Le travail des enfants au Cameroun: le cas de la ville de Yaoundé (1952-2005)( Télécharger le fichier original )par Allamine Mariam Université de Yaoundé I - Cameroun - Master 2010 |
II- DES CONDITIONS DE VIE ET DE TRAVAIL DES ENFANTSA- DES CONDITIONS DE TRAVAILPlusieurs éléments recensés sont très révélateurs des conditions particulières de travail des enfants. Il s'agit incontestablement de la procédure d'embauche, ou alors du recrutement, du temps de travail, de la rémunération, les enfants suivent plusieurs étapes. 1- Recrutement, embauches et durée de travail. Comment les enfants sont-ils recrutés ? A priori, ils sont majoritairement enrôlés de force et subissent parfois des menaces violentes ou non de la part de leurs employeurs. Dans l'exécution des tâches traditionnelles, l'enfant accepte volontairement de participer aux travaux car sa contribution représente un acte important dans les charges familiales108(*). En effet, on peut qualifier cette situation de participation volontaire aux tâches ménagères. Toujours est-il qu'il s'agit de travaux essentiellement destinés à la consommation finale de la famille. Toutefois, ce genre de situation amène certains parents à en abuser. Ils mettent ainsi leurs enfants au service d'une autre famille. La logique est que si l'enfant effectue ces travaux dans un cadre familial, pourquoi ne pourrait-il pas faire de même hors du ménage tout en gagnant une contrepartie ? Ainsi débute donc une embauche qui se fait exclusivement par l'intermédiaire des parents ou des tuteurs109(*). Notons ici que les tuteurs représentent le plus grand taux d'intermédiaire dans l'embauche comme l'ont confirmé plusieurs de nos informateurs. Ce recrutement n'est pas in extremis forcé ; seulement, il existe une certaine complicité qui entraîne un masque, un flou dans l'enrôlement des enfants. Séverin Cécile Abéga l'a remarqué en ces termes : `'Le recrutement de la main-d'oeuvre est forcément stratégique''110(*). Une stratégie fondamentale qui se sert négativement des valeurs traditionnelles comme le confiage, la mise en apprentissage, de beaux discours qui envisagent un avenir meilleur pour l'enfant tout en le détruisant. Dans une autre mesure, le recrutement était forcé. Les enfants engagés en tant que tâcherons111(*) ou apprentis effectuent des travaux non conformes à leurs tâches initiales. Ainsi, un délégué métropolitain du syndicat de défense des intérêts bananiers au Cameroun affirme : J'ai moi-même constaté que la main-d'oeuvre employée se présente à l'embauche, reçoit sa fiche et se substitue immédiatement non pas des indigènes adultes propres à des travaux de manutention somme toute pénibles, mais des gamins dont il est difficile de déterminer l'âge112(*). Ces lignes permettent de relever que le recrutement ici est involontaire et dans la plupart des cas, forcé. Certains enfants sont enrôlés contre leur gré ; car lorsque la force et la brutalité n'étaient pas utilisées dans les opérations de recrutement, les flatteries et les duperies n'étaient pas en marge113(*). Parfois, les entreprises réclament un certificat de travail à l'enfant qui se présente pour une embauche. Ce certificat doit rendre compte du rendement de l'enfant et fournir des renseignements reçus de ses anciens patrons114(*). Est considéré comme recruté celui qui a une plus longue `'expérience professionnelle'' car : `'Le patron considère l'enfant comme un instrument de production ; la seule chose qui compte à ses yeux est le rendement de l'ouvrier.''115(*) S'agissant du recrutement volontaire, les enfants qui devaient se substituer à leurs parents recrutés pour les travaux forcés étaient désignés. De ce fait, le père amenait toute sa progéniture dans le lieu d'exécution de sa peine116(*). De même, les enfants proposaient leurs services dans certains lieux de travail avec pour seule préoccupation d'être capables de verser l'impôt117(*). Notons que certains chefs coutumiers réclamaient de l'impôt à des enfants de treize ans. Le recrutement, qu'il soit volontaire ou non, bénéficiant de la complicité des parents ou non, impose à l'enfant une journée de travail dont la durée varie aussi bien en fonction de certains paramètres que de l'humeur de l'employeur. Sur le plan théorique, la durée de travail de l'enfant est fixée par le code du travail d'outre-mer et varie en fonction de l'âge de l'enfant et de la nature du travail. Dans le titre I intitulé `'conditions de travail'' dudit code, il est dit dans le premier chapitre titré `' durée de travail des femmes et des enfants'' à l'article 6 que : `'Dans les établissements industriels, la durée de travail des enfants ne peut être supérieure à huit heures par jour''118(*). S'agissant du travail agricole, la durée annuelle est de 2.400 heures soit 48 heures par semaine. Hors, l'activité agricole est moins importante et moins pratiquée dans une agglomération urbaine comme Yaoundé. Quant aux activités non agricoles, la durée de travail est limitée à 40 heures par semaine. Le travail de nuit119(*) des enfants dans les établissements industriels est interdit120(*). En réalité, la durée de travail de l'enfant dépend du bon vouloir de l'employeur. Ce dernier exploite abusivement à son gré les temps supplémentaires de travail des enfants. Comme l'affirme Léonie Djuimukam : `'Leur durée dans les chantiers est une émanation pure et simple de l'employeur''121(*). Ce propos démontre en effet que la durée de travail des enfants est indéterminée quelque soit le type d'activités. Les enfants qui exercent dans le portage limitent eux-mêmes leur durée de travail. Elle se situe entre l'heure de départ et l'heure d'arrivée à destination prédéterminée. Pour les enfants domestiques, leur durée de travail dépend aussi bien de l'employeur que de la vitesse et de la force de travail de l'enfant122(*). 2- Salaires et rémunération Combien gagnent les enfants qui travaillent? Parler de salaire pour le travail des enfants pendant la période coloniale au Cameroun n'est qu'un abus de langage. Le rapport annuel suivant du gouvernement français, adressé à l'ONU, nous le confirme en ces termes : `'Il est très rare que des adolescents de moins de dix-huit ans soient employés comme salariés''123(*). Ces propos démontrent de manière claire que quels que soient les travaux que les enfants effectuaient, ils n'avaient pas droit aux salaires. En effet, une simple rémunération parfois symbolique leur était versée. Celle-ci est dérisoire et a pour but de maintenir aussi bien la main-d'oeuvre infantile que d'élargir l'assiette salariale des parents ou tuteurs. Seulement, le 25 novembre 1963, convaincue de tous ces abus, l'administration camerounaise en charge du travail a demandé aux établissements de fournir l'état mensuel de la situation de la main-d'oeuvre qu'ils emploient124(*). Dans les indications, une fiche est réservée à la situation des enfants salariés tel que le présente le tableau qui suit : Tableau n°13 : Fiche à remplir pour les enfants salariés. Etat à joindre à la déclaration périodique prévue par l'arrêté n°5913 du 2 décembre 1953.
Source : ANY, 1AA.1.333, ministère du travail et des lois sociales. Cette fiche confirme l'existence d'un salaire réservé à l'enfant qui travaille. Pourrait-on affirmer que l'enfant travailleur jouit de son plein droit salarial ? Il faut dire que dans la pratique, le taux horaire salarial varie pendant la période coloniale en fonction du type d'activités exercées, comme le confirme Albert François Dikoumé en ces lignes : `'Le salaire est une émanation pure et simple de l'administration coloniale''125(*). Voici un tableau qui indique l'évolution du taux horaire salarial dans la ville de Yaoundé. Tableau n°14 : Zone de salaire à Yaoundé, évolution du taux horaire.
Source : Albert François Dikoumé, `'Les travaux publics au Cameroun sous administration française de 1922 à 1960 : mutations économiques et sociales'', thèse de doctorat en histoire, université de Yaoundé I, 2006, p.558. De ce tableau, il ressort que le salaire a subi une hausse de 22% par rapport à l'année précédente. En effet, l'administration coloniale fixe le salaire en fonction de ses besoins financiers. Car les recettes fiscales dépendent entièrement de la taille du salaire versé aux travailleurs. Toutefois, il est noté que la main d'oeuvre est parfois payée dix fois moins chère que celle des adultes. De ce fait, le taux horaire salarial de l'enfant travailleur varie entre 0,5 franc et 2 francs. Les enfants se retrouvent donc au plus bas de l'échelle salariale126(*). Les porteurs de grande distance (25-30 km) avaient pour salaire 1,75 francs et 0,5 franc pour un porteur sans charge. L'arrêté n°3227 du 8 mai 1956 fixant les conditions générales d'emploi des domestiques et employés de maison indique dans son article 7 que : `'Les domestiques ou employés de maison âgés de moins de dix-huit ans subiront au maximum sur les salaires des adultes des abattements''127(*). Ces réductions sont fixées ainsi qu'il suit 128(*): Tableau n°15 : Abattements sur les salaires des enfants domestiques ou employés de maison.
Source : Arrêté n°3227 du 8 mai 1956 fixant les conditions générales d'emploi des domestiques et employés de maison au Cameroun. La rémunération accordée aux jeunes salariés exécutant des travaux confiés habituellement à des adultes est établie en fonction du travail qu'ils fournissent comparativement au travail fourni par les adultes, en quantité et en qualité. Dans des entreprises ou ateliers et chantiers, quand un enfant est déjà embauché, il ne connaît pas son salaire et n'ose pas le demander. Parfois, il est intimidé par son employeur et s'effraie à l'idée d'être renvoyé. S'il risque un faux pas, son patron lui lance : `'Travaille d'abord, on va voir ce que tu sais faire...''129(*). Au total, que ce soit le salaire ou la
rémunération, les enfants travailleurs sont victimes de nombreux
abus de la part de leurs employeurs. En effet, Stella montre que : `'Quand
ils sont payés autrement que par leur entretien, ils sont
Ils sont manipulables à merci et ne réclament
rien de par leur vulnérabilité. Ce manquement pourrait-il
expliquer une sollicitation de plus en plus importante de S'agissant des congés, ils concernent le repos hebdomadaire et le repos journalier. Le repos de nuit des enfants doit avoir une durée de 11 heures consécutives au minimum selon les textes131(*). Aussi, les enfants ne sont employés ni les jours de fêtes reconnues ou légales, ni les dimanches132(*). Selon l'article 14 du chapitre VI intitule `'Congés'' dans l'arrêté n°981: `'Les enfants acquièrent droit au congé payé dans les conditions prévues à l'article 121 du code du travail, alinéa 3''133(*). * 108 * 109 * 110 * 111 * 112 * 113 * 114 * 115 * 116 * 117 * 118 * 119 * 120 * 121 * 122 * 123 * 124 * 125 * 126 * 127 * 128 * 129 * 130 * 131 * 132 * 133 |
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