ai plus souvenir des diplômes ni de son ancienneté.

Quand, vous intégrez une équipe ainsi construite, les compétences de chacun vous aident, apportent toutes les bases de votre travail.

4.2 Présentation du rôle de l'éducateur

L'éducateur, en internat au sein du foyer J.C.L.T. de Goussainville, a pour rôle :

La gestion du groupe de jeunes au quotidien, sur et hors de la structure durant ses heures de présences.

La prise en charge individuelle d'un ou deux jeunes, prise en charge appelée référence.

L'éducateur est le moteur de la mise en place des règles de vie de l'institution. Il est le garant de la sécurité, du respect de la dignité de chaque jeune. Il se doit d'établir et ou de veiller au lien des jeunes avec leur famille en conformité avec les demandes du juge. Il est, dans le cadre d'une référence d'un jeune, le lien entre ce dernier et l'ensemble des partenaires extérieurs agissant dans l'intérêt de l'enfant.

L'éducateur se doit de transmettre régulièrement à l'A.S.E., au juge des rapports et synthèses relatant le comportement du jeune au sein de la structure.

Rôle théorique

Réveiller les jeunes le matin, afin qu'ils se rendent au collège. Avant leur départ, nous nous assurons qu'ils ont bien pris leur douche, déjeuné et fait leur lit.

Pour ceux qui ne sont pas scolarisés, soit: ils sont malades, nous les laissons dormir. Ils sont renvoyés de l'école, et dans ce cas, en sanction: nous les réveillons plus tôt que tout le monde, afin qu'ils préparent le déjeuner de leurs camarades, et après leur départ pour l'école, ils aident la femme de ménage et la lingère à l'entretien des locaux (aujourd'hui la maîtresse de maison). L'après midi, ils sont consignés dans leur chambre pour faire des devoirs

.Pour les autres, qui ne sont ni malades, ni renvoyés, nous les réveillons au plus tard à 9 heures. La journée, si nous n'avons aucun jeune sur la structure, nous en profitons pour rédiger nos rapports, et/ou nous mettre en contact avec les services extérieurs, types A.S.E. (aide sociale à l'enfance) ou P.J.J. (protection judiciaire de la jeunesse), cela dépend dans quel cadre l'enfant nous est confié.

Nous assurons une permanence dans le cas où un collège aurait besoin de nous joindre, ainsi nous pouvons intervenir tout de suite.

Au retour des jeunes, en général vers 17 heures, nous leur servons un goûter. Contrôlons leur carnet de liaison, afin de s'assurer que leur journée au collège c'est bien passée et les aidons à faire leurs devoirs.

Vers 18 heures, nous préparons le repas avec quelques jeunes pendant que les autres sont en salle d'activité, où ils finissent leurs devoirs.

A 19 heures, nous dînons tous ensembles, c'est un moment agréable, de partage dans la discussion. Les sujets de discussions sont bien souvent apportés par l'éducateur. Ils sont induits par le comportement du groupe durant les jours, et ou la journée précédente. Comportement qui peut être positif ou négatif.

Les soirées sont partagées entre: douches, jeux ou discussions dans les chambres.

Les journées présentent toutes le même rituel, rituel qui s'avère être cadrant pour les jeunes. Seul le week-end se présente différemment.

Généralement, le groupe est plus restreint: cela nous permet d'apporter plus d'attention aux jeunes présents. Ces derniers n'ont pas l'autorisation de rentrer chez eux. Il faut savoir que c'est le juge qui décide de la pertinence du retour en famille lors de la demande de placement, et que nous sommes dans l'obligation de nous conformer à cette mesure. Pour ces derniers, nous organisons des sorties, cinéma, base de loisirs, soirées télévision, et autres.

Ce cadre sécurisant permet de créer des liens avec les jeunes. Lien de groupe, et ou lien individuel.

La préparation du repas est l'un de ces moments. Autour des fourneaux, les jeunes se mobilisent plus pour partager avec l'éducateur, une discussion qu'ils auront amenée, soit autour d'un thème défini par l'adulte. Régulièrement c'est le moment que je choisis échanger avec les jeunes sur les règles de vie.

J'explique pourquoi nous ne devons pas en déroger. Le principe du cadre sécurisant pour les jeunes.

Le lien individuel se fait bien souvent à la demande du jeune, demande énoncée, souvent le soir au moment du coucher. Notre rôle est de décoder sa demande.

Pour simplement gagner du temps avant d'aller au lit, et celui qui éprouve vraiment le besoin de parler.

L'autre partie de notre travail est la référence d'un jeune. Travail, qui se décline comme suit en théorie:

La référence signifie devenir l'interlocuteur privilégié du jeune et de tous les intervenants extérieurs, qui ont un lien avec ce dernier; comme la famille, le référent A.S.E., le collège, autres...

Nous l'accompagnons à tous ses rendez-vous, chez le médecin, acheter des vêtements. Autant de moments où nous sommes seuls avec lui, moments privilégiés pour le jeune, mais aussi pour l'adulte. Ces moments duels nous permettent de travailler sur son avenir, ces souhaits vis-à-vis de sa famille, de son avenir proche ou plus lointain. Ce qui me surprend le plus, lors de ces échanges, est que les jeunes énoncent facilement les points qui leur semblent positifs dans leur prise en charge, analysent avec justesse les raisons de ce dernier. Réfléchisse avec sincérité sur leur avenir. Il juge avec pertinence le retour au sein de leur famille. C'est de ces échanges que nait la rédaction des écrits de type: synthèse que l'éducateur présentera au juge lors de l'audition de la reconduite de la demande de placement.

Le plus délicat, dans ce type de relation pour l'éducateur est de savoir garder assez de distance, et de neutralité. Ne pas perdre de vue:

Nous ne sommes pas les parents, nous sommes des éducateurs. Nous ne sommes pas les parents, mais sommes la référence adulte de leur quotidien.

Etre référence adulte du quotidien, c'est permettre aux jeunes de se projeter dans l'avenir aux travers de nos accompagnements. C'est leur permettre de prendre confiance en notre société et aux adultes qui la composent. De par notre rôle, nos interventions, nous influençons de manières positive ou négative le comportement des jeunes.

Théoriser, le rôle de l'éducateur, c'est théoriser les relations humaines, entre l'adulte et l'enfant. Mais la pratique montre que la théorie ne suffit pas nécessairement quand l'un et ou l'autre des acteurs n'est pas assez armé face à certaines situations.

Comment réagir, quand un jeune se met à insulter l'éducateur, insulter sa mère par exemple et que cela renvoie ce dernier à son histoire de vie. Dans ces moments, le jeune peut devenir maltraitant pour l'adulte. Et ce dernier apporter une réponse du même acabit au jeune.

Mais certaines maltraitances de la part d'adultes, professionnels de l'éducatif au sein de structure peuvent être violentes pour les jeunes. Violence verbale, comme cet éducateur, qui appelait un jeune «gros lard» parce que ce dernier avait une surcharge pondérale. Violences physiques, comme lorsqu'un éducateur «plante» une fourchette dans le bras d'un jeune ou lorsqu'un éducateur fait une balayette à un jeune. Violences psychologiques, pour les jeunes qui sont témoins de ces scènes. Psychologique et physique quand lors d'un transfert, un jeune tombe en moto, se brûle avec le pot d'échappement de cette dernière. Pour seul réponse, on ne le soigne pas.

Chapitre 4

Définition de la maltraitance

...Maltraitance et bientraitance semblent donc s'opposer parce qu'elles font référence au mal et au bien traiter, mais plus précisément parce qu'elles font référence à la pulsion de mort et à la pulsion de vie. La maltraitance, c'est ce qui rétrécit ou détruit la vie physique et psychique.

La bientraitance, c'est ce qui encourage leur continuité, qui favorise la pensée, même dans les situations les plus souffrantes, la plus grande des maltraitances étant probablement d'empêcher la liberté de pensée...15(*)

1. Etymologie

Avant d'aller plus loin dans ma recherche, il me parait important et judicieux de définir le mot «maltraitance». Définir ce dernier devrait me permettre de mettre en exergue les différentes formes, définition et interprétation faites à ce mot. Au travers de ces définitions naîtra mon appropriation, et ma propre interprétation qui mènera ma recherche.

Avant de porter ma réflexion sur l'approche contemporaine de la définition, je porterai mon regard sur la définition étymologique du mot. La définition étymologique est un paradoxe de par son double sens contradictoire dont l'usage actuel ne retient que le versant négatif.

En effet, «traiter» est issu du latin «tractare» qui signifie à la fois «s'occuper de» ou «caresser» et «traîner violemment» puis «manipuler» où «conduire». Au seizième siècle «traiter quelqu'un signifiait « le recevoir à sa table», «l'accueillir chez soi» de la naîtra le mot «traiteur». C'est au dix-septième siècle que maltraiter à prit la signification de «traiter durement. Ma définition sera issue des définitions actuelles, même s'il me paraissait important de rappeler la contradiction étymologique.

Je commencerai par définir la maltraitance en reprenant les références de Félix GAFFIOT16(*). Cette définition commence par un sens poétique; traîner avec violence, notamment par les cheveux; d'où l'idée de maltraiter en tiraillant. Plus couramment, ce même verbe signifie toucher souvent, manier, prendre soins (exemple des deniers publics, d'une opération de guerre) Je retiendrai la troisième acception de cette définition (se comporter, se conduire en vers quelqu'un de telle ou telle manière) qui rejoint nos préoccupations de bien ou mal traiter.

En 1968, Albert DAUZAT17(*), au travers de sa définition dans le Larousse étymologique et historique ne donne pas de définition directe du mot maltraiter mais définit traiter. Il rapporte ce mot au latin tractare, fréquentatif de trahere dont sont dérivés traire, trayon, sans oublier l'arme de jet qu'est le trait. Le verbe traiter ajoute une connotation de traîner, puis celle de manier, pratiquer, agir à l'encontre de quelqu'un. Au début du XVIème siècle apparaît maltraiter.

Le grand Robert dit du mot traiter provenant de tractare, On peut traiter quelqu'un aimablement ou, au contraire durement; dans ce cas c'est le traiter mal, le malmener, où le maltraiter. On découvrira aux travers des définitions, les définitions synonymiques de maltraiter.

Vient ensuite un modèle un peu plus complexe, bien qu'apparaissant aujourd'hui comme très réducteur, à savoir le modèle de la dégénérescence, qui s'est principalement développé, on le sait, au cours du XIXème siècle.

Dans ce cadre la maltraitance apparaît comme une sorte de voie finale obligée venant concerner des enfants inscrits au bout d'une filiation progressivement endommagée, de génération en génération, par les ravages de l'alcoolisme et de maux divers. La maltraitance ne représente au fond ici que la catastrophe ultime et attendue d'une dégradation psychologique acquise, mais définitivement inscrite et transmissible. Comme pour cette famille, dont le fils était scolarisé sur mon lieu de travail à l'hôpital.

Lorsque je fais le signalement pour maltraitance l'assistante sociale me répondit:" On connaît la famille, la mère, les oncles et tantes ont des dossiers chez nous...!»

2.La bien traitance

On ne peut traiter le sujet de la maltraitance sans faire référence à la bien traitance. Concept apparu dans notre vocabulaire (GABELL et coll. 2000)18(*) peut être pour faire contre pouvoir au concept de maltraitance qui mobilise tellement nos émotions. Il nous renvoie à ces deux idéaux de notre culture: La famille et l'enfance.

La bien traitance serait donc non seulement la réponse la plus adaptée possible au besoin de la personne (au sens de WINNICOT qui définit la mère suffisamment bonne)19(*), mais aussi le droit pour chaque enfant maltraité de rencontrer un environnement «suffisamment bon», susceptible de re-mobiliser ses forces vitales, de renforcer ces assises narcissiques, une relation sécure à l'environnement amenant l'enfant à saisir implicitement que la vie est bonne à vivre et suscite le désir de continuer l'existence. La bien traitance c'est peut être d'abord tout simplement l'espoir de rompre avec le malheur dont se sont habillées certaines familles depuis des générations, comme une seconde peau. La bien traitance c'est encore aider l'enfant à renouer les liens d'une histoire de vie chaotique ou les traumatismes, les blessures et carences narcissiques20(*) ont laissé les traces d'un mal de vivre. Penser les maux d'une enfance trop vite écoulée, laisser à ces enfants précocement mûris, le droit de régresser.

Alphonse d'HOUTAUD, et Michel MANCIAUX21(*) au travers du livre, «bien traitances, mieux traiter familles et professionnels» font un aparté, non étymologique mais de sens des mots sévices et sévérité, en s'interrogeant sur l'exagération sévérité, en latin severus, au sens de grave, sérieux, austère, puis de dur, rigoureux. Le mot sévérité qualifie les personnes promptes à punir ou à blâmer avec justice rigoureuse, dite sévère. Sévir, qui vient du latin saevir (être furieux, user de violence) avait au XVIème siècle le sens d'être en colère. D'où celui d'exercer une répression avec rigueur.

Derrière les termes de violences et de violent, il y a le latin vis, qui signifie la force, la vigueur; par exemple la force d'un courant d'eau. L'emploi de la force est susceptible d'entraîner l'animosité, parfois la violence; dans ces cas les plus extrêmes, des violences. En français est dit violent quelqu'un qui agit sans retenue, qui est brusque, impétueux, irascible, coléreux. On parle de sentiments violents; une passion, un amour, un chagrin, une fureur, une peur. La même variété de sens se retrouve dans le substantif «violence».

La bien traitance est devenue en quelques années un terme conceptuel dans le domaine social. Dans une interview du 06 février 200922(*), Isabelle DONNIO, psychologue enseignante à l'école des hautes études de la santé publique de RENNES, membre de Psychologie et vieillissement (association engagée sur la réflexion de la maltraitance vis à vis des personnes âgées) pose cette réflexion: «... Alors que la notion de maltraitance apparaissait comme une préoccupation de plus en plus partagée par les professionnels du secteur soucieux de faire évoluer leurs pratiques, nous avons assisté au cours des ans à un glissement sémantique substituant progressivement le mot «bien traitance» à celui de «maltraitance»

3. Connaissances en matière de maltraitance

Très schématiquement, on peut repérer plusieurs modèles étiologiques successifs dans le champ de la maltraitance. La maltraitance a d'abord, me semble t-il, été conçue comme une conséquence directe de la pauvreté et de son cortège de conséquences néfastes (promiscuité, alcoolisme des parents, dénuement matériel).... C'est en quelque sorte le stéréotype de «la Cosette» des misérables qui sert d'emblème à cette conception du déterminisme de la maltraitance. Les choses sont en réalité plus complexes.

Les mécanismes des liens de pauvreté et sévices ont en effet été étudiés de manière de plus en plus détaillée, permettant de distinguer l'impact des conséquences indirectes de la pauvreté (troubles nutritionnels, prématurité, accidents et handicaps divers, «pseudo débilité sociogenèse» et «maladie de l'échec scolaire» selon les termes de Stanislas TOMKIEWICZ altération de la qualité des liens parents/enfant...) de celui de ces conséquences directes (précarité des conditions de vie due au chômage, à l'isolement social et à la dégradation des relations intra-familiale, exploitation commerciale ou sexuelle des enfants).... Mais les liens entre la pauvreté et les sévices physiques, les négligences graves et les abus sexuels au sein de la famille sont des études plus délicates.

En tout état de cause, l'hypothèse selon laquelle la maltraitance touche tous les milieux sociaux et qu'elle n'est pas l'apanage des familles les plus défavorisées... Hypothèse au demeurant fort plausible. Le poids indéniable de la pauvreté dans le déterminisme d'un certain nombre de maltraitances est important. Ces deux premiers exemples mettent en exergue la misère sociale: les enfants maltraités sont alors perçus comme des doublements défavorisés, individuellement et sociologiquement.

C'est seulement dans le troisième modèle qu'une place peut être réservée à la maltraitance des beaux quartiers. Il s'agit en effet du modèle psychodynamique:

La maltraitance est désormais comprise comme fondamentalement surdéterminée (référence faite à une dimension poly factorielle), mais centrée sur l'ambivalence des parents à l'égard de leur enfant et par le conflit intra psychique primaire entre les pulsions de vie et les pulsions de mort. Le, on bat un enfant de Sigmund FREUD23(*) ne reconnaît dès lors théoriquement plus de frontière sociale; Il est par essence ubiquitaire et la compulsion de répétition vient rendre compte des reprises trans-générationnelles de maltraitance, qui font parfois figure de destinée infernale. La psychanalyse n'allant cependant pas susciter nombre de résistances, là encore un voile sera progressivement jeté sur le sadisme des familles favorisées et même ce modèle se verra en fait beaucoup souvent évoqué, alors que rien ne l'y prédestinait pourtant, dans le cas des familles en difficulté, qu'on le veuille ou non, FREUD n'en fini pas de faire scandale et tout est toujours bon à prendre pour contester l'universalité de ces découvertes.

Plus récemment enfin la théorie de John BOWLBY24(*)(1907- 1990 un psychiatre et psychanalyste, célèbre pour ces travaux sur le lien mère/enfant) Théorie sur un nouveau modèle d'attachement, l'attachement: «sécure» où «insécure».

Des parents qui se font, à tort ou à raison, une représentation insécure de leurs premiers liens d'attachement dans leur prime enfance courent un grand risque de mettre en place avec leur enfant des interactions qui vont amener celui-ci à se forger également des modèles d'attachements insécures.

Le poids de ces «modèles internes opérants» parait ainsi énorme et le degré de liberté et la marge de manoeuvre seraient alors infimes. Ce dernier modèle a le mérite de prendre en compte les risques de répétition et cela dans n'importe quel milieu social. Ce à quoi il faut ajouter que la conjoncture économique générale, difficile depuis un certain nombre d'années, a fait paradoxalement surgir au sein même des familles classiquement favorisées un risque de chômage et de désorganisation familiale qui ramène à ciel ouvert le spectre de la maltraitance et des passages à l'acte dans des milieux où la censure sociale conduisait à ne pas vouloir les apercevoir.

Cette théorie montre ô combien la notion de maltraitance est fruit et réflexion de subjectivité dans sa définition et perception. Je me dois d'intégrer cette approche car ma propre définition risque d'être induite par ma propre subjectivité.

4. Perception et appropriation de la définition de la maltraitance

On se rend compte au travers des écrits, des textes de lois, des colloques organisés par les chercheurs, que la réflexion apportée aux situations de violences des enfants aux seins de notre société a toujours existé.

Alors qu'en 1975 la notion de mise en danger apparaissait dans la loi au travers de l'article 375 du code civil. En 1979, Pierre STRAUSS25(*) était un des premiers invités des «mardis scientifiques» du centre Alfred BINET. La salle était pleine; toutes les équipes étaient présentes, ces activités ayant un grand succès. Pierre STRAUSS arrive avec les diapositives faites à l'hôpital des enfants malades et commente des situations cliniques montrant des photos insoutenables d'ecchymoses, brûlures, fractures, hématomes...Doucement, modestement, il racontait ces histoires de famille, la souffrance des enfants et la salle se vidait progressivement.

Le mot «maltraitance» est «tabou» social jusque dans les années 1975. Le terme de maltraitance est apparu dans les textes de la loi du 9 juillet 1989. Loi relative à la prévention ou mauvais traitement sur mineur.

A 18 heures, à la fin de son exposé, il ne restait que trois personnes. Certains étaient partis discrètement, gênés, d'autres partaient en protestant, et seul l'affection qui liait certains à Pierre STRAUSS a empêche qu'il ne soit interrompu. Ce pauvre Pierre STRAUSS, quelle exhibition! Où va-t-il chercher tout cela? A-t-on entendu au travers de la salle.

A l'évidence, en 1979 l'évidence clinique était violemment niée. Cet exemple nous permet de constater, le décalage entre les textes et l'opinion public. L'acceptation des violences par la population n'est pas acquise par la promulgation d'une loi. Il faut voir au travers de cet exemple que même les professionnels ont besoin d'un temps d'appropriation face aux situations et à l'évolution sociétale dans la prise en compte des faits de violences et de maltraitance.

Les mauvais traitements faits aux enfants ont en effet été l'objet d'une longue prise de conscience. Cette connaissance n'est pas totale, elle avance par à coups, recule, ne se révèle au fil du temps que par réflexions successives, comme si la réalité ne pouvait s'intégrer qu'individuellement et lentement.

Le temps nécessaire qui permet à l'homme de s'adapter aux modifications de son milieu n'est sans doute pas seul en question.

D'autres mécanismes sont en jeu lorsque cette réalité insupportable apparaît à l'individu, qu'il soit professionnel du monde médical, social, éducatif, judiciaire ou simple citoyen. Si on l'admet, avec les théories psychodynamiques, que la résistance est bien une force que l'on met en oeuvre.

«Déni de la réalité, doute, banalisation, dénégation». Ces postures de résistances, de dénégations ont été longuement repérées, définit, et décrit par HADJIISKI26(*). Cette résistance, HADJIISKI la nomme temps d'appropriation, dit qu'il doit être pris en compte lors de la mise en place d'une loi ou dans la réflexion théorique que l'on porte lors d'études.

La maltraitance est apparue dans nos textes de lois en 1975, lors du dépôt de l'article 375 de la protection de mineurs. La référence à cette maltraitance était les violences physiques, et ou abus du même ordre. La violence psychologique est un domaine nouveau, que chercheur, professionnel, homme de lois commencent à prendre en compte. Ce qui induit que nous ne sommes qu'au début de la prise de conscience, du temps de l'appropriation par chacun de ce concept.

Toutes les définitions sur la maltraitance qu'elle soit d'un point de vue psychanalytique, psychologique, social, et du dictionnaire, toutes la catégorisent afin d'affiner au mieux cette dernière. Ces définitions affinées deviennent exhaustives, incomplètes. Comme le dit Claude HALMOS (psychanalyste), dans une interview sur France 5: toute définition est réductrice.

Stanislas TOMCKIEWICZ (pédopsychiatre) définit la maltraitance comme suit:

«J'appelle maltraitance, violence institutionnelle toute action commise dans ou par une institution, où toute absence d'action, qui cause à l'enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou entrave son évolution ultérieure.»

La psychothérapeute Eliane CORBET complète cette définition de la manière suivante:

«Entre dans le champ de la violence institutionnelle tout ce qui contredit ou contrevient aux lois du développement, tout ce qui donne prééminence aux intérêts de l'institution sur les intérêts de l'enfant.»

Les maltraitances sexuelles font de l'enfant un objet de plaisir par l'adulte. Les maltraitances psychologiques relèvent de la cruauté mentale, de la violence émotionnelle. Les maltraitances physiques sont une atteinte à la personne physiquement. La maltraitance médicale se définit comme un manque ou un défaut de soins. Une non prise en compte de la douleur.

Négligence actives: se définit par l'abandon. Négligence passive: elle relève bien souvent de l'ignorance. Privation: se définit par la limitation des libertés.

La maltraitance se définit aussi souvent par des mots synonymiques. Le premier d'entre eux est: La violence, violences conjugales, violences filiales, violences psychologique, violences physiques, violences gratuites, violences institutionnelles. D'autres synonymes existent: Mauvais traitement- Négligences graves- Abus de pourvoir- Carences.

Pour ma part, la maltraitance est un concept, comme le définit le dictionnaire de la sociologie. Concept dont les actes posés par un tiers vis à vis d'autrui amènent à une situation de violence pour la personne qui subie.

Violence psychologique, physique, autre. Un acte de maltraitance peut créer plusieurs violences sur la personne.

Le fait de lancer une fourchette, en réponse à un comportement crée une violence physique visible mais dans le même temps induit une violence psychologique pour celui qui la reçoit. Cette violence psychologique ne sera pas du même acabit selon la personne qui a lancé la fourchette. S'il s'avère que cet acte est posé dans un cadre professionnel, la réponse de l'institution pourra créer une nouvelle violence psychologique pour la victime. Si l'acte est commis devant des tiers cela crée une nouvelle violence, etc.

«Dans un exemple postérieur, je fais référence à un jeune d'origine étrangère qui après avoir informé son instituteur des coups qu'il avait reçu par sa mère en réponse a son comportement scolaire. Je mentionnais que le juge avait stipulé et motivé le placement de cet enfant auprès de la mère:«En France, la violence physique n'est pas acceptée et acceptable!»Cela devant le jeune. Ce jeune fut placé dans notre institution. Un soir lors du repas. Afin de ne pas travestir les écrits de mon collègue je vais retranscrire le mot du cahier de liaison.. PS: petit incident lors du déjeuner (pour info cela se passait le soir!) Explications, nous étions entrain de manger et pour rire N. se libère à table ( il pète quoi!). Et comme cela faisait..., il s'en donnait à coeur joie J'ai dit à N. de se lever de table et je lui ai lancé la fourchette tout doucement et elle est restée plantée. Dans son avant bras. Beaucoup plus de peur que de mal, il pissait un tout petit peu le sang, je l'ai désinfecté et mis un pansement. Tout va bien.»

Journal de bord 2004

La première violence dans ce contexte est physique pour le jeune. Une violence psychologique est présente pour l'ensemble des jeunes autour de la table avec en questionnement: «comment dans un lieu où nous sommes sensés être en sécurité une telle violence est créée par un professionnel !» Pour le jeune, victime principale, quel écho donner aux paroles du juge lors de son placement?

Au travers de cet exemple, c'est toute la construction psychologique dans le cadre de leur placement qui est remis en cause. Remise en cause des institutions et de leur confiance en l'adulte.

D'un acte de maltraitance posé. Il faudra étudier le contexte afin d'en définir les violences posées. Maltraitances qui peuvent être ressenties d'autant plus violemment dans ce cadre ci quand on sait qu'il est remis à chaque jeune qui arrive sur la structure le document qui suit, comme l'oblige la loi de janvier 2002.

Suit au préambule, les engagements de l'établissement auprès de toute personne accueillie. L'article premier de cette charte dit: Principe de non-discrimination

Dans le respect des conditions particulières de prise en charge et d'accompagnement, prévues par la loi, nul ne peut faire l'objet d'une discrimination à raison de son origine, notamment ethnique où sociale, de son apparence physique, de ses caractéristiques génétiques, de son orientation sexuelle, de son handicap, de son âge, des ses opinions et convictions, notamment politiques ou religieuses, lors d'une prise en charge ou d'un accompagnement, social ou médico-social.

L'article sept dit: Droit à la protection

Il est garanti à la personne comme à ses représentants légaux et à sa famille, par l'ensemble des personnels ou personnes réalisant une prise en charge ou un accompagnement, le respect de la confidentialité des informations la concernant dans le cadre des lois existantes. Il lui est également garanti le droit à la protection, le droit à la sécurité, y compris sanitaire et alimentaire, le droit à la santé et aux soins, le droit à un suivi médical adapté.

Cet exemple revêt l'ensemble des approches qui existent vis à vis de la maltraitance. La violence physique de laquelle découle la violence psychologique. Une violence psychologique de part son geste; effectué par un adulte et dans un cadre défini et reconnu protecteur pour les enfants. Sur un jeune qui est placé pour des maltraitances physiques de la part de sa famille. Violence physique qui se traduit de quelle manière, quand elle entre en écho avec les paroles du juge?

Situation de violence aussi pour l'ensemble du groupe de jeunes qui se trouvait autour de la table au moment du repas. Cet exemple, nous montre combien nos institutions peuvent être mal traitantes de par les actes et paroles posées. Les paroles du juge des enfants posées à la famille pour justifier le placement deviennent une négligence passive dans ce cadre ci.

De ces constats, nous pouvons établir le lien avec l'approche d'Eliane CORBET et Stanislas TOMCKIEWICZ dans leur définition de la maltraitance.

Chapitre 5

* 15 _ CANALI Marie, FAVARD Anne Marie, entretien dans En direct, page 162

* 16 _Félix GAFFIOT, Le dictionnaire illustré latin-francais, Edition Hachette, paru en 1934

* 17 _ Albert DAUZAT et collaborateurs, Larousse étymologique et historique, Parution 1968

* 18 _ GABELL M., JESU F., MANCIAUX M., Bientraitances, édition Fleurus, parution 2000, paris

* 19 _ WINICOTT D.W., de la pédiatrie à la psychologie, Paris, Payot 1969.

* 20 _ CYRULNIK. B., Un merveilleux malheur édition Odile Jacob, parution 1999,paris..

* 21 _ Alphonse d'HOUTAUD, Michel MANCIAUX, bientraitances mieux traiter familles et professionnels, paru aux éditions Fleurus, édité en juillet 2001

* 22 _ Actualité sociale hebdomadaires- 06 février 2009- n° 2595 p. 34

* 23 _ FREUD Sigmund, un enfant est battu. Contribution à la connaissance des genèses des perversions sexuelles, édition puf, Paris, 1973

* 24 _ BOWLBY John, attachement et perte, édition le fil rouge, puf, paris 1978

* 25 _ Pierre STRAUSS, M.MACIAUX, G.DESCHAMPS, les enfants victimes de mauvais traitements CTNERHI Paris, 1978

* 26 _ HADJIISKI E., du cri au silence, édition Pocket, paris 1986

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault