· 2. Sagesse, un
mystère dévoilé
· 2.1. Salomon décrit la
Sagesse (Sg 6, 22-25)
Ayant indiqué ce que le désir de la Sagesse peut
procurer à l'humanité, l'auteur se propose d'en dire plus sur ce
qu'elle est en elle-même. Il énonce son intention en des termes
particulièrement prometteurs : «Je remonterai jusqu'au principe de
son existence, j'exposerai au grand jour la connaissance de sa
réalité » (6, 22). Il ne craint pas de recourir au mot
« mystère ». La vraie question ici se pose en d'autres termes:
« comment la Sagesse est-elle née ? » avec le
sous-entendu « en moi ». Le développement qui suit,
en effet, n'expose en rien la genèse de la Sagesse elle-même en
tant qu'entité divine (Pr 8, 22), mais montre plutôt comment
l'auteur l'a acquise. La naissance de la Sagesse et son évolution
restent un mystère. Autrement dit, Salomon a conscience qu'il s'agit
d'une réalité qu'on ne peut aborder qu'avec recueillement.
Notre effort de dire la Sagesse doit lui-même se laisser
instruire à l'école de la Sagesse : nous devons suivre le
chemin qu'elle nous trace. Un vrai pèlerinage sur les pas de la Sagesse
peut jeter quelques lumières sur le chemin qu'il nous faut suivre. La
trace de la Sagesse nous permet d'en savoir quelque chose. Sa trace nous
révèle une présence dans l'absence. Mais la question
persiste : par où est-elle passée, la Sagesse ? Plus
précisément, la route de sa pérégrination nous
est-elle intérieure ou extérieure ? Retrouver les traces de
la Sagesse dans l'expérience existentielle des hommes de bien est
indispensable à tout exercice du pouvoir. Une révolution qui est
en réalité une renaissance de la tradition doit être
fondée sur le roc, s'il veut assurer l'avenir radieux du peuple.
Toutefois, ce ne sont pas des considérations générales sur
la Sagesse qui nous sont offertes, mais un témoignage personnel. La
Sagesse est au fondement de toute bonne gouvernance terrestre41(*) : seul un roi
avisé assure le bien-être de son peuple (6,24).
· 2.2. Salomon n'était qu'un Homme (Sg 7,
1-6)
C'est le roi Salomon qui est supposé parler, comme cela
est précisé dans la suite du texte, v. 5ss surtout 9, 7-8. Il
sait que, pour obtenir la Sagesse, il faut prier. C'est là l'idée
essentielle du livre (8, 20). Il commence par une profonde prise de conscience
de sa dimension finie, conscience qu'il manifeste en faisant allusion à
sa propre naissance. Car c'est dans de tels moments qu'on en vient à
considérer toute l'humanité sur un pied d'égalité
(cf. 2 Mac 7, 28). Ce rappel souligne aussi le fait que c'est de l'ordinaire
que Dieu crée l'extraordinaire.
Cette vision des choses est assez forte pour que de nos
jours, on puisse encore y trouver un fondement de
« l'égalité naturelle entre les humains ». La
conscience devrait se laisser nourrir par ce « fondement
anthropologique », dans tout exercice du pouvoir. Ce fondement est
d'autant plus fort qu'il ne renvoie pas seulement à ce moment
originaire, initial, mais qu'il se prolonge aussi dans une vision
téléologique. Autrement dit, l'égalité des Hommes
se manifeste aux deux bouts de notre vie. Lorsque nous naissons, comme lorsque
nous retournons à la poussière. C'est pourquoi la volonté
de puissance, la perversion dans l'exercice du pouvoir, est un leurre, tant il
est vrai qu'aucun roi n'a débuté autrement dans l'existence (Sg
7, 5).L'humanité de l'Homme a sans cesse besoin de se ressourcer en Dieu
pour donner aux apports intersubjectifs leur juste dimension.
La Sagesse acquise par la conscience d'être
créé à l'image de Dieu (Gn 1, 27), dans une
communauté d'Hommes créés, nous confronte en même
temps à un devoir, celui de la reconnaissance de « l'autre
comme soi-même ». Il s'agit d'un appel intérieur auquel
une créature raisonnable et sensée est supposée ne pas se
dérober. Hors de cette conscience, l'Homme n'est qu'ignorance de son
essence, et donc en tourment perpétuel. Telle est la situation du
méchant, qui ne se soucie pas de la communauté humaine ;
telle est la situation de l'inassouvi qui se cherche hors de lui-même.
L'impunité de la part des hommes le soumet à des peines plus
terribles devant Dieu (Sg 6, 5). Comme le souligne Bossuet, la primauté
de l'état des rois leur attire une primauté dans les
supplices42(*).
* 41 _ J. Trublet (Dir.)
ACFEB, La Sagesse Biblique de l'Ancien au Nouveau Testament. Cf. la
contribution de Damien Noël « Quelle sotériologie dans le
livre de la Sagesse ? », Paris, Cerf, 1995, pp.188-196.
* 42 _ J. Bossuet,
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte,
Paris, Dalloz, 2003, pp. 102.
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