· 3. Principe de
vie au fondement de la dignité de l'Africain
Les bases de la dignité supérieure de l'Homme
ainsi posées, « la dynamique qui promeut la Dignité
humaine n'est pas à chercher dans les tâtonnements
intellectuels des idéologues, ni dans les violences politiques et
militaires. Il est à chercher dans l'exemple du meilleur des hommes, qui
est aussi - qu'ils le sachent ou non- l'Amour dont ils sont tous
issus »57(*).
Nous disons qu'en Afrique, l'Homme est porteur d'une richesse
inaliénable. Une richesse dont l'estime fait l'unanimité de
tous : la vie. Il s'agit d'une vie qui va au-delà du
phénoménal. Elle tend vers extrémités de l'infini
de la réalité disponible et à espérer. Autrement
dit, la vie comme valeur primordiale des Africains ne saurait se réduire
aux simples faits de respirer, de marcher, de manger etc. Elle est plus que ses
différents attributs. La vie est une réalité dans laquelle
l'Africain entre et sort sans que celle-ci ne s'épuise. La vie est
à situer au-delà de « l'être et le
temps », dans le déroulement existentiel des
sociétés noires. Si la vie est une
réalité dans laquelle l'on entre, il faut admettre que la vie
précède l'individu. Celui-ci prend part à cette vie
pendant son séjour sur la terre. La vie est une réalité
continue à laquelle l'Africain communie sans cesse, même
après son séjour sur la terre. La vie intègre toutes les
autres réalités, y compris les réalités cosmiques.
C'est en ce sens que, considérant l'héritage culturel des peuples
de l'Afrique subsaharienne, au-delà de toutes différences, (que
ce soient des facteurs psycho-biologiques, de milieu, de la production
matérielle ou de la conception du monde) Elungu souligne que la valeur
commune à tous ces peuples est celle de la vie. « La vie
qui est mienne est aussi fondamentalement ma vie après ma mort, elle est
ma vie dans le clan, ma communion substantielle avec les ancêtres, les
« vivants », et ceux à venir qui sont les miens,
elle est aussi ma participation aux autres vies de l'univers naturel, aux
autres réalités ou forces, elle est enfin mon union à la
source de vie, le Père de tout, Dieu»58(*). Dans cet ensemble complexe
que constitue la vision africaine de la vie, la dignité humaine est
forcement liée à toutes les actions mutatis mutandis qui
contribuent à l'accroissement de cette vie. Voilà pourquoi, la
dignité humaine est reconnue dans les milieux africains. Une vie en
péril, quelle qu'en soit la nature, suscite
« l'empathie » de tous.
En effet, la dignité humaine, du fait qu'elle est
liée à la vie, et parce que la vie est la valeur la plus noble
pour les Africains, elle ne laisse personne indifférente. L'on a beau
souligner le caractère émotionnel (Senghor) de l'Africain ;
mais en réalité, il s'agit d'un « sentir »,
d'une « intuition » beaucoup plus humaine que l'on ne le
pense. Merleau Ponty, en tant que phénoménologue existentialiste,
a bien su articuler le concept de « chair »59(*). Pour lui, toute
l'humanité est tissée de la même
« chair » qui, fondamentalement, nous porte dans un
« sentir commun ». Il n'est pas du tout inexact que la
tradition africaine a trouvé le fondement de la dignité humaine
dans cette « chair africaine » qui n'est autre chose que la
vie. L'intuition, en Afrique, est que la vie possède une extension qui
dépasse la perception, même si dans l'ontologie africaine60(*)on en a souligné le
caractère hiérarchique. La réinterprétation de la
valeur de la vie nous semble être le point sensible par lequel il faut
« sensibiliser » la conscience des hommes politiques noirs
en général et africains en particulier.
Pour nous, la vraie métanoia politique ne
peut resurgir que d'une profonde prise de conscience des pratiques aberrantes
qui corrompent petit à petit la res publica. Il s'agit donc
bien d'une question urgente. Mais quand la corruption s'habille splendides,
l'homme qui se couche sur l'or, boit et mange à son aise, peut ne pas se
rendre se rende bien compte de la progression du mal. Le déguisement du
démon en ange de lumière surprend parfois. Lorsque le goût
du vin cesse de plaire seulement la langue pour se saisir aussi de la raison et
du coeur de l'Homme, le mal est fait. L'intention première, avons-nous
dit, n'est pas de protéger la dignité humaine contre les
violences politiques et militaires. Cependant la pratique de la politique, sur
la terre africaine, et le traitement dévitalisant infligé
à l'Homme réduisent l'humain à l'état d'objet, et
partant, attaque aussi sa dignité. Avant que l'ivresse ne brouillent nos
jugements, entreprenons une évaluation de la dignité de
l'Africain qui se manifeste dans quelques aspects de sa culture, à
savoir la communauté, l'hospitalité et la croyance à
la survie. Il s'agit de montrer, en spirale, comment la valeur de la vie
fait partie intégrale et constante de l'héritage culturel de
l'Africain.
* 57 _ J. M. Van Parys.
Op., cit., p. 5.
* 58 _ Elungu P.E.A.,
Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L'Harmattan,
1987, p. 23.
* 59 _ M. Merleau
Ponty, Le visible et l'invisible, texte établi et
édité par C. Lefort, Paris, Gallimard 1964, p.302.
* 60 _ P. Tempels, La
Philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine, 1965.
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