L'Africain est un être de conscience ; il prend en
compte l'existence de l'autre. Mieux, en l'Africain il y a la conscience de
« l'autre comme soi-même ». Cela suppose tout d'abord
une profonde connaissance de soi-même comme être spécifique,
différent des autres. Il s'agit de dépasser le simple fait d'une
nature où les oiseaux de même plumage cohabiterent de
manière pacifique, pour aller à la
« co-naissance » des aspirations les plus
élevées qui amènent les hommes à la coexistence.
L'Africain communie, dès le sein maternel, au sens de la dignité
humaine. Ce sens de la dignité lui est inculqué ensuite par son
éducation et aussi par le monde avec lequel il est en constante
communion.
L'hospitalité africaine n'a pas son fondement dans
l'émotion, moins encore dans un amour sentimental. L'hospitalité
est l'une des vertus hautement estimées par les Africains. Elle trouve
son fondement dans « l'être » africain, qui est tout
d'abord un « être avec » selon les mots chers au
Père Matungulu64(*). C'est parce qu'au fond de lui, il reconnaît la
présence de la vie que l'Africain est disposé à communier
avec l'étranger comme avec un alter ego. Chez l'Africain la vie
n'est ni passion, ni naïveté. Elle est l'élément
mobilisateur et déterminant dans l'agir et la connaissance de l'Homme.
En elle, l'être et l'avoir s'embrassent. Et puisque l'agir ne peut
être séparé du savoir, chez l'Africain,
l'hospitalité s'impose, comme une obligation incontournable.
L'hospitalité suppose, outre l'intercommunication
vitale (intersubjective), et la reconnaissance de l'autre comme soi-même
dans sa dignité humaine, un dessaisissement total de soi. Dans
l'hospitalité, l'hôte fait place à l'autre avec qui il
partage son humanité. En termes bibliques on dira « qu'il
grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30).
L'hospitalité est une valeur importante pour l'homme africain. Elle est
en fait, un savoir vivre qui façonne le quotidien de l'Africain, et
prend forme dans la vie sociale. Tout aussi légitimement, une lecture
plus large du sens de l'hospitalité africaine peut être
faite: elle peut être saisie comme une disposition intérieure en
l'homme, qui trouve son fondement dans la conception de la
« vie » commune à tous les Africains. En ce sens,
l'hospitalité dépasse largement le simple cadre de relations
humaines.
L'hospitalité africaine est plus qu'une
disposition : elle se prolonge dans une attitude d'ouverture à
l'égard de toute la création et de tout le cosmos. C'est pourquoi
l'Africain se sent constamment lié à la création, dans
laquelle il perçoit le prolongement de son être. Le sens du
concept de « dignité » dans la vision africaine,
trouve son fondement dans « cette vie » à laquelle
et les humains et les autres créatures participent à
différents degrés. La personne humaine, comme
synthèse de l'univers et carrefour des forces de vie, situe sa
dignité autrement qu'elle ne le fait pour d'autres créatures.
« La personne est et [reste] un ordre dans un ordre ; elle est
une relation d'être et de vie au monde, une vie reçue,
participée à partir d'une même source. Elle n'est pas en
dehors du monde, elle n'est pas seulement dans le monde, elle est
tissée, fabriquée, faite du monde, dont cependant elle est
à la fois archétype et centre »65(*). La spécificité
du mode de compréhension de la dignité humaine en Afrique, donne
aussi l'Africain un sens propre de sa responsabilité face à la
gestion du cosmos. Là encore, soulignons-le, c'est une question qui se
pose à l'homme et par l'homme.
En posant des questions écologiques, et en cherchant
des réponses, l'Africain ne fait que manifester son souci de
préserver l'autre en lui-même, c'est-à-dire la vie dans son
caractère englobant. La nature a bel et bien une
« dignité », qui n'est pas égale à la
dignité humaine mais qu'il faut respecter. L'humain, tout en restant la
fin de la création, est tout d'abord un participant, qui prend part
à la « vie commune » qui régit l'univers
africain. De cette vie lui vient sa dignité spécifique, et elle
se prolonge même après son passage sur la terre.