Sagesse et pouvoir. une herméneutique du pouvoir( Télécharger le fichier original )par Antoine BASUNGA Nzinga ITCJ - Baccalauréat canonique en théologie 2010 |
· 3.3. Croyance à la Survie et la Dignité Humaine
Bien des questions se posent à propos de ce que l'Africain entend par la vie. S'il est vrai que l'Africain croit à la continuité de la vie après la mort, pourquoi est-il constamment en lutte contre toute force contraire à la vie ? La vie, dans son expression actuelle, vaut-elle tellement plus qu'une vie prolongée dans le monde invisible ? Certes, selon les conceptions ontologiques africaines les forces peuvent entrer en lutte. Elles peuvent s'affaiblir mutuellement. Le monde des initiés cherche à influencer l'issue de la lutte. Il tient compte de l'existence de forces maléfiques qui ont pour objectif de réduire la force vitale des autres, peut-être jusqu'à l'anéantissement de ses expressions actuelles, dans la mort. Mais la croyance à la survie reste très ambigüe. Elle peut signifier que les forces maléfiques n'ont pas le pouvoir de réduire à néant la vie qui anime les vivants et les morts. Si tel est le cas, on comprend le message véhiculé par la vénération des morts en Afrique. Même chez les morts l'on trouve encore la chose la plus fondamentale : la vie. Nous avons montré comment la dignité humaine a son fondement dans la vie. En ce sens, la croyance en la vie après la mort ne fait qu'affirmer que la vie et la dignité humaine sont plus fortes que la mort. La valeur suprême de la vie, dans les conceptions africaines, est ainsi rendue manifeste nous aurions pu la poser dès le départ : même après la mort, la dignité humaine ne cesse pas de s'imposer. Lorsqu'on entreprend l'analyse des forces, il ressort clairement que certains les morts disposent de plus de forces vitales que les vivants. Les ancêtres peuvent intervenir directement dans la vie de ceux à qui ils ont donné vie. Ils peuvent prolonger leur existence à travers tel ou tel symbole de la vie : un arbre, une rivière, une colline, qui sont invoqués en cas de problèmes. L'Africain n'aurait aucun recours aux morts, aux ancêtres s'il n'avait aucune croyance en la survie et s'il ne croyait pas à la communion des vivants et des morts. Croire en cette communion est une expression de la dignité de la vie, qui possède un caractère permanent. Conclure
Nous voulons conclure cette réflexion en rappelant ce qu'a été la démarche poursuivie : partir de la « conscience anthropologique » exprimée dans Sg 7, 1-6 pour justifier la dignité humaine telle qu'elle est perçue en Afrique. Pour ce faire, il nous a paru opportun d'aller au-delà de l'intuition première que l'homme a droit au respect, intuition qui se retrouve dans toutes les cultures. En Afrique, nous avons retrouvé les éléments justificateurs de la dignité humaine dans ce que les Africains considèrent comme la valeur la plus fondamentale : la vie. Notre analyse a été focalisée autour de trois dimensions de la vie, à savoir la communauté, l'hospitalité et la survie, qui toutes mettent en lumière la dignité humaine. Il ressort de notre analyse que dans la société africaine, la complicité « individu-communauté » reste déterminante dans l'appréciation de la dignité humaine ; en effet, toucher à la vie, à la dignité d'un individu, c'est toucher à la conscience anthropologique de sa communauté. L'hospitalité n'a sa justification que dans l'intercommunication vitale, signe de la reconnaissance de l'autre dans sa dignité humaine. Toutefois, le concept de dignité n'est pas dernier, puisqu'il trouve son fondement dans « cette vie » à laquelle et les humains et les autres créatures participent tous, à différents degrés. L'humain qui achève la création, est tout d'abord un « participant », celui qui prend part à une « vie commune », à la Sagesse qui englobe tout l'univers africain. L'Africain n'aurait aucun recours aux morts, s'il n'avait aucune croyance en la survie et s'il n'y avait pas en lui la foi à la communion des vivants et des morts. Mais que nous demande le Seigneur lorsqu'à travers le Livre de la Sagesse de Salomon, il nous dit : « prêtez l'oreille vous qui dominez sur les multitudes » ? Quel est son message hic et nunc? Certes, la Sagesse est animée d'une puissance révélatrice. Elle est présente dès le commencement, quand le créateur s'en sert pour réguler toutes choses. C'est la même Sagesse qui, de manière dynamique, nous parle aujourd'hui à travers notre tradition africaine. Nous avons montré que la tradition africaine permet de trouver le fondement de la dignité humain dans ce que nous avons désigné du nom de « chair africaine ». Une réalité qui nous donne un sentir commun d'humanité et n'est autre chose que la vie. La vie serait-elle l'autre non de la Sagesse en Afrique ? Ecouter la vie lui parler, c'est pour l'Africain, s'écouter soi-même, dans sa conscience anthropologique, dans son essence la plus profonde! La vie constitue pour l'Afrique ce « locus » endogène du renouvellement de sa « conscience anthropologique ». N'y a-t-il pas un effort à faire pour revisiter sa propre culture, qui est un don de Dieu et un lieu de rencontre authentique avec le Christ qui est Africain dans ses membres66(*) ? Lorsque l'analyse du sens de la communautaire africain, de la signification de son hospitalité, et de sa croyance à la survie, redynamise la « conscience anthropologique » africaine, et fait prendre conscience de la grandeur et de la dignité humaine qui sont exprimée dans la conception de la vie, l'on comprend mal les aberrations suicidaires des gouvernants africains. Quel diagnostic porter sur le ratage de l'exercice du pouvoir en Afrique? Écoutons-nous suffisamment la Sagesse divine, en nous et à travers notre tradition ? Le troisième chapitre voudrait à cette question. Nous croyons que l'Afrique a besoin d'une nouvelle impulsion pour réinventer une culture du bien commun, et revitaliser l'Afrique. La Sagesse peut nous l'offrir et nous aider à rendre à l'Homme la conscience anthropologique que Dieu lui a donnée à l'origine. La conscience anthropologique telle qu'entendue ici, soulignons-le, n'est pas infaillible. Mais elle est, sans cesse rachetée et récréée, à l'image du Christ, l'homme-Dieu, le seul parfait. * 66 _ Jean Paul II, cité par Bujo. Cf. B. Bujo, Dieu devient homme en Afrique noire, Kinshasa, Paulines, 1996, p. 7. |
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