CHAPITRE QUATRIEME : LES FONCTIONS DU NARRATEUR
Considérons dès lors les fonctions que
Grainville assigne au narrateur et au narrataire dans Le jour de la fin du
monde, une femme me cache42.
II. 4. 1. La fonction narrative
Il n'y a pas de récit sans narrateur. Raconter une
histoire consiste pour Jérôme (narrateur) à mettre en place
les conditions de sa recevabilité et sa lisibilité.
Jérôme, omniprésent dans la trame narrative, est
l'organisateur et le régisseur de l'énonciation de l'histoire ;
ainsi, pour justifier une accélération de la narration ;
Jérôme dit ;
« Un moi avant la catastrophe, j'avais rompu avec une
femme. Ca avait été déjà la fin du monde. Je me
suis retrouvé vide et nu. Sans doute m'étais-je
secrètement initié à l'extinction des
choses.43»
Jérôme régente la présentation de
l'énoncé narratif :
42 Idem.
43 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 008.
40
« Plus tard, à la télé, j'ai vu
les familles, des survivants, pleurés devant les décombres. Moi,
je n'ai pas eu des regrets. Pas une larme pour le quartier44
».
A coté de ces interventions de caractère
anaphorique, on rencontre des observations métadiégétiques
qui indiquent des abandons, des ruptures des choix narratifs, qui marquent des
transitions ou qui annoncent tout simplement de nouveaux
événements.
II. 4. 2. La fonction de régis
Cette fonction permet à Jérôme de marquer
ou de désigner les articulations, les connections de l'organisation
interne de Le jour de la fin du monde, une femme me cache ; elle lui
permet en fait de structurer son récit ; ainsi la phrase introductive du
texte :
« Tout était déjà accompli,
irrévocable dans cette soirée de mars, et presque apaisé.
L'Orque s'accolait contre l'énorme tour. 45»
Jérôme règle ainsi le rythme et le
débit du récit en ménageant les
accélérations, des ralentissements et des reprises.
44 Idem.
45 Ibid., p.11.
II. 4. 3. La fonction de communication
Dans notre récit-objet cette fonction est observable
lorsque le narrateur (Jérôme) sollicite l'attention de son
interlocuteur immédiat.
En face du narrataire, Jérôme la fonction de
guide : dans la narration, il s'interrompt pour expliquer le sens de telle ou
telle pratique que le narrataire est censé de pas connaître.
La fonction de communication est souvent vue comme le souci de
dialogue du narrateur et de la transformation de l'autre. Toutes les
traductions intra textuelles de noms de personnes de choses n'ont d'autre but
que d'instruire le narrataire des éléments sur des faits
existentiels.
II.4. 4. La fonction testimoniale
On parle de fonction testimoniale lorsque le narrateur rend
compte de soi-même. La fonction d'attestation détermine
l'orientation du message sur le narrataire. Elle rend compte de la part que le
narrateur attache à l'histoire qu'il raconte ou du rapport qu'il
entretient avec elle :
«J'ai fini par me mettre à quatre pattes. Je
n'osais pas me lever. J'ai avancé ainsi. J'ai ressenti un plaisir
mêlé
42
d'angoisse. Je n'avais plus envie de me redresser jamais.
»
Cette fonction peu donner lieu à une autre fonction
appelée fonction idéologique. Ainsi, dans notre
récit-objet ; celui qui parle dans cet extrait n'est autre que
Jérôme. Il y a là une relation étroite entre le
narrateur et le personnage de Jérôme.
II. 3. 5 Les Fonctions du Narrataire
Le narrataire est quelqu'un qui entend de plus, si l'ont peut
dire, la surdité même des personnages qui parlent avec lui. Il est
aussi « l'espace où s'inscrivent sans qu'aucune ne se perde
toutes les citations dont est faite une écriture.46
»
Les fonctions du narrataire sont multiples et ont
été répertoriées par Gérard Prince dans son
« introduction à l'étude du narrataire 47»
- Le narrataire constitue un relais entre le narrateur et le
lecteur.
- Il aide à préciser le cadre de la narration.
- Il sert à caractériser le narrateur et met en
relief certains thèmes.
46 BENVENISTE Emile, Problèmes de
linguistique générale. Op. Cit. p. 72-80.
47 Gérard Prince, cité par Tzvetan
TODOROV dans « qu'est-ce que le structuralisme ? » in
Poétique, Paris, Gallimard, 1972, p. 59.
En ce qui concerne le narrataire, il semble que sa nature et
sa fonction dans Le jour de la fin du monde, une femme me cache ne
peuvent être perçus que par la déduction à travers
le discours de Jérôme. Le moins que l'on puisse dire, est
qu'à cet égard le narrataire jouit de la part de
Jérôme d'une attention constante qui se matérialise au
début du roman.
CONCLUSION PARTIELLE
Au terme de la deuxième partie de notre travail, nous
retiendrons que la fin du monde est perceptible à travers les
différentes fonctions du narrateur dans l'oeuvre de Grainville.
|
Enfin, après cette réflexion menée sur
les fonctions du narrateur dans notre corpus, il nous revient d'aborder la
dernière partie consacrée à la poétique de la fin
du monde dans ; Le jour de la fin du monde, une femme me cache ; de
Patrick Grainville.
TROISIEME PARTIE DE L'ECRITURE AU
MYTHE DE L'AUTEUR
44
La création littéraire apparaît
désormais comme une expérience, ou même une pratique de
soi, comme un exercice d'appréhension et de genèse au cours
duquel un écrivain tente à la fois de se saisir et de se
construire.
Pourquoi même écrire si ce n'est, comme disait
Rimbaud, pour changer la vie, pour découvrir un monde où nous
soyons vraiment au monde? On a donc vu dans l'écriture une
activité positive et créatrice à l'intérieur de
laquelle certains êtres parviennent à coïncider pleinement
avec eux-mêmes.
En effet, L'élaboration d'une grande oeuvre
littéraire n'est rien d'autre que la découverte d'une perspective
vraie sur soi-même, la vie, les hommes. Et la littérature est une
aventure d'être.
L'écriture cathartique de Grainville est pour lui un
exutoire pour purifier sa conscience et se débarrasser du trauma
causé par les atrocités du crash ; d'où la révolte
contre le mal. De là il ressort une thématique obsessionnelle
dans laquelle se dessine le mythe personnel de l'auteur. Il y a chez Grainville
la récurrence à un passé dépravé, au vide,
à un manque voire à la perte.
|