Il s'agit ici d'une reprise de l'affirmation de Sg 6, 3,
à savoir tout pouvoir vient de Dieu. Si nous admettons que Dieu est au
commencement de toutes choses, il serait absurde de ne pas reconnaître
qu'il est fondement de tout pouvoir. Notre Dieu est un Dieu de l'ordre, et
l'ordre conduit à Dieu. Egal en bonté envers toutes ses
créatures, les humains en particulier, Dieu poursuit son oeuvre de
création en collaborant pleinement avec les hommes et les femmes de
bonne volonté. Le pouvoir que Dieu accorde aux rois, nous l'avons
souligné, répond à une aspiration profonde : Dieu
nous a créés pour le bonheur. Aussi couronne-t-il des rois afin
qu'ils soient, sous son regard, de vrais régulateurs dans
l'accomplissement du « déjà-là » de ce
bonheur, en rendant possible l'épanouissement général des
peuples.
La vision de l'homme qui se dégage du Livre de la
Sagesse, ne reconnaît pas en lui l'origine du pouvoir : Le
pouvoir est un don du créateur. L'homme, c'est Dieu qui l'a
façonné depuis le sein maternel. L'homme n'est pas le fruit du
hasard. Dieu se soucie de lui et prend continuellement soin de lui. L'homme
doit obéissance à Dieu son créateur, qui est la lampe de
ses pas. Dieu a un projet pour ses créatures, projet auquel il fait
participer toute la création. La création, qui, toute
entière converge vers « le bien ultime ». Ce bien
n'est pas utopique ; il est un « projet » à
réaliser hic et nunc dans l'ordinaire de nos activités,
c'est-à-dire, dans la gestion de nos pays, villes et cités, comme
le préconise la théologie de l'espérance de Moltmann.
En effet, Moltmann36(*) maintient que l'eschatologie concerne
« l'avenir ultime », contrairement aux auteurs qui font de
la réalité eschatologique un
déjà-là, éternellement présent, au
détriment de la force opératoire dans l'histoire présente,
de l'avenir promis par Dieu. Seulement cette force opératoire doit
infléchir le cours de l'histoire et investir toute la vie des croyants.
Ainsi, tout divorce entre la foi et l'engagement dans le monde de Dieu et la
terre des hommes, entre la théorie et la praxis, sera
évité. L'eschatologie concerne en même temps un
« déjà là »,
« un pas encore », et confie à l'homme la
responsabilité, sous le regard de Dieu de continuer à travailler
pour un monde meilleur37(*). Une attitude de prière et d'humilité,
à l'instar de celle du roi Salomon, nous permet d'accéder
à la Sagesse qui nous guide dans la réalisation de ce projet, et
nous comble déjà de bonheur, en prélude à la
réalisation des promesses eschatologiques.
La Sagesse, il faut la rechercher, car elle se laisse trouver
par ceux qui la désirent. La Sagesse est présente en nous, mais
elle est en nous comme un édifice à construire, un don à
faire fructifier sous le regard de Dieu. La Sagesse imprime en nous le
désir de la réussite et le désir d'accomplir le bien. Dans
une cohérence profonde de soi avec soi, la Sagesse nous unifie en nous
identifiant à Dieu. Comme un être qui tâtonne dans
l'incertitude, l'homme peut manquer de Sagesse et faire un mauvais choix qui le
conduit sur le chemin de la perdition. Il peut être l'objet d'une crise
spirituelle qui lui fait remettre tout en question. Confusion et
obscurité s'ensuivent au sujet de nombreuses questions existentielles,
notamment celle du pouvoir qui nous occupe ici. L'affirmation que tout pouvoir
vient de Dieu peut, sans l'ombre d'un doute, prêter à
équivoque. Mais sa mise en question a souvent pour origine un
désir malsain de se dérober du regard de Dieu38(*). Une telle dérobade
peut être imputée soit aux rois soit aux peuples.
De la part des rois, elle peut naître de leur
volonté de puissance. Des graves dictatures du genre de celles dont le
monde actuel nous livre le spectacle, en sont la conséquence. Quand
c'est le peuple qui refuse de reconnaître que l'origine du pouvoir est en
Dieu, une anarchie mortelle peut s'en suivre. L'histoire politique mondiale en
donne de nombreux témoignages. Par contre, quand il est mené sous
le regard de Dieu, le jeu politique peut contribuer au bonheur du peuple tout
entier. Les fruits tangibles en sont la paix, au-delà de la seule
absence de guerre et la bonne gouvernance, avec tout ce qu'elle apporte, avant
tout l'établissement d'une société juste.
Notre vie, inévitablement, est traversée de
tensions : nous devons faire des choix, établir des
priorités. Ces tensions ne peuvent être résorbées
pae ce que nous percevons à l'aide de nos organes sensoriels, à
savoir les yeux, les oreilles, la peau, la langue, le nez. Bref, la tension est
toujours-et-déjà-là, nous devançant dans notre
détermination. Pourtant le discernement et la bonne gestion du pouvoir
et de nos personnes restent possibles. L'Homme n'est pas le prisonnier de son
monde, mais reste ouvert à la transcendance. Dans toute entreprise, la
Sagesse sous le regard de Dieu est la condition d'efficacité. Il n'est
pas étonnant que l'histoire politique ait constamment remis en question
le principe que le fondement du pouvoir est en Dieu39(*). Aujourd'hui encore la
question est posée avec acuité. Les différentes
démocraties, plus au moins déguisées, du 21e s,
préfèrent se confier au pouvoir des armes.
Les abus de pouvoir, dans la gestion politique des choses du
monde actuel, nous confrontent à la question de savoir : quel est
le socle vitalisant sur lequel se fonde le pouvoir aujourd'hui ? Serait-ce
sur le consensus40(*)
humain ? Le Livre de la Sagesse de Salomon nous rappelle que le
véritable fondement du pouvoir est en Dieu, qui nous préserve de
toutes les perversions qui ont pour cause, le manque des repères dans
l'exercice du pouvoir. Ces perversions ont élu domicile dans le
fonctionnement de l'appareillage politique africain. Fonder le pouvoir
autrement qu'en Dieu n'en augmente aucunement l''emprise. Au contraire,
reconnaître que Dieu est la source de tout pouvoir est une exigence
fondamentale pour un monde qui s'épuise dans une quête de paix
sans repères divins qui lui sont fournis.