III.2- Les recommandations
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Du point de vue de la politique
monétaire
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L'objectif de stabilité des prix est assigné
prioritairement à la politique monétaire mise en oeuvre par la
BCEAO. Le taux d'inflation est devenu la variable cible de politique dans
l'espace UMOA avec un objectif de 3% de variation. Pour atteindre cet objectif,
deux options s'offrent à la Banque Centrale : cibler les prix en niveau
(ciblage du niveau des prix) ou en variation (ciblage du taux d'inflation).
L'analyse empirique de la présente étude compare
l'efficacité relative des deux mécanismes à travers la
variabilité de l'inflation et il ressort que la règle de ciblage
du niveau des prix présente un avantage gratuit : sans augmenter la
variabilité de la production, elle réduit significativement la
variabilité de l'inflation. Au regard de ce résultat obtenu,
l'adoption de la règle de ciblage du niveau des prix présente un
avantage certain dans la perspective d'une stabilisation effective des prix
dans l'UMOA. Le respect des conditions et contraintes de mise en oeuvre de
cette politique est aussi essentiel pour assurer l'existence de l'avantage
ainsi mis en évidence.
Dans son analyse initiale, Svensson (1999) précise les
conditions et contraintes : l'avantage gratuit se matérialise dans un
cas bien particulier, celui de la courbe de Phillips des nouveaux
économistes classiques dans laquelle la persistance de la production
est
endogène (.1. > 0.5), et les coefficients de la
production sont les mêmes, que la fonction de
perte comporte un objectif d'inflation ou de niveau des prix.
Par ailleurs, suivant Barnett & Engineer (2000, p 148), l'avantage gratuit
se matérialise parce que le ciblage du niveau des prix a pour effet de
conditionner les attentes en matière d'inflation de manière
à empêcher une hausse de la variabilité de l'inflation et
de la production ; cet effet est observé dans le nouveau modèle
classique même si les attentes sont prédéterminées,
parce que les attentes rationnelles sont indirectement prospectives.
Pour la période d'étude, les conditions ont
été réunies et il importe dorénavant d'inscrire les
choix et stratégies de la Banque Centrale dans le sens du respect de ces
contraintes. Le choix de la production (ou de son écart) à la
période courante influe sur la courbe de Phillips de la période
suivante par l'entremise de la production (ou de son écart)
retardée. La persistance de la variable retardée
doit être non seulement effective mais aussi endogène ; quand la
persistance de la production est exogène, la Banque Centrale ne peut
rien faire pour modifier l'arbitrage inflation-production. En terme
précis, les autorités aussi bien monétaires que
gouvernementales doivent travailler à réduire l'effet des chocs
et facteurs exogènes au système productif dans les
différents pays de l'union. Ceci implique une économie
intégrée et moins tributaire des chocs externes de prix et de
matières premières qui peuvent invalider la persistance
endogène de la production.
Pour Barnett & Engineer (2000), l'importance des attentes
et anticipations d'inflation reste essentielle dans le mécanisme de
formation de l'écart de production. Dans le cadre de l'UMOA,
l'étude empirique révèle de faibles relations moins
significatives entre la production et les anticipations d'inflation : alors que
le coefficient de référence dans les
études portant sur les économies
développées est de a = 0.5, le paramètre estimé
pour la
zone est de a = 0.0352 et 0.0104 respectivement lorsque
l'inflation et le niveau des prix
sont pris pour cible. Une hypothèse forte est faite
pour égaler l'inflation anticipée à l'inflation cible de
3%, étant donné, une anticipation rationnelle. La Banque Centrale
doit mettre en oeuvre des mécanismes qui permettent de capter
l'attention des agents économiques sur l'annonce publique de la cible
d'inflation afin qu'elle intègre les comportements en matière de
consommation et d'investissement. Les politiques visant à relever le
paramètre a, mesure de la sensibilité de la production à
l'inflation sont à promouvoir dans l'union : l'information, la
sensibilisation et le respect des engagements annoncés
(crédibilité) comptent parmi les actions plausibles.
La caractéristique principale de la règle de
ciblage du niveau des prix à l'origine de l'avantage réside dans
la correction par période des dérives dans la formation des
prix,
suivant la relation it* =
it*--i + i*. Ainsi, compte tenu de la
variation souhaitée des prix, et du niveau de prix ciblé
à la période précédente, la Banque détermine
chaque période le niveau cible à intégrer dans la
règle. Cette exigence essentielle de la mise en oeuvre de
la règle peut constituer pour la BCEAO, un défi
méthodologiquement difficile. En effet, l'élaboration des
Indices Harmonisés des Prix à la Consommation (IHPC) pour
l'ensemble des pays de l'Union connaît des retards certains dans le
processus et des limites apparentes dans l'approche. La détermination
de l'indice des prix en valeur réelle ou en tendance nécessite
une amélioration sensible qui fiabilise davantage le
mécanisme générateur : aussi bien la BCEAO que la
Commission de l'UEMOA doivent impérativement oeuvrer dans ce sens dans
le cadre de la politique économique en général et celui de
la règle de ciblage du niveau des prix en particulier, la question de la
nature des composantes de l'IHPC étant cruciale. Le niveau
prévisionnel de la variable servant d'objectif intermédiaire, et
son écart par rapport au niveau cible déterminent le choix de
l'action à mener.
Nonobstant la correction des dérives de prix, la
règle de ciblage du niveau des prix ne renseigne pas sur la nature de la
pente du sentier visé, en terme de variation des prix (n*).
Cette pente doit-elle être positive ou égale à zéro?
Dans un exposé présenté au colloque de la Banque de Canada
en 1997, Coulombe (1998) s'est fait l'avocat de cibles exprimées en
fonction du niveau des prix et des prix stables. A l'issue d'une analyse
centrée sur l'allocation entre périodes et les distorsions
qu'entraîne l'inflation dans les signaux de nature intertemporelle
transmis par les prix, il conclut qu'un régime caractérisé
par la stabilité pure des prix est clairement supérieur du point
de vue théorique. En terme clair, une inflation nulle est
préférable à une inflation positive. Si tous conviennent
en l'état des connaissances que l'inflation n'est pas une bonne chose,
ils admettent aussi que les avantages et les gains d'un taux d'inflation
égal à zéro sont difficiles à mesurer (Parkin,
2001).
Alors que certains, à l'instar de Coulombe (1998),
estiment des gains importants, d'autres, plus sceptiques, considèrent
qu'en l'absence d'indications quantitatives claires, ils sont probablement
négligeables, la stabilité pure des prix étant alors
très coûteuse. Parkin (2001) donne trois raisons pour lesquelles
une inflation positive pourrait être préférée
à une inflation nulle : i) l'inflation mesurée est
supérieure à l'inflation véritable; il faut donc viser la
stabilité du vrai niveau des prix et accepter une hausse du niveau des
prix mesuré; ii) l'inflation lubrifie les rouages du marché du
travail et rend son fonctionnement plus efficient; iii) les taux
d'intérêt nominaux ne peuvent devenir négatifs; si la
stabilité du niveau des prix est visée, l'économie se
heurtera trop souvent à la borne du zéro et les autorités
monétaires seront dans l'impossibilité de hâter la fin
d'une récession en abaissant les taux. Pour ces différentes
raisons qui s'appliquent bien à l'UMOA, une variation positive des prix
est préférable à une inflation nulle compte tenu notamment
des erreurs de mesure et de la contrainte de non-négativité du
taux d'intérêt nominal.
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Du point de vue de la dimension institutionnelle de la
Banque Centrale
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Un régime axé sur la poursuite de cibles
d'inflation ou de niveau de prix aide à clarifier le débat qui
oppose les règles à une conduite discrétionnaire de la
politique monétaire : la règle de ciblage du niveau des prix
constitue une solution à l'incapacité de la Banque Centrale
à s'engager véritablement et résolument sur une politique
donnée. Un tel régime établit assez clairement les
objectifs de la politique monétaire et le cadre dans lequel ils doivent
être atteints ; le cadre définit les responsabilités des
différents acteurs, les comptes qu'ils ont à rendre et le
degré de transparence à assurer, laissant toutefois à la
Banque Centrale, l'expert en la matière, le soin d'atteindre la cible au
moyen des instruments que le cadre lui permet d'employer. C'est ce que Svensson
(1999) a désigné par le pouvoir discrétionnaire
encadré (constrained discretion), lequel décrit le cadre
institutionnel de la politique monétaire sous un régime de
ciblage : l'indépendance, la crédibilité et la
transparence.
Dans un article publié dans Finances &
Développement de Septembre 2000, Croce et Khan affirment, « la
politique monétaire est plus efficace lorsque les marchés en
comprennent les objectifs et le rapport entre ces objectifs et les mesures
prescrites »31 ; en ceci consiste l'hypothèse
sous-jacente des règles de ciblage, lesquelles astreignent la Banque
Centrale à assurer une faible inflation. La transparence du processus et
des mécanismes réside dans la publication officielle de
l'objectif d'inflation ou de niveau des prix à atteindre pour une
période donnée. La responsabilité d'atteindre cet objectif
incombe à la Banque Centrale, libre de mettre en oeuvre les instruments
adéquats et efficients dans ce cadre et de publier par ailleurs
périodiquement des informations utiles sur ses choix, ses
stratégies et ses décisions. Ce devoir de transparence qui
s'impose aux autorités monétaires contribue à
réduire l'incertitude quant aux orientations futures de la politique
monétaire tout en renforçant la crédibilité et la
responsabilité de la Banque Centrale. C'est pourquoi, avant même
des mécanismes visant à intégrer les annonces dans les
comportements de consommation et d'investissement recommandé
précédemment, il importe que la BCEAO se dote d'un processus
cohérent et transparent de publication des objectifs prévus et
réalisés, de même qu'une explication précise des
écarts constatés.
31 Finances & Développement, Septembre
2000, p 49.
De toute évidence, la Banque Centrale peut asseoir sa
crédibilité en atteignant les cibles d'inflation
annoncées. Au même titre que la transparence, la
crédibilité de la Banque Centrale est un élément
fondamental dans la mise en oeuvre efficace de la règle de ciblage du
niveau des prix. Elle suppose non seulement la réalisation de la cible
annoncée, mais aussi le respect des instruments adaptés, des
stratégies annoncées et des anticipations ou prévisions
justes avec les réalisations. En réexaminant la mesure des gains
de bien-être attendus de l'abandon d'une cible d'inflation au profit
d'une cible fondée sur le niveau des prix en contexte de
crédibilité imparfaite, modélisée sous la forme
d'une adaptation progressive des croyances du secteur privé à
l'adoption d'une cible de niveau des prix, Kryvtsov, Shukayev et Ueberfeldt
(2008), concluent que s'il y a des gains, ceux-ci sont modestes ; toutefois un
recul du bien-être est observé si le manque de
crédibilité persiste longtemps. Ce résultat implique de la
part de la BCEAO, un effort accru pour asseoir des mécanismes
monétaires plus crédibles de manière à permettre
une meilleure appropriation des signaux par les agents économiques et
donc à impacter efficacement la sphère réelle.
La troisième dimension institutionnelle de la Banque
Centrale indispensable à l'efficacité de la règle de
ciblage constitue son indépendance. Hormis la définition de
l'objectif qui implique le pouvoir exécutif représenté par
le gouvernement, l'indépendance institutionnelle de la Banque Centrale
doit être totalement affirmée du point de vue de l'organisation et
des instruments. Afin de conférer une large marge de manoeuvre à
l'autorité monétaire, le mandat, l'organisation et le
fonctionnement des organes doivent être libres de tout engagement envers
le gouvernement. L'indépendance organique permet de dégager les
choix et décisions de la Banque de tout cycle électoral notamment
ou d'une politique expansionniste voulue par les pouvoirs politiques. Par
ailleurs l'indépendance de la Banque Centrale du point de vue des
instruments est aussi impérative : la Banque dispose de la
liberté de choisir la manière dont elle choisit et utilise les
instruments, ce qui lui donne une certaine marge de manoeuvre pour
réagir promptement et efficacement aux éventuels chocs
endogènes ou exogènes. Au regard de cette contrainte
institutionnelle, le bilan de la BCEAO est à relativiser : d'une part,
des réformes qualitatives s'imposent pour assurer l'indépendance
organique vis-à-vis des gouvernements des pays membres et d'autre part,
l'approfondissement du cadre décisionnel en matière d'instruments
monétaires en réponse à divers chocs est indispensable.
Ces mesures ont l'avantage d'accroître l'autonomie de la
BCEAO et l'efficacité de sa politique monétaire en
général, celle de la politique de règle de ciblage du
niveau des prix en particulier.
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