· 1. De
l'écoute à la Sagesse du pouvoir
· 1.1. Les rois doivent
prêter l'oreille à la Sagesse (Sg 6, 1-11)
Au début de cette deuxième partie du livre,
l'auteur reprend avec plus de solennité, l'apostrophe initiale (1, 1-
15). En même temps, il introduit le thème premier, celui de
l'écoute : il s'agit d'un acte essentiel de gouvernement. L'auteur
s'adresse aux rois d'égal à égal et les invite
à « écouter », à prêter
l'oreille. L'écrivain se situe résolument en maître de
sagesse. Avec une remarquable audace, il remet les rois à leur
place : le pouvoir n'est pas sans conséquences pour eux, et n'est
pas le fruit d'une génération spontanée : c'est une
allégation de la souveraineté divine. Les rois doivent se mettre
à l'écoute de Dieu de qui vient toute la puissance qu'ils
incarnent sur la terre22(*). Dieu a le souci continuel de veiller à
l'ordre établi par les grands de ce monde. S'il est vrai que Dieu a
placé des rois en tête de son peuple, il est tout aussi vrai que
c'est Dieu lui-même qui gouverne à travers les différents
rois. Voilà pourquoi l'on devait gouverner le peuple de Dieu avec
crainte et tremblement.
Les rois doivent avoir le regard tourné vers le
Seigneur. Se laissant ainsi instruire, ils peuvent, à leur tour, guider
les peuples selon les voies du Seigneur. Il sied aussi de savoir que viendra le
temps où des rois devront rendre des comptes à Dieu23(*). De même que le Seigneur
fait confiance aux rois avec une grande magnanimité, les plaçant
en tête de son peuple, avec tous les honneurs possibles, de même
leur jugement sera sévère si ces derniers se moquaient du peuple.
Tout pouvoir vient de Dieu24(*) (para kuriou), le seul Seigneur de l'univers
(6, 3). Et le jugement divin s'exercera avec rigueur25(*) à l'égard des
grands (6,5). Son jugement sera sévère. « Le souverain de
tous ne reculera devant personne (...), sa providence est la même pour
tous » (6, 7). Dieu a fait l'humble et le puissant et il veille
pareillement sur tous (Pr 22,2 ; 29,13). Conscient de ce qui attend les
gouvernants, l'auteur offre ses services, non seulement à ceux qui ont
de lourdes responsabilités, mais aussi à chacun de nous: l'auteur
veut nous apporter son aide pour que nous apprenions la Sagesse, et atteignons
la rectitude morale et religieuse sans trébucher (6, 9).
Les commentateurs qui situent le Livre de la Sagesse
dans les premières décennies de l'occupation romaine en
Égypte signalent que les précisions Sg 6,1-2 pourrait viser cette
« grande puissance » du moment26(*). Il est vrai que Sg 6,1-11 manifeste une certaine
admiration pour la puissance avec laquelle les rois imposent leur
autorité sur toutes les terres conquises. Mais il ajoute d'emblée
qu'un tel pouvoir peut avilir l'humain. Et quand on se souvient que c'est Dieu
qui accorde le pouvoir, on ne peut qu'admirer la confiance que Dieu accorde
à ses créatures. La tentation qui guette toujours les hommes est
de « s'auto-diviniser » et d'instituer un culte
idolâtrique dont il serait l'objet. Néanmoins, un roi choisi en
toute légitimité selon les règles, n'est plus un homme
ordinaire à proprement parler ; il est l'instrument
privilégié, au regard des humains, par lequel leur est
communiquée la volonté divine.
Par son ascension au trône, le roi occupe une position
sociale très complexe et même paradoxale : il n'est ni sur
terre ni placé dans les hauteurs. Les ovations et éloges du
peuple l'élèvent en dignité et le font assoir dans une
sphère dont il maîtrise mal les règles. Cette situation a
conduit, à différents moments de l'histoire politique du
monde27(*), beaucoup de
rois et de gouvernants à leur propre ruine. C'est pourquoi disposition
à l'écoute de la volonté divine est essentielle dans tout
exercice de gouvernement. Il s'agit, en fait, d'un discernement continuel, en
toute ouverture, pour juger selon le droit et dans le respect de la loi selon
la volonté de Dieu pour son peuple (Sg 6,4).
* 22 _ L'auteur semble
penser ici moins à une pluralité de souverains se partageant la
terre, qu'à une autorité s'exerçant, par des
représentants divers (dikastai), jusqu'à
l'extrémité du monde connu. Il s'agit d'une allusion à la
puissance romaine que les Juifs connaissaient et qui paraissait de plus en plus
comme une puissance mondiale. Cf. C. Larcher, Le Livre de la Sagesse ou La
Sagesse de Salomon. Tome II, Paris, Librairie Lecoffre, 1984, p. 402.
* 23 _ Ibid.,
p.339.
* 24 _ La doctrine de
l'origine divine du pouvoir était affirmée déjà
sous différentes formes par l'Ecriture, en particulier par Pr
8,15-16 ; Dn 2,37 ; 1Ch 29, 12 ; Si 10, 4. L'idée que
l'autorité exercée par des hommes provient de Dieu est reprise
aussi dans le N T, toutefois dans un contexte différent, par exemple
dans le fameux passage de Rm 13, 1 : « Il n'y a d'autorité que par
Dieu et celles qui existent sont établies par lui ». Par ailleurs
Luc 22, 24-27 propose aux disciples du Christ une manière de vivre qui
ne soit pas calquée sur celle des rois des nations qui « agissent
en seigneurs », mais qui s'inspire, au contraire, de l'exemple de celui
qui s'est mis « à la place de celui qui sert ».
* 25 _ J. Bénigne
Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture
sainte, Paris, Dalloz, 2003, pp. 102-103.
* 26 _ M. Gilbert, Op.,
cit., pp.227-228.
* 27 _ Cf. Le Prince
de Machiavel.
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