Le travail des enfants au Cameroun: le cas de la ville de Yaoundé (1952-2005)( Télécharger le fichier original )par Allamine Mariam Université de Yaoundé I - Cameroun - Master 2010 |
B- DES `'PIRES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS''La convention n°182 de l'OIT sur les `'pires formes de travail des enfants'' a marqué un tournant décisif dans l'histoire du travail des enfants au Cameroun. D'après cette convention, l'expression «les pires formes de travail des enfants» comprend: a) toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans les conflits armés; b) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques; c) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que le définissent les conventions internationales pertinentes; d) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l'enfant. Dans cette étude et en tenant compte de notre échantillon d'enquête, deux catégories des formes de travail ont été identifiées. Il s'agit de la traite et du trafic d'enfants et de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. 1- La traite et le trafic d'enfants Ces deux notions désignent quasiment la même chose dans ce sens que leurs auteurs s'adonnent à l'exploitation du travail de leurs victimes. Seulement, dans une approche tout à fait conceptuelle, la traite d'enfants se définit comme étant: Le recrutement auprès des familles des jeunes âgés de 18 ans au plus, leur transfert loin de leur famille, leur hébergement avec usage de procédés frauduleux, abusifs ou violents, leur exploitation, c'est-à-dire leur mise au travail abusif au profit d'un employeur et d'un intermédiaire avec en échange un paiement dont bénéficient les pourvoyeurs c'est-à-dire les parents ou tuteurs et les intermédiaires172(*). Ainsi, la traite des enfants découle d'un recours abusif à la coutume permettant de placer les enfants auprès des membres de la famille élargie ou auprès des tuteurs lorsque les parents résidant pour la plupart en milieu rural, ne peuvent plus faire face à leur responsabilité173(*). La traite des enfants est le résultat d'un processus schématisé comme suit : Graphique n°4: Processus de traite des enfants au Cameroun .
Source : Michel Grégoire, Projet sous-régional de lutte contre le trafic des enfants à des fins d'exploitation de leur travail en Afrique de l'Ouest et du Centre, OIT/IPEC. Le trafic des enfants s'organise quant à lui à travers : Un réseau qui associe des parents qui cèdent leurs enfants pour une somme dérisoire à des intermédiaires chargés de convoyer les enfants et de les placer auprès d'employeurs qui utilisent ainsi leur force de travail et qui versent en retour de l'argent dont l'essentiel est partagé entre l'intermédiaire et les enfant.174(*). De ce fait, les trafiquants sillonnent les milieux les plus démunis en quête de familles en détresse. Faisant face à des villageois qui aspirent désespérément à un avenir meilleur pour leur progéniture, ils promettent des emplois en ville. C'est ainsi que les enfants se déplacent de réseau en réseau. Ils sont ainsi condamnés à des travaux qui les mutilent affectivement, physiquement et mentalement quand ils ne les tuent pas `' à petit feu''175(*). La différence réside au niveau de la cession. Les parents de l'enfant victime de traite sont au courant de ses mouvements et savent où il travaille alors que l'enfant victime de trafic est considéré, tout comme un esclave de l'ère de la traite des esclaves noirs, comme un objet qui ne connaît plus que son maître et la personne responsable de son trafic c'est-à-dire l'intermédiaire. Que ce soit le trafic ou la traite, des enfants en sont victimes dans la ville de Yaoundé. En témoigne le cas de plusieurs enfants. Le plus marquant nous vient d'une informatrice âgée de 16 ans qui a requis l'anonymat et qui raconte : J'ai été conduite en 1999 à Yaoundé par un homme qui est venu voir mes parents et m'a mise en contact avec monsieur X chez qui je vis et suis adoptée comme fille de ménage176(*). De même, une autre informatrice nous raconte que des jeunes filles âgées de 11 à 13 ans ont été amenées de Bamenda par un intermédiaire. Celui-ci les a placées comme serveuses dans un restaurant de la place. La gérante du restaurant leur paie une somme de 3.000 francs par mois177(*). Ces quelques témoignages attestent de la gravité du phénomène car ces enfants victimes de traite ou de trafic sont toujours exposés à des violences diverses, physiques et morales. Ils sont victimes de violences sexuelles comme ces trois jeunes filles qui sont régulièrement abusées sexuellement par les clients de la patronne. Placées ainsi pendant plus de deux ans, la patronne menace par intimidation de les tuer si elles tentent de s'enfuir ou de dénoncer les faits178(*). Parmi les tâches exercées par les enfants victimes de traite et de trafic, on note le commerce ambulant, les services (porteurs, serveurs,...), et l'activité domestique. Photo n°9 : Enfants vendant au marché Mokolo à Yaoundé
Source : Clichés réalisés par nos soins. Les zones de provenance de ces enfants sont variées, mais pour la plupart, ils viennent des zones rurales et des campagnes. Tableau n°19 : Provinces d'origine des enfants victimes de traite.
Source : `'La traite des enfants à des fins d'exploitation de leur travail au Cameroun'', Genève, BIT-IPEC-LUTRENA, 2005, p.43. Graphique n°5 : Provinces d'origine des enfants victimes de traite à Yaoundé. Source : Graphique réalisé par nos soins à partir des informations tirées du tableau n°19. De ce graphique, il ressort que les enfants originaires du Nord-ouest, de l'Ouest et du Sud-ouest sont majoritairement transférés vers la capitale par la traite et le trafic. La spécificité commune en est qu'on se retrouve face à un phénomène de transfert régulier d'enfants dans le seul but d'exploiter leur force de travail179(*). De ce fait, les victimes qui sont les enfants, sont obligées d'accepter leurs conditions et leur situation infernale car ils n'ont personne sur qui compter, même leurs parents. Ils sont mis en gage par leurs parents à de tierces personnes en échange d'argent, de promesse d'argent, de rémunération ou de promesse de mise en apprentissage d'un métier. Parmi les enfants victimes de traite et de trafic, 44% n'ont pas de jour de repos ce qui fait environ 126 heures de travail par semaine quand on sait la semaine ne compte que 168 heures. Comparativement à la semaine normale de 40 heures réglementaires de travail, on comprend que l'enfant victime de traite est un enfant au travail qui passe 75% de son temps à la tâche. On est donc en présence d'un usage de corps jusqu'à épuisement180(*). Carte n° 1 : Itinéraires nationaux et transfrontaliers du trafic des enfants au Cameroun Source : Michel Grégoire, `'Combattre le trafic des enfants à des fins d'exploitation de leur travail en Afrique de l'Ouest et du Centre'', Rapport de l'atelier sous-régional, Bénin, Cotonou, mars, 2004. 2- L'exploitation sexuelle à des fins commerciales L'exploitation sexuelle à des fins commerciales est un fléau reconnu dans le monde entier. L'OIT estime à 1,8 million le nombre d'enfants parfois très jeunes, qui entretiennent des relations sexuelles avec des adultes181(*). Il s'agit le plus souvent de fillettes victimes de trafic à des fins de prostitution forcée, ou poussées dans l'industrie du sexe sous la pression de leurs pairs ou d'événements dramatiques rendant difficile le déroulement normal de leur vie du fait des traumatismes ou de la stigmatisation qui s'en sont suivis. La prostitution enfantine et la pornographie, mettant en scène des enfants, sont des phénomènes courants à travers le monde. Ces phénomènes sont décrits par l'Organisation des Nations Unies comme : Une forme moderne d'esclavage incompatible avec les droits, la dignité et la valeur de la personne humaine qui vont de pair avec le bien-être des individus, des familles et de la société dans son ensemble182(*). Au Cameroun très spécifiquement, sept filles parmi la douzaine d'enfants interrogés dans la ville de Yaoundé sont victimes d'exploitation sexuelle à des fins commerciales. Elles ont toutes moins de 18 ans. Quatre d'entre elles ont eu leur première expérience sexuelle avant l'âge de 14 ans, et les trois autres ont été actives sexuellement avant l'âge de 15 ans. Toutes ont déclaré que ces expériences étaient consensuelles, et ont eu lieu avec un inconnu en échange d'une petite somme d'argent. Ces entretiens révèlent une ligne directrice commune: des filles très jeunes exposées à des pratiques qui ne sont pas autorisées à leur âge. De même, une étude réalisée par l'organisation non gouvernementale Cercle International pour la Promotion de la Création (CIPCRE), et menée entre septembre et décembre 2004 par la Cameroon Society for Prevention of Child Abuse and Neglect (CASPCAN), a par ailleurs pointé le cas précis de l'exploitation sexuelle des jeunes filles. Intitulée « Une enfance en danger », cette étude a révélé des statistiques qui en disent long sur ce phénomène : sur les 722 filles âgées de 9 à 20 ans qui ont fait l'objet de l'enquête, 291 ont été victimes d'exploitation sexuelle à des fins commerciales183(*). De ce fait, les responsabilités sont partagées,
mais surtout unidimensionnelles. Un adulte (un parent, par exemple)
contrôle la situation même s'il reste hors de vue. Les filles
partent à la recherche des clients, de préférence dans des
endroits bien précis, soit pour gagner de l'argent ou bien pour le
simple plaisir. La pauvreté pousse ces enfants à
développer des stratégies futées afin de maximiser le
profit sur une période courte184(*). Il est essentiel au cours d'une soirée
d'obtenir un maximum de contrats afin de gagner plus d'argent ou de cadeaux.
Certaines familles poussent leurs enfants à se prostituer afin de
contribuer au revenu familial185(*). Face aux défis comme les grossesses non
désirées, certaines familles n'ont pas d'autre choix que
d'encourager leurs filles à se prostituer, surtout lorsque les
mères n'ont aucune qualification professionnelle. Cette activité
leur permet de se nourrir, de se vêtir et de subvenir à d'autres
besoins. Deux filles ont déclaré avoir versé une partie de
leurs gains à un En pratique, toutes les filles révèlent le même schéma; elles sont généralement exploitées sexuellement dans les boîtes de nuit, les hôtels ou bien dans la rue et dans les recoins sombres des quartiers. Tout de même, elles sont contraintes de consommer l'acte. Certaines n'ont pas le choix et doivent avoir le rapport sexuel dans la rue, d'autres amènent les hommes chez elles. Les filles consomment de l'alcool et de la drogue; une des filles a confié qu'elle a commencé à boire à l'âge de 15 ans, alors que les autres ont évité la question. L'exploitation sexuelle des enfants est une réalité qui demeure cachée derrière d'autres activités. L'aspect commercial de l'acte est plus difficile à étudier parce que nous avons rencontré des filles mineures impliquées dans des activités sexuelles à but lucratif. Durant l'entretien, l'attitude adoptée par deux filles nous a indiqué qu'elles étaient sous l'emprise financière d'une tierce personne. Ceci laisse penser que, selon l'opinion publique, le trafic auquel les enfants sont soumis est acceptable et inévitable. Les parents et autres personnes de référence accordent à la lutte quotidienne, une grande valeur. Ces actes se font au détriment de l'enfant et empêchent son bon développement, mais le temps et la volonté politique sont nécessaires afin de mesurer et de contrôler l'Exploitation Sexuelle des Enfants à des Fins Commerciales (ESEC). Une fille de 15 ans témoigne : Je suis venue chez ma tante pour poursuivre mes études et travailler dans un bar la nuit. Quand je suis arrivée, ma tante m'a demandé d'attendre et d'aller à l'école l'année suivante pour que je puisse m'habituer à la ville. Plus tard elle m'a demandé de vendre au bar tous les jours. Quand un client me fait des avances, je préviens ma tante et elle me dit, tu es une fille jeune et belle, c'est normal que les hommes s'intéressent à toi. Un soir, elle est venue me demander d'être gentille avec les clients tout en m'assurant qu'ils ne sont pas méchants et ne me feront pas de mal. Quand un homme riche vient au bar, elle me demande de le servir dans le salon derrière le bar. Quand nous arrivons, il me propose de l'argent et me demande de coucher avec lui. Je n'ai pas le droit de refuser sinon je serai renvoyée au village. Après 30 minutes, ma tante entre et me demande s'il est gentil. Elle prend l'argent et le soir m'en donne un peu pour acheter des vêtements187(*). En somme, on peut retenir que les enfants victimes de traite et de trafic sont tout simplement victimes de toute l'injustice qu'un homme puisse faire à son semblable. Seulement, le travail des enfants dans la rue constitue une fois de plus une réelle exposition des êtres sans défense à d'énormes risques. Le travail des enfants tel que nous l'avons parcouru peut être divisé en huit catégories : ü Le travail effectué dans la sphère familiale ; ü Le travail dans le secteur informel ; ü Le travail domestique ; ü Le travail dans l'industrie manufacturière ; ü L'exploitation sexuelle ; ü L'agriculture ; ü La servitude pour dettes ; ü Les enfants soldats. Il est à noter que les trois dernières catégories ne sont pas explicitées dans cette étude parce que ce type de travail n'a pas de proportion dans notre site d'étude. En effet, l'agriculture est moins pratiquée à Yaoundé que dans les zones rurales, les enfants y sont minoritairement engagés. Quant aux enfants soldats, ils se retrouvent uniquement dans les pays en guerre.
Ce chapitre analyse les coûts et les bénéfices du travail des enfants au Cameroun dans un contexte bien défini. I- EVALUATION DES COUTS LIES AU TRAVAIL DES ENFANTS AU CAMEROUN DE 1952 A 2005 Ces coûts sont essentiellement issus des risques sociaux que présente la mise au travail des enfants ainsi que de l'évaluation de son poids sur l'économie de la capitale politique du Cameroun. * 172 * 173 * 174 * 175 * 176 * 177 * 178 * 179 * 180 * 181 * 182 * 183 * 184 * 185 * 186 * 187 |
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