Les Causes Sociales et Economiques
Il s'agit en occurrence de certains aspects relatifs à la
société animiste et des motivations économiques des
prieurs.
La Résurgence de la Société Animiste
Le recours des chrétiens à des médiateurs
trouve son origine aussi dans les sociétés dans lesquelles le
phénomène se développe. D'une manière
générale, les sociétés traditionnelles africaines
ont leurs conceptions du monde. Même si celles-ci sont différentes
les unes des autres, on est unanime aujourd'hui à reconnaître une
certaine conception dite conception animiste du monde. Selon cette conception,
l'homme africain vit entouré par « les esprits des
ancêtres, les esprits des sorciers, les dieux de la nature et diverses
puissances mystiques »48. Ces forces exerceraient des
influences sur la vie des individus.
Le fait de croire à une telle conception a des
conséquences profondes dans la vie des adhérents. Il
résulte une vie marquée par trois phénomènes.
D'abord, la peur : « La relation que les gens
entretiennent avec ces esprits est déterminée par-dessus tout par
la PEUR. N'importe quel esprit peut provoquer le malheur dans la vie de
l'individu, de la famille ou de la tribu dans son ensemble. »49
Ensuite, l'esclavage : « Pour avoir de l'espoir dans cette conception
du monde, on se tourne vers l'intérieur du système
»50, c'est-à-dire, la divination, les sacrifices, les
offrandes...L'individu s'insère ainsi dans un cercle vicieux qui le lie
; il est pris comme un poison dans un filet sans possibilité de s'en
sortir. Enfin, il va de soi qu'un tel système offre des solutions pour
se pérenniser. Ces solutions offertes se situent au niveau des valeurs
du groupe social qu'il faut préserver à tout prix telles que
l'unité, la pureté rituelle, la paix. Il s'agit naturellement de
solutions superficielles.
La tentation est grande chez beaucoup de chrétiens de
redonner un contenu à cette conception animiste du monde par le recours
à des médiateurs pour s'approcher de Dieu. Force est de
reconnaître que ce qui se passe dans nos milieux n'est pas
foncièrement différent de ce qui se pratiquait dans la
société animiste. Beaucoup de chrétiens vivent dans la
peur. Il suffit d'un rêve pour que certains aient recours à un
prieur pour demander la signification, et sa prière afin de chasser le
prétendu mauvais sort qui le guetterait.
Comme dans le schème animiste, on assiste à une
sorte d'esclavage. Il n'est pas rare de voir des chrétiens liés
à un prieur à telle enseigne qu'ils ne peuvent rien entreprendre
sans demander son avis. Certains parcourent parfois de longues distances,
uniquement pour se rendre chez leur prieur. On n'est donc pas loin des
pratiques de la société animiste.
De la même manière que les solutions offertes dans
l'animisme ont un caractère superficiel, au niveau de certains prieurs,
nous assistons à une même logique. Les chrétiens ont
parfois leurs problèmes résolus, en tout cas
momentanément. Mais les mêmes causes produisant les mêmes
effets, ce qui les avaient emmenés chez le prieur va encore les y
emmener, lorsque les mêmes problèmes se poseront. Comme le disait
un théologien africain, l'animiste est en train de
récupérer dans le fond ce qu'il avait perdu dans la forme.
Ainsi, l'accent mis sur la délivrance par beaucoup de
pentecôtistes africains est un indicateur du fait que beaucoup sont
préoccupés par le monde des esprits. La perception de beaucoup
est que
la foi devient une puissance de résistance contre les
puissances du monde dans lequel ils vivent. Vivant sous l'autorité de
Christ, ils sont puissants sur les sorciers, résistent aux mauvais sorts
et aux empoisonnements. Ils deviennent puissants. 51
Une autre cause inhérente aux sociétés
africaines, est le fait du mythe du chef. Dans les sociétés
centralisées comme celui des Moose par exemple, le chef est
déifié. Cet aspect de la culture se reproduit dans la vie des
églises en Afrique. Ainsi, « le pasteur dirige, et les gens
suivent tout ce qu'il dit, souvent sans émettre aucune critique
»52. C'est ce que Tite Tiènou appelle le
cléricalisme évangélique. Cela est synonyme de mise au
premier plan du pasteur, prêtre ou conducteur spirituel avant Dieu et sa
Parole. Cette tendance est à l'origine du succès en Afrique des
églises indépendantes. Elle est dangereuse, parce
qu'anti-scripturaire. La primauté donnée au leader religieux peut
facilement occasionner des déviations.
51 Daniel Bourdanné, L'Evangile de la
prospérité : Une menace pour l'Eglise africaine (Abidjan :
Presses Bibliques Africaines, 1999), 49.
52 Tite Tiènou, Tâche théologique de
l'Eglise en Afrique (Abidjan : CPE, 1973), 34.
Dans de nombreuses églises, les pratiques
syncrétiques en relation avec la prière trouvent leur origine
même au niveau des responsables spirituels. Relevons en plus, la
motivation économique qui est loin d'être négligeable.
La Prière, une Entreprise
Les personnes exerçant l'activité de la
prière récusent l'idée selon laquelle leur activité
serait pour eux source de gain. Ils prétendent avoir reçu le don
de Dieu, et n'avoir rien demandé. Ils mettent ainsi en avant leur
désir de servir le Seigneur et le peuple de Dieu par les dons qu'ils ont
reçu, plutôt qu'une quelconque recherche de profit personnel. Une
telle attitude n'est pas étonnante. Pierre-Joseph Laurent souligne:
« Un bon croyant - guérisseur ne demande jamais d'argent.
L'efficacité de la guérison divine repose sur le
désintérêt : il témoigne de l'élection divine
et de son utilisation, par l'Esprit, pour le bien-être de tous.
»53
Cependant, à observer les pratiques qui sont autour de
la personne qui reçoit des gens indistinctement de leur religion,
même si certains sont sincères, on peut déceler des traces
de professionnalisation de l'activité de prière.
Plusieurs exemples peuvent soutenir cette affirmation. Il y a
d'abord de plus en plus l'organisation des semaines de prière. C'est une
occasion de rencontre spirituelle certes, mais c'est aussi et surtout une
opportunité de promotion visant à offrir une plus grande
visibilité à la personne ou à la communauté qui
l'organise.
Soulignons aussi que l'action de grâce, le fait de revenir
remercier le prieur - une expression imagée signifiant les dons en
nature ou en espèces faits au prieur - est de plus en plus
développée. C'est une norme respectée par des
chrétiens sans se faire prier. Mais beaucoup de prieurs en font une
exigence.
La professionnalisation de l'activité de prière
est aussi perceptible dans le style de ces leaders spirituels :
déplacements à l'extérieur, cartes de visite,
réception sur rendez-vous. Beaucoup « gagnent leur vie
grâce à la réputation que leur confère leur don
»54. C'est ainsi que la plupart des prieurs ne travaillent
pas ou refusent de travailler. S'en remettant à Dieu quant à leur
survie, ils disent exercer la foi. Ils se mettent de facto dans une situation
de dépendance envers leurs «patients». Et
comme l'a souligné Laurent, « le refus de
rémunération du croyant-guérisseur - iin'est
que l'instrument de Dieu et n'exerce que pour servir son oeuvre - instaure
un
lien de dépendance avec le patient
»55. Ce lien de dépendance n'est pas sans
conséquence. La dépendance, faut-il le souligner n'est pas une
dépendance spirituelle seulement. Elle se traduit en dépendance
économique. C'est à ces personnes que beaucoup de
chrétiens destinent leurs dîmes et offrandes.
On ne peut éluder le fait que l'activité de la
prière est pour beaucoup source de gain. Du néant, beaucoup ont
connu une ascension sociale fulgurante. Les intéressés
eux-mêmes ne s'en cachent pas. Certains, las d'attendre les
«bénédictions» de Dieu, les réclament. En 2008
par exemple, au cours d'une semaine de prière à Ouagadougou, une
personne du sérail s'est publiquement plaint du fait que ses autres
confrères se sont vus octroyer des «Nissan Patrol», alors que
lui, n'aurait rien reçu.
Dans un tel contexte, on peut légitimement s'interroger
sur les véritables motivations des uns et des autres. Il est vrai et
nous l'admettons, Dieu agit par l'intermédiaire de ces instruments.
Mais, on peut se demander s'il n'a pas de sérieux risques de
déviations théologiques et spirituelles chez les prieurs par des
pratiques de tout genre, notamment en relation avec l'argent.
Dit autrement, la motivation à exercer ce genre
d'activité est-elle aujourd'hui essentiellement spirituelle ou
foncièrement économique ?
Nous reconnaissons que le spirituel est certes là. Mais le
domaine économique n'est pas à négliger, surtout quand
certains prieurs sont prêts à prophétiser à leur
propre compte pour des intérêts économiques personnels s'il
vous plaît. C'est le cas notamment de cette prophétesse que
Laurent relève :
La vieille Sita, qui, à la suite d'une série de
visites que je lui avait rendues, désespérait sans doute d'en
retirer quelque avantage, se mit, durant un entretien, à parler en
langue. Elle interpréta aussitôt, elle-même, la
révélation : le Seigneur me demandait si j'avais oublié le
problème de sa cour.56
Au regard de ces différents aspects mis en
évidence, il est nécessaire de les examiner à la
lumière de la Parole de Dieu.
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