· 1.2. La Sagesse brille et ne se flétrit pas (Sg
6, 12-21)
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- Cette partie se présente comme une réalité attirante
et séduisante. C'est ici que commence, à proprement parler,
l'éloge de la Sagesse par le sage. La Sagesse est
représentée comme une entité, voire une personne divine.
Sa personnalité s'affirme d'abord par le fait qu'elle va elle-même
au-devant de ceux qui la cherchent : (cf. Pr 8, 17). Au rendez-vous de
l'homme avec la Sagesse, celle-ci précède déjà
celui-là. Sur une route tortueuse et obscure de l'expérience et
de l'insécurité existentielle, la Sagesse se dresse toute
splendide (cf. adj. lampra) sur les hauts plateaux pour
éclairer le chemin de l'homme.28(*)
L'homme doit être en mesure de la recevoir, car non
seulement elle se donne en libation à qui veut la boire, mais aussi se
fait hôte de qui veut rester auprès d'elle. La soif de
désirer la Sagesse doit accompagner chacun de nos pas, dans nos
activités quotidiennes sous le regard du Seigneur. La Sagesse apparait
enfin comme la voie véritable que doit suivre l'homme
égaré. Elle est un « ange gardien » et
restaure la vie en surabondance là où la mort menace. La Sagesse
est ce à quoi l'homme aspire profondément sans peut-être la
connaître. L'auteur invite à l'ouverture du coeur, pour accueillir
ces valeurs supérieures que patronne la Sagesse : cette disposition
d'âme crée déjà une certaine affinité avec
elle, la rend plus proche et la fait « discerner »29(*) .
La quête de la Sagesse doit nous habiter. Elle doit
être présente en nous, et nous donner la disposition d'une
âme assoiffée qui a pour seul breuvage la volonté de Dieu.
A partir du v. 17, commence une argumentation en forme de sorite30(*), type de raisonnement que les
stoïciens affectionnaient 31(*)(du grec soros : tas, monceau,
accumulation). Il s'agir selon Aristote,32(*) d'une suite de syllogismes agencés de telle
sorte que l'attribut de chaque proposition devienne le sujet de la suivante
jusqu'à la conclusion qui a pour sujet, le sujet de la première
proposition et pour attribut, l'attribut de l'avant-dernière.
Ainsi : tout A est B, or tout B est C, or tout C est D, or tout D est E,
donc tout A est E. L'argument est valable si les mots ont même valeur ou
signification et si aucune des prémisses n'est fausse ou douteuse.
En voici un exemple classique:
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Verset 17-19
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- Tous les hommes sont des mammifères
- (Or) tous les mammifères sont des
vertébrés
- (Or) tous les vertébrés sont des animaux
- (Or) tous les animaux sont des êtres vivants
- Donc tous les hommes sont des êtres vivants
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- Car son commencement, c'est le
désir très vrai de l'instruction
- (Or) l'amour, c'est l'observation de ses lois,
- (Or) l'attention aux lois, c'est la garantie de
l'incorruptibilité
- (Or) l'incorruptibilité fait qu'on est près de
Dieu
- Dernier vers: Donc le désir de la sagesse conduit
à la royauté
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Comme raisonnements les sorites fonctionnent par inclusion ou
attribution successives. Bien que l'auteur de la Sagesse évite
la répétition littérale des mêmes mots et de la
conclusion, il prend soin cependant de joindre dans sa conclusion la notion
initiale au prédicat de l'avant-dernière proposition. Aussi le
rapport établi entre termes successifs, en est un de conséquence
interne, qui fait penser justement à cette logique stoïcienne,
constate C. Larcher33(*).
Il s'agit de démontrer que la recherche de la Sagesse assure la
royauté, démonstration à laquelle des rois ne
sauraient rester insensibles. Pour C. Larcher, l'auteur a donc voulu signifier
à la fois que le désir de la Sagesse est un commencement, et un
commencement « très vrai, authentique, sûr,
certain », quand il amène celui qui veut être instruit
de tout ce qui la concerne à se soumettre à l'éducation
qu'elle patronne ou dispense34(*). Tel est l'enseignement traditionnel des sages :
pour eux, la Sagesse et la pratique de la justice garantissent la
stabilité d'un trône (Pr 16, 12 ; 20,28), autrement dit, un
pouvoir prospère sous le regard de Dieu. C'est à travers un
discernement continuel, lucide, toujours tendu vers la quête inassouvie
des dons divins que la Sagesse se dévoile à ceux qui la
désirent.
La Sagesse est bienveillante, elle est l'objet d'amour :
l'observation de ses lois garantit l'incorruptibilité : plus que le
savoir-vivre, elle donne accès à Dieu. Voilà pourquoi les
rois doivent honorer la Sagesse. Il ne suffit pas de la tenir en estime ;
il faut reconnaître effectivement son excellence lui rendre hommage par
une soumission entière à ses enseignements et à son
influence35(*). Ce n'est
qu'ainsi que les princes pourront conserver leur pouvoir. La Sagesse est le
vrai début et le sommet dans tout désir du pouvoir dont le
Seigneur est la source. Plus qu'une vaine gloire, une élévation
humaine, la Sagesse fait siéger auprès du Seigneur, et procure au
roi le trône éternel, le sommet de toute aspiration des dirigeants
de la terre.
* 28 _ On pourrait à
ce niveau dire de la Sagesse qu'elle est le chemin, la vie, la lampe de nos
pas.
* 29 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome II. Paris, Op.,
cit., pp.418-419.
* 30 _ Il s'agit d'un
raisonnement souligne C. Larcher qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans l'AT
même pas en Os 2, 23-24 qui en donne l'air. Il diffère aussi
du climax de Rm 5, 3-5 et de l'inclusion de 1P 1,5-7. Cf. C. Larcher, Op.,
cit., p. 426.
* 31 _ Cf.
Sénèque, Ad Lucilium, lettre 85.
* 32 _ Cf. Aristote,
Metaphy. 1, 3,11, etc.
* 33 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome II. Op., cit.,
1984, pp.418-419.
* 34 _ Ibid., p.
427.
* 35 _ C. Larcher, Op.,
cit., p. 432.
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