L'être en devenir, considérations aristotéliciennes sur le devenir( Télécharger le fichier original )par Martin MBENDE Grand séminaire philosophat Paul VI Bafoussam, Cameroun - Graduat de philosophie 2008 |
ConclusionEn somme, notre préoccupation au cours de cette analyse a consisté à mettre en lumière quelques insuffisances de l'explication qu'Aristote apporte sur la question du devenir. Celles-ci ont porté entre autre sur le caractère circulaire de son analyse, l'analyse du changement substantiel et la nécessité du devenir. D'autre part, nous avons évoqué quelques perspectives que la réflexion d'Aristote sur le devenir ouvre dans le reste du champ de la pensée. S'agissant de la métaphysique, il s'est avéré que la notion de l'antériorité de l'acte qui est au coeur de l'étude du devenir, pose le problème du sens de l'existence. En outre, cette notion établit un lien entre devenir et éthique, lien qui se justifie par le fait que la cause finale vers laquelle le devenir est orienté correspond au Souverain Bien. Par ailleurs, en syntonie avec Karl Marx qui pense que la philosophie ne doit pas se contenter d'interpréter le monde mais aussi le transformer, il nous a semblé nécessaire d'élargir le champ de notre réflexion au niveau existentiel. Ceci nous a permis d'une part de saisir l'homme dans sa nouvelle dimension d'être pour le bien et d'autre part de souligner l'urgence qu'il y a aujourd'hui en Afrique à concilier identité et changement. Le choix de l'Afrique est subjectif et relève beaucoup plus de notre appartenance au dit continent. Toutefois, on peut très bien partir d'un contexte précis pour mener une réflexion qui engage l'universel. Ici encore, la dialectique de l'un et du multiple a beaucoup à nous enseigner. CONCLUSION GENERALEEn dernière analyse, la notion du devenir est complexe. C'est cette complexité que nous avons voulu expliciter en nous proposant de réfléchir sur le thème : L'Etre en devenir. Pour ce faire, il nous fallait un repère à partir duquel structurer toute notre pensée. C'est ce qui justifie le second membre de notre thème : Considérations aristotéliciennes sur le devenir. Essayer une élucidation de la notion du devenir en nous appuyant sur la métaphysique aristotélicienne, telle fut la préoccupation essentielle de cette investigation philosophique. Au coeur de cette préoccupation, il y avait la question : comment concilier principe d'identité et changement ? Pour répondre à celle-ci, il nous a semblé judicieux de commencer notre analyse par remonter aux sources mêmes du problème marqué par l'opposition entre ceux qui prônent d'une part la mobilité et d'autre part la stabilité de l'Etre. A l'aurore de la métaphysique ionienne, l'une des figures particulières qui retient l'attention est celle de Héraclite d'Ephèse. Partant du constat empirique selon lequel toute chose sensible change au fil du temps, il en déduit que l'Etre est continuellement voué au devenir. C'est cette philosophie du mouvement que nous avons résumé par la formule, elle-même inspirée de Héraclite : « Tout coule et rien ne demeure. » Et le moteur de ce mouvement perpétuel est le conflit des contraires régulé par dikè la justice. A Elée, Parménide et son école prennent le parti opposé à Héraclite et soutiennent la stabilité de l'Etre au nom de l'inviolabilité du principe de l'identité : « L'Être est, le non-Être n'est pas. » Par conséquent, le devenir s'avère une pure chimère puisque l'Etre est totalité. Platon est le premier qui, à travers la théorie des Idées et des genres d'être, a tenté une conciliation des deux antagonistes en proposant d'adjoindre à l'Etre, un non-Etre extérieur et relatif : l'altérité. Telles ont été les différentes conceptions anté aristotéliciennes du devenir que nous avons évoquées. Après avoir mis en évidence quelques limites de celles-ci, la contribution d'Aristote au sujet du devenir se livre toute entière dans cette pensée : « Tout ce qui devient, devient par quelque chose et à partir de quelque chose, quelque chose ; et ce quelque chose, je l'entends selon chaque catégorie : substance, quantité, qualité ou lieu. »176(*) On y retrouve les trois grands couples de notions autour desquels toute sa réflexion s'articule : matière et forme, substance et accident, puissance et acte. En ce qui concerne la matière et la forme, le mouvement consiste en ce que la forme advient à la matière par le travail de l'artiste ou par une simple loi de la nature. Quant à la substance et à l'accident, le mouvement se laisse saisir dans le caractère nécessaire de la substance qui soutient la contingence des accidents. Enfin, le passage de la puissance à l'acte nécessite une opération d'actualisation de la puissance avec pour critères le désir et le choix rationnel d'une part, le rapprochement de l'agent et du patient d'autre part. Ainsi, l'Etre en devenir est donc un être composé de matière et de forme, de substance et d'accident, de puissance et d'acte. Si convaincante fut-elle, l'analyse aristotélicienne du devenir, n'a pas manqué de soulever quelques critiques notamment sur l'idée du cercle qui s'en dégage, sur l'analyse du changement substantiel et sur le caractère nécessaire du devenir. En dépit de celles-ci, outre l'éclairage qu'elle apporte sur la question du devenir, elle ouvre la réflexion sur d'autres domaines de la connaissance tout en soulignant quelques implications existentielles. Au niveau de la spéculation philosophique, l'analyse du devenir nous a conduit premièrement à poser l'épineux problème du sens de l'existence. Si le devenir a un sens, il va de soi que notre existence vouée au devenir a elle aussi un sens. Seulement ce sens n'est pas arbitraire comme le pensent certains existentialistes athées. Il est donné d'emblée et atteste donc aussi l'existence d'une vérité absolue qui serait la vérité vers laquelle devrait converger toute recherche. Ensuite, l'analyse du devenir nous mène à des considérations d'ordre éthique. Car si le devenir est mouvement vers l'Acte pur correspondant au Souverain Bien, l'éthique en tant que réflexion théorique sur le mal à éviter et le bien à faire, s'avère de prime abord son complément obligé. Par suite, le discours sur le devenir relevant de la métaphysique, il apparaît finalement que la métaphysique est le fondement même de l'éthique. Celle-ci n'est donc plus son complément, mais son fruit. Quant aux implications existentielles, il faut souligner en premier lieu cette nouvelle appréhension de l'homme comme être pour le bien : l'homme est fait pour le bien au nom du principe de l'antériorité de l'acte. Cependant, cet être est à construire au jour le jour. Puis, appliquée au cas précis de l'Afrique, la réflexion aristotélicienne sur le devenir permet de mettre à l'ordre du jour le comment concilier en tant qu'africain, identité et changement. Une telle préoccupation s'avère urgente compte tenu du contexte de mondialisation dans lequel nous nous trouvons, et des enjeux à la fois épistémologiques, culturels et économiques qui en découlent. Au demeurant, le devenir suppose à la fois quelque chose qui perdure et quelque chose qui change au fil du temps. Cet alliage entre « identité-idem » (qui ne change pas) et « identité-ipse » (qui change) selon les termes de Ricoeur177(*), n'est possible que dans la mesure où l'Etre se dit de plusieurs manières. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer le fait que si brillante soit-elle, l'analyse aristotélicienne du devenir reste tributaire du degré de savoir de son temps. Notre temps actuel est largement dominé par la science, une science raffinée par l'usage des techniques et des instruments d'une grande performance. Il serait donc intéressant pour l'évolution de la pensée, de confronter l'approche aristotélicienne du devenir avec les nouvelles considérations que nous livre la physique contemporaine sur la question du devenir. * 176 Aristote, Métaphysique, Z, 1032 a, 7, 13. * 177 RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996, p. 13. |
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