Le travail des enfants au Cameroun: le cas de la ville de Yaoundé (1952-2005)( Télécharger le fichier original )par Allamine Mariam Université de Yaoundé I - Cameroun - Master 2010 |
I- TYPOLOGIE DES TRAVAUX QUE PEUVENT EFFECTUER LES ENFANTSLe code du travail d'outre-mer institué le 15 décembre 1952 a marqué un tournant décisif dans le monde du travail des colonisés. Applicable au Cameroun à partir du 1er janvier 1953, ce code constitue la première tentative de réglementation du travail des enfants. Il détermine ainsi la typologie des travaux qu'ils peuvent exercer ainsi que les conditions de leur accès au travail. Pour Bernard Schlemmer, docteur en sociologie : Tous les enfants travaillent, mais pas dans les mêmes conditions ! Ce qui les distingue, ce n'est pas le fait de savoir si l'activité de chacun mérite ou non d'être considérée comme du travail, mais le fait que ce travail est plus ou moins exploité par autrui ou investi par eux-mêmes.85(*) Ainsi, certaines formes de travail peuvent être bénéfiques et permettre l'émancipation des enfants. Ainsi, le peineux problème ici est de savoir pour quels types de travaux les enfants sont-ils engagés ? En marge des tâches traditionnelles exercées par l'enfant et participant à son éducation et à sa socialisation, le code du travail d'outre-mer a réglementé quelques activités économiques que pouvaient effectuer les enfants. 1- Les tâches traditionnelles de l'enfant au Cameroun Celles-ci renvoient à tout travail léger intégrant l'éducation de l'enfant dans la vie familiale86(*). Selon le `'Rapport national sur le travail des enfants au Cameroun'', 91,5% des enfants contribuent à la réalisation des travaux ménagers à domicile. Ce travail concerne autant les filles que les garçons, respectivement 93,4% et 89,6%87(*). Mais dans la ville de Yaoundé, 388.544 enfants sont concernés par la réalisation des travaux ménagers domestiques88(*). Voici un tableau à titre illustratif. Tableau n°10: Nombre d'enfants effectuant des tâches ménagères par groupe d'âge au Cameroun.
Source : Tableau réalisé par nos soins à partir les données tirées du `'Rapport National sur le Travail des Enfants au Cameroun''. Ce travail est considéré ici comme une valeur traditionnelle d'apprentissage et de socialisation de l'enfant89(*). De ce fait, il constitue une étape incontournable dans la croissance de l'enfant. Auparavant, les enfants ont travaillé aux champs avec leurs parents. Le travail des enfants en famille remonte aux âges les plus anciens : leur participation à la tenue du ménage et aux travaux agricoles est attestée dans toutes les sociétés traditionnelles90(*). Ils ont aussi participé aux tâches domestiques comme aller chercher du bois de cuisine, puiser de l'eau, faire la lessive, nettoyer la vaisselle. Les principales activités ménagères sont reparties dans le tableau ainsi qu'il suit : Tableau n°11: Répartition des tâches ménagères effectuées par les enfants (en pourcentage).
Source : Tableau réalisé par nos soins à partir les données tirées du `'Rapport National sur le Travail des Enfants au Cameroun''. De ce tableau, il ressort que la réalisation des tâches ménagères par les enfants est plus intense dans la vaisselle et le ménage (72,2%), comme l'attestent aussi bien ces données que le résultat de nos enquêtes personnelles effectuées sur le terrain. En effet, dans presque tous les ménages, notamment dans la ville de Yaoundé, les enfants doivent exercer au moins une tâche ménagère même s'ils vont à l'école. Ainsi, le cercle familial est le seul lieu de travail, les enfants participant à l'économie du ménage91(*). Ces activités ménagères fournies par les enfants pour une consommation finale constituent ce qu'on appelle le travail socialisant. Il s'agit par exemple de faire des repas, des courses, garder les enfants, ranger la maison92(*). De la naissance à l'adolescence, fille comme garçon exercent les mêmes tâches. La division sexuelle du travail intervient dès l'âge de douze ans où la fille est spécialisée à la garde de son foyer et le garçon initié à la future responsabilité de chef de maison. En effet, l'éducation traditionnelle obligeait tout enfant de participer aux travaux collectifs dès l'âge de 7 ou 8 ans93(*). Ces travaux collectifs incluent les travaux exercés dans la famille ou les travaux exercés par un groupe dans un chantier ou dans un atelier. Dans la famille traditionnelle, `'Tout enfant est celui du groupe et non pas seulement du couple géniteur''94(*). Sa socialisation se fait au sein d'un ensemble parental élargi aux branches paternelles et maternelles. Les enfants sont ainsi dans une situation d'indivisibilité sociale. Ils sont encouragés à participer, selon leurs moyens, aux tâches qui sont à leur portée. Ils apprennent par observation et imitation, les travaux qu'accomplissent les adultes autour d'eux. Adolescents, ils participent à des travaux collectifs où joue l'émulation95(*) et qui les engagent dans des efforts physiques intensifs mais, gratifiant car contribuant positivement à l'éducation. Les garçons apprennent progressivement le métier du père qu'ils allaient exercer plus tard96(*). Les filles sont éduquées à la tenue de la maison et sont souvent employées dans l'artisanat du ménage97(*). Cet artisanat est constitué de la broderie, du tissage, de la couture, du bricolage...On peut donc affirmer que le travail des enfants ici est essentiellement et uniquement un travail éducateur qui n'a aucune intention lucrative de la part des parents ; l'éducation traditionnelle de l'enfant n'aurait de réussite que s'il est correctement mis au travail dans le cercle familial. Les fillettes reçoivent une formation précoce à la vie domestique et sont mariées à l'âge de quatorze ou quinze ans. En fait, dès que ses capacités physiques le lui permettent, l'enfant cultive le jardin et entretient la maison avec sa mère ou assure de menus travaux dans l'atelier de son père artisan, apprenant peu à peu son métier. L'enfant participe alors à l'économie familiale, chaque bouche à nourrir devant se rendre utile98(*). Ces travaux se résument généralement à la recherche d'eau et du bois pour le ménage, le nettoyage des ustensiles de cuisine ou de la maison et la lessive comme nous l'avons vu dans les lignes précédentes. L'intensité des tâches domestiques est presque la même aussi bien chez les filles que chez les garçons, soit en moyenne 22 heures par semaine. Toutefois, l'éducation en milieu urbain est différente de celle en zone rurale. En effet, si l'agriculture constitue la principale activité dans les campagnes, les centres urbains représentent les lieux par excellence d'écoulement et de la vente des produits. De ce fait, le travail des enfants en milieu urbain consiste pour les enfants à accompagner leurs parents dans la commercialisation de la récolte99(*). Les enfants suivaient donc leurs parents dans les marchés pour y apprendre les techniques de commerce et les mécanismes d'échanges de produits100(*). L'enfant bénéficie d'une éducation commerciale qui lui permet :`'d'être apte à affronter tous les obstacles qui jonchent le chemin du commerce et de débuter plus tard cette activité à son propre compte''101(*). En réalité, la contribution des enfants aux activités de leurs parents est une pratique courante dans de nombreuses sociétés. Les enfants travaillent aux cotés de leurs parents dans de petites boutiques ou les aident dans le cadre de leurs activités commerciales ou dans de petites entreprises informelles à domicile. Il est cependant à préciser que l'ensemble de ces activités ne sont point considérées comme travaux des enfants à abolir, sauf si elles sont exercées au-delà des capacités physiques de l'enfant (nombre d'heures, poids, etc.). En effet, la connaissance de chaque situation permet de distinguer le travail dangereux du travail acceptable. En ce qui concerne cette aide accordée aux parents, elle n'est en aucun cas perçue comme préjudiciable à l'enfant. Retenons donc que le travail éducateur et socialisant est composé aussi bien du travail domestique que de l'initiation au commerce. Si l'implication d'un enfant dans ce type de travail est perçue comme bénéfique et incontournable dans la bonne réussite de l'éducation de l'enfant, des marges de manoeuvres ont été exploitées pour faire une large transition entre le travail éducateur et la mise au travail à finalité lucrative de l'enfant. 2- Activités économiques exercées par l'enfant L'activité économique englobe les activités productives exercées par les enfants, qu'elles soient marchandes ou non, rémunérées ou non, pour quelques heures ou à plein temps, à titre occasionnel ou régulier, sous une forme légale ou non. Elle exclut les tâches confiées aux enfants dans leurs familles et les activités scolaires102(*). L'activité économique des enfants doit son essor au passage de l'économie traditionnelle à l'économie capitaliste imposée par les colons. A ce moment où l'accent est mis sur la valeur économique du travail, celui effectué par des enfants a cessé d'être une stratégie de socialisation assurant une transmission de savoirs et de savoir-faire pour devenir une entreprise d'exploitation économique. L'administration coloniale française garantissait par tous les moyens ses intérêts issus de la mise en valeur du territoire. Cette ambition française exigeait une main-d'oeuvre permanente. Pour ce faire, des stratégies basées sur des textes précisant uniquement les modalités de recrutement et de maintenance de la main-d'oeuvre sont donc élaborées103(*). C'est ainsi que l'imposition, la réquisition, les prestations et l'indigénat furent mis à contribution pour résoudre le remarquable problème de la main d'oeuvre. Ainsi, les enfants sont enrôlés dans des chantiers de construction, des ateliers de fabrication. Comme l'a si bien noté Léon Kaptué : `'Quant à la main-d'oeuvre infantile, elle était d'un emploi courant''104(*). De même, des entreprises coloniales utilisaient des enfants comme `'apprentis'', mais en réalité ces derniers effectuaient des `'travaux normalement réservés aux adultes''. Il s'agit par exemple des opérations de chargement et de déchargement des produits exportables, mais aussi la réalisation des travaux d'assainissement ainsi que la construction des infrastructures105(*). Ce fait peut s'expliquer par la mise en oeuvre de la politique française d'occupation substantielle de l'espace urbain à Yaoundé. C'est ainsi que dans le cadre de l'exécution du plan d'équipement économique et social, la forte hausse de la masse ouvrière impose le recours aux enfants comme l'indiquent les données contenues dans le tableau ci-dessous106(*) ; Tableau n°12 : Besoin en main-d'oeuvre à Yaoundé, 1949-1952.
Source : ANY, APA10782, Exécution du plan d'équipement économique et social, 1949-1952. Une lecture analytique de ce tableau indique que les besoins en main-d'oeuvre sont considérables. Jusqu'au terme de l'exécution du plan, ils vont évoluer positivement. Ceci justifie donc l'incontournable sollicitation du travail des enfants. De même, les enfants étaient employés dans les travaux de cueillette et de récolte. Comme l'a autorisé le Haut-commissaire dans cette lettre ainsi qu'il suit : Des instructions ont été données à la subdivision de Yaoundé pour autoriser et faciliter le recrutement de la main-d'oeuvre nécessaire, s'agissant des travaux de cueillette et de récolte qui n'emploient que les femmes et les enfants107(*). De cette analyse, il ressort que les enfants exerçaient dans le cadre de leur éducation, des tâches ménagères et étaient aussi initiés au commerce. Avec l'essor de l'économie de marché, les enfants sont obligés de mener des activités économiques comme la cueillette et la récolte. Ils sont aussi présents dans des chantiers et des ateliers. Notons que tous ces travaux qui constituaient une valeur culturelle très puissante sont transformés en une véritable course vers le gain et cela par tous les moyens. Dans ce sens, quelles sont les conditions nouvelles de vie et de travail des enfants ? * 85 * 86 * 87 * 88 * 89 * 90 * 91 * 92 * 93 * 94 * 95 * 96 * 97 * 98 * 99 * 100 * 101 * 102 * 103 * 104 * 105 * 106 * 107 |
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