Le travail des enfants au Cameroun: le cas de la ville de Yaoundé (1952-2005)( Télécharger le fichier original )par Allamine Mariam Université de Yaoundé I - Cameroun - Master 2010 |
A- LES RISQUES SOCIAUX DU TRAVAIL DES ENFANTSNous avons répertorié les coûts sanitaires et scolaires ainsi que la remise en question de l'enfance au Cameroun. 1- Les coûts sanitaires et la déscolarisation Ces deux éléments sont primordiaux dans le développement social du Cameroun. En effet, les coûts sanitaires sont étroitement liés aux accidents de travail auxquels les enfants sont continuellement exposés. Dans les chantiers par exemple, les enfants sont victimes de chutes ou d'intoxication188(*) comme le confirme un de nos informateurs qui a été victime d'une violente chute dans un chantier de la place. Cet enfant y a laissé ses deux pieds. En plus de ce handicap, il a eu un traumatisme psychologique qu'il n'arrive pas à s'en défaire189(*). Les enfants sollicités dans le portage sont exposés aux transports de lourdes charges excédant parfois leurs forces et entraînant de ce fait des carences et des retards dans la croissance190(*). Dans le secteur informel, le travail dans les rues les expose aux violences perpétrées par des groupes maléfiques, aux accidents de la route, aux rackets sans parler du travail sur les décharges191(*). Les enfants domestiques et généralement les filles sont exposés aux viols dont les auteurs ne sont autres que leurs patrons. Elles sont parfois victimes de grossesses précoces192(*). Une sexualité précoce expose ainsi l'enfant à des troubles psychosociologiques énormes et dommageables. De ce fait, des formes d'exploitation pratiquées par des adultes sur des enfants sans défense aboutissent inévitablement à des handicaps physiques ou moraux et à des traumatismes psychosomatiques193(*). L'activité de la rue pour les enfants est souvent cruelle au-delà du gain que peuvent compenser les dangers encourus : violences, exploitation, drogues et stupéfiants. Parfois, les enfants sont directement exposés aux intempéries climatiques. Photo n°10 : Enfant vendant des ananas sous un soleil ardent au carrefour de la Poste Centrale à Yaoundé. Source : Cliché réalisé par nous. Ces dangers constituent de réelles entraves au développement des enfants car ils occasionnent des maladies pulmonaires et autres maladies qui peuvent même mener à la mort194(*) . C'est le cas d'un enfant d'environ 7 ans qui vendait des jus naturels pour sa maman et qui a été bloqué par une violente pluie au lieu dit `'pharmacie elobi'' à Tsinga. Il a été retrouvé mort noyé dans les eaux de pluie de ce quartier195(*). Ainsi, un grand nombre d'enfants travailleurs sont exposés à des risques divers, soit environ 70%. Beaucoup de ces enfants sont victimes d'accidents ou de maladies : piqûres, fractures, amputations, brûlures et affections dermatologiques, troubles de la vue et de l'ouie, maladies respiratoires et gastro-intestinales, maux de tête dus à la chaleur excessive196(*). Les cas les plus fréquents d'accidents et de maladies sont relevés dans la construction, les transports et le travail dans la rue. De même, les enfants victimes de violences et d'abus sexuels sont profondément traumatisés. Ils se sentent réduits, dépersonnalisés. Ils développent en leurs consciences de multiples tendances suicidaires. De manière brève, les enfants qui travaillent sont nombreux à présenter un mauvais état de santé, lié fort probablement à l'existence des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles ils travaillent. A ce sujet, Désole H. affirme : La situation de ceux qui travaillent, et qui généralement continuent de travailler quand ils sont malades, est particulièrement désastreuse à cet égard. Les maladies de carence sont fort répandues, de même que l'anémie, les affections des voies respiratoires et la tuberculose. Sans être d'origine professionnelle, imputables plutôt aux très mauvaises conditions de vie, ces maladies (la tuberculose notamment) sont favorisées cependant par le travail précoce, par l'insalubrité du milieu et par l'affaiblissement qu'entraînent des horaires longs et pénibles. En plus des accidents et des maladies de caractère professionnel, les travaux auxquels les enfants sont occupés les exposent à toutes sortes de maux : refroidissement, états fébriles, maux de tête, toux, maux d'oreilles et des yeux...197(*) Les enfants, le plus souvent soumis à des travaux intenses et productifs, s'usent très rapidement. Ils ne sont plus porteurs d'avenir ni pour leur famille, ni pour eux-mêmes. Ils disposent rarement du temps et de l'énergie nécessaires qui leur permettraient de s'éduquer198(*). De même, l'exploitation sexuelle des enfants reste un problème préoccupant, avec la gravité des abus et des risques auxquels ils sont exposés. Les conséquences destructives sur le développement physique et psychologique de l'enfant sont le résultat de la violence perpétrée. Les enfants sont aussi exposés à des infections sexuellement transmissibles comme le VIH/sida, une préoccupation mondiale alors que l'Afrique est le continent le plus touché. Certains effets du travail des enfants sont communs à une grande partie d'enfants menant une activité économique199(*). Les coûts sanitaires et même éducationnels correspondent ici à l'invalidation physique, intellectuelle et morale de milliers d'enfants résidant à Yaoundé. Quant à la fréquentation scolaire des enfants travailleurs, on observe une baisse drastique de celle des enfants de 15 à 17 ans par rapport à la tranche d'âge de 5 à 14 ans200(*). En effet, à mesure que l'enfant grandit et qu'il est exposé au travail, ses chances de fréquentation scolaire s'amenuisent. Ce fait est vérifié chez la plupart des enfants ayant accepté de répondre à nos questions. L'une d'entre elles nous déclare qu'elle a arrêté d'aller à l'école à l'âge de 12 ans parce qu'elle pratiquait du commerce ambulant201(*). Aujourd'hui, les systèmes d'enseignement formels sont conçus de telle façon que «travail» et «éducation scolaire» y sont pratiquement incompatibles. En fait, ils ne sauraient fonctionner qu'en éliminant progressivement ceux pour lesquels ils demeurent trop contraignants: les enfants qui travaillent, alors que le temps exigé par l'instruction rend très difficile l'exercice de toute autre activité. Comment sont classifiés et dénombrés les enfants qui, parce qu'ils travaillent, voient fortement limité leur droit à l'éducation scolaire? La fréquentation scolaire des enfants travailleurs enregistre un taux très bas ; on assiste à un abandon scolaire massif des enfants à partir de 14 ans au profit des activités économiques. L'analyse de l'abandon scolaire par rapport à l'activité économique des enfants montre que le travail des enfants à abolir a un impact négatif sur leur scolarisation. C'est ainsi que l'enfant au travail est victime d'une exclusion du système scolaire et limite l'espoir de l'accès futur à un véritable emploi rémunéré. Ceci est justifié par un chéneau de faits ; on le met au travail à l'âge où il doit intégrer le circuit scolaire, il est ainsi introduit dans un circuit productif qui ne lui permet et ne lui laisse aucune possibilité de poursuivre ses études. On assiste ici à un échec de la scolarisation, comme le démontre ces lignes : `'L'enfant ne va pas à l'école parce qu'il travaille et travaille parce qu'il n'a pas pu avoir accès à l'école...''202(*). Tableau n° 20 : Activités exercées par les enfants et fréquentation scolaire (%).
Source : ECAM 3, INS. Graphique n°6 : Répartition des activités exercées par les enfants et fréquentation scolaire (%). Source : Graphique réalisé par nous à partir des informations issues du tableau n° 20. Ce graphique nous indique que la proportion d'enfants qui jouit d'une fréquentation scolaire absolue est majoritaire, soit 48,9%. Cette proportion est justifiée par une loi quasi universelle qui impose l'école comme moyen privilégié d'éducation et d'instruction des enfants. Seulement, le nombre d'enfants qui travaillent tout en allant à l'école est aussi important. Cependant, la proportion des enfants qui travaillent uniquement croît avec l'âge. En effet, cette combinaison pourrait être fatale dans la mesure où, pratiquement, et à mesure que le temps s'écoule, le travail tend plutôt à être prioritaire par rapport à l'école. Comme l'a affirmé Albert Pascal Temgoua en ces termes : La mise au travail précoce de l'enfant constitue enfin une réelle menace pour sa scolarisation : elle contribue aux échecs, voire à l'abandon scolaire pour la recherche de l'argent.203(*) Cet état des lieux reste très convaincant dans la mesure où l'enfant qui travaille n'a pas une disponibilité psychologique et physique propre aux études. Son état d'esprit étant naturellement limité, il ne peut s'organiser afin de combiner travail et école. Au cours de nos descentes sur le terrain, les réponses des enfants et mêmes des adultes par rapport à la combinaison école et travail ont été très radicales : `'Il est très difficile pour un enfant d'aller à l'école et de travailler en même temps quelque soit le type d'activités exercées''204(*). 2- La remise en question de l'enfance et la violation des droits fondamentaux de l'enfant Au terme de nos investigations, il apparaît que le travail des enfants a pour impact la violation du droit de ces enfants. L'exploitation des enfants est une violation de leurs droits les plus fondamentaux205(*). Comme conséquence directe, le sentiment de frustration qui anime ces enfants les amène le plus souvent à fuguer, à changer de comportements et à se retrouver dans la rue. Ces enfants accèdent à un milieu où règne une délinquance juvénile et même enfantine très avancée. Ils deviennent ainsi des auteurs de vol, sont mêlés au banditisme. Les jeunes garçons s'adonnent généralement à la consommation, à la vente et au trafic de stupéfiants. Les jeunes filles, elles, trouvent refuge dans la prostitution. C'est dans la rue que se situe, pour ces enfants, une retraite contrefaite et rabougrie. L'enfant de la rue n'a plus de lien régulier avec sa famille. Il vit de petits boulots. Il est une recrue de petits groupes mafieux qui dominent les quartiers de la capitale et est une fois de plus employé par eux pour l'écoulement de leurs stupéfiants206(*). Ainsi, il baigne dans une délinquance totale. Le travail des enfants a contribué à préparer une population réputée délinquante et que l'on va jusqu'à exterminer dans les rues. De ce fait, où sont ces droits pour l'enfant `'d'être respecté en tant que sujet de droit et être humain, ayant droit à la sollicitude et à l'assistance de l'Etat et de la société''207(*) ? Où est le droit de l'enfant `'d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail''208(*) ? Tous ces droits sont tout simplement violés. Les enfants, devant la pénibilité des tâches qui leur sont imposées, s'adonnent à la consommation de drogues comme le chanvre indien pour se donner la force et s'abrutir afin d'affronter les obstacles liés à l'exercice de leurs travaux. Ils s'offrent par là un moyen d'évasion devant les soucis quotidiens. Ils ne se contentent pas d'en consommer, ils en produisent aussi. A Yaoundé en particulier, il devient de plus en plus difficile pour les ONG de convaincre les enfants de quitter la rue pour suivre une formation de cordonnier ou de mécanicien. Ils sont parfois drogués. Ils ont des difficultés à suivre un rythme et à adopter des horaires réguliers. D'autres ONG, en lien avec le gouvernement sélectionnent les enfants et ne veulent pas s'occuper des plus âgés, devenus délinquants et non plus `'simples'' enfants des rues209(*). * 188 * 189 * 190 * 191 * 192 * 193
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