Les Causes Religieuses et Spirituelles
Les causes religieuses et spirituelles que nous avons
identifiées peuvent être situées à trois niveaux :
les églises, les prieurs et les chrétiens. La première
dimension est la responsabilité du leadership des églises.
Les Eglises en Question
On peut tout d'abord relever que le manque d'enseignement est
crucial dans les églises. Cette situation explique en partie le non
enracinement de certains dans la foi. La maturité spirituelle faisant
défaut, les chrétiens vivent comme des bébés
spirituels. Beaucoup n'ont pas une capacité de décision.
38 Sandra Fancello, « Un ethnologue chez les
pentecôtistes du pays mossi. A propos de : P.-J. Laurent, Les
pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison,
Paris, Karthala, 2003 », dans CIVILISATIONS vol. LI 1-2 - Religions
transnationales, 186.
39 Ibid., 186-187.
40 Idid., 187-188.
41 Ibid.
Face à un problème donné, il leur faut
recourir par exemple à leur pasteur pour lui demander son avis. Mais ce
dernier ne peut être à leur côté en tout temps, et
peut ne pas être aussi un bon conseiller spirituel.
Les raisons explicatives du développement des
communautés de prière sont aussi en relation avec la vie
spirituelle des églises. Il y a l'affaiblissement de la puissance
spirituelle des églises. L'expression puissance spirituelle fait
allusion à l'exercice des dons spirituels (dons de guérison, de
prophétie et de miracles...). Il est vrai que le christianisme ne se
résume pas à ce paramètre. Mais soulignons que les
manifestations de l'Esprit dans une église constituent un indicateur de
son état spirituel. En effet, comme l'a souligné l'apôtre
Paul, notre parole et notre prédication ne sauraient reposer « sur
les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration
d'Esprit et de puissance, afin que notre foi soit fondée, non sur la
sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (1 Co 2. 4-5). C'est
cette onction de l'Esprit qui manque dans beaucoup d'églises, et qui
fait «courir» des chrétiens.
La responsabilité des pasteurs est engagée,
à telle enseigne que certains parlent de leur démission en
matière de prière et d'exercice des dons spirituels. C'est la
responsabilité des pasteurs d'encourager, d'inciter et de faire la
promotion des dons spirituels par l'enseignement et la mise en pratique dans
les églises. Si cette responsabilité n'est pas assumée les
conséquences peuvent être graves. Beaucoup de prieurs reprochent
aux pasteurs leur intellectualisme, leur théologie, leur inaptitude en
matière de prière. Récemment au cours d'une semaine de
prière dans la ville de Ouagadougou, le pasteur prieur
dénonçait l'attitude de certains pasteurs en ces termes :
«Ils disent que c'est le Seigneur qui les a appelés.
Ils vont à l'école biblique et quand ils
reviennent, ils s'habillent en veste alors qu'ils ne peuvent même pas
faire voler une mouche par leur prière. Ils ne peuvent pas prier, et ils
refusent que ceux qui veulent prier dans leurs églises prient. Si ces
gens partent ailleurs, ils commencent à critiquer...''.
Ces reproches sont parfois sévères ; mais elles ne
sont pas sans fondement. Un fait notable est qu'en milieu urbain, certaines
grandes églises ne prient plus pour les malades en fin de culte
dominical. La puissance de Dieu dont parle l'apôtre Paul, n'a pas
été trouvée dans la sagesse humaine, mais dans une
démonstration d'Esprit et de puissance. La question qu'il faut se poser
est celle de savoir si cette puissante est chez beaucoup. Ces propos d'une
soeur en Christ, relatifs à l'attitude de son pasteur sont
symptomatiques de ce renoncement : «Lorsqu'un fidèle va le voir
pour une question spirituelle, il demande de faire vite parce qu'il n'a pas le
temps. Mais quand il s'agit d'un problème d'ordre séculier, il
est prêt à vous aider». Malheureusement, des serviteurs de
Dieu font de plus en plus preuve d'une telle inaptitude en ce qui concerne les
questions spirituelles.
De ce qui précède, il en découle que lorsque
les besoins des chrétiens en matière de relation d'aide ne sont
pas satisfaits par les églises, le recours à une aide
extérieure est probable. Les prieurs les accueillent. Ils arrivent
parfois à mettre leur «client» en confiance plus que ne peut
le faire le pasteur. Le devoir de tout pasteur est entre autre d'affermir les
croyants. A Pierre, Jésus-Christ avait dit : « affermis tes
frères » (Lc 22. 32). Lorsque des chrétiens manquent
d'affermissement, ils peuvent recourir à une aide extérieure pour
s'en sortir. Les besoins des chrétiens sont là. Peu de pasteurs
sont à la hauteur de leurs attentes. Faut-il alors que les
chrétiens restent dans les églises quand leurs responsables
spirituels ne sont même pas capables de leur consacrer cinq minutes
d'écoute ?
Faute d'avoir mieux dans leurs églises, beaucoup
préfèrent explorer ailleurs, et ce parfois à leurs risques
et périls. La deuxième dimension est la responsabilité des
prieurs dans le développement du phénomène.
L'Affirmation de l'Ego Spirituel
L'exercice de certains dons spirituels offre une plus grande
visibilité dans la sphère religieuse. De ces dons, on peut
relever les dons de puissance (dons de guérison, de miracles et de
prophétie). Par la possession ou la prétendue possession de ces
dons, certains prieurs affirment leurs compétences spirituelles. Pour
Pierre-Joseph Laurent, le croyant guérisseur se définit
comme un fidèle ayant reçu de l'Esprit Saint le don
de guérison, auquel s'ajoutent fréquemment, selon les cas, le don
de discernement, le don de parler en langues (la glossolalie), les dons de
puissance, d'interprétation et de prophétie. Il se distingue
généralement par son ardeur missionnaire42.
La volonté d'affirmation de soi sur le plan spirituel se
traduit dans les pratiques et discours. Evoquons d'abord la stratégie de
déconsidération sinon d'anéantissement de l'autre sur le
plan spirituel. Elle se traduit par le fait que le discours spirituel tenu est
fait d'attaques et de contre-attaques. Grâce à la
possibilité que la plupart a de s'adresser aux fidèles, les
prophètes - prieurs et les pasteurs s'adonnent à des attaques
ciblées entre eux.
La double position de pasteur et de prophète (prieur)
offre sans doute une facilité, sinon une liberté dans l'exercice
de l'activité de prière. Celui qui se retrouve dans une telle
position est en effet sans aucune couverture hiérarchique directe,
étant fondateur de l'église. Sinon dans certains cas, le
ministère du prophète peut être remis en cause par les
responsables spirituels. C'est le cas notamment de ce Monsieur qui était
dans la cour d'une église de la capitale. Il organisait des
séances de prière.
A plusieurs reprises, il a été interpellé
par son pasteur. Il a passé outre les remarques qui lui étaient
faites. Le pasteur lui a alors demandé de quitter la cour de
l'église. Aujourd'hui, il n'est plus membre de cette communauté.
Il a pris une maison en location dans le même quartier où il
reçoit. Sa renommée grandit dans le quartier et beaucoup de
personnes vont vers lui. Laurent cite dans son ouvrage l'exemple de cette
prophétesse qui « se méfie du pasteur qui a toujours
douté de son don »43. Celle-ci a quitté
l'église pour tenir dans son domicile un groupe de prière.
Même dans les cas où les concernés ne quittent pas leur
église, le fait d'exercer des dons de puissance les amènent ipso
facto à être mise en exergue, parfois à leur corps
défendant.
Mais il y a aussi des exemples de personnes qui exercent leur
activité tout en restant sous le couvert de leur église. C'est le
cas de cette femme qui possède des dons de prophétie, de
guérison, de langue...Sa particularité est qu'elle les a mis
à la disposition de l'église. Elle participe aux réunions
de prière et d'intercession de l'église. Les responsables
reconnaissent son activité, et elle a la possibilité de recevoir
des gens chez elle avec la bénédiction de ses responsables
spirituels. Elle met ses dons à la disposition des croyants, et exercent
son activité en collaborant avec d'autres membres de son
église.
L'affirmation de soi n'est pas seulement à
l'intérieur de la communauté. Même à
l'extérieur, le besoin de mettre en évidence ses
compétences spirituelles est réel. C'est le cas notamment du
défi lancé à l'encontre des forces du monde des
ténèbres.
C'est dans ce même ordre d'idées que Laurent
relève le cas du «croyant guérisseur» qui
défie les féticheurs qu'il identifie à de
simples sorciers et par extension au démon, au même titre, dans
une généralisation saisissante, que les tenants des cultes
ancestraux (...) il provoque de nombreuses conversions qu'il
théâtralise
par des autodafés, dans lesquels il procède
à la destruction, en public, des fétiches
déclassés44.
La responsabilité des chrétiens mérite
d'être mise en évidence en troisième lieu. Les
Chrétiens en Question
Aujourd'hui, les chrétiens sont à la recherche de
solutions «prêt-à-porter». Il s'agit d'une
génération qui veut tout, tout de suite. Peu sont prêts au
sacrifice. L'invitation de Christ à porter sa croix et à le
suivre (Mt 16. 24) ne fait plus recette. On prétend aimer le Seigneur,
mais en réalité, on aime beaucoup plus les choses que le Seigneur
donne. On a des besoins, et on veut avoir des réponses à ceux-ci,
non pas selon la volonté du Seigneur, mais selon sa propre
volonté.
Le renoncement à la vie de prière personnelle est
une illustration parfaite de la vie du chrétien du XXI ème . En
effet, le choix délibéré de certains chrétiens est
de renoncer à la prière. Pour eux, la prière est une
tâche trop exigeante. Pour ce faire, il «achètent des
prières» ; ils demandent qu'on prie pour eux. C'est un renoncement
à la piété, à une relation personnelle avec le
Seigneur. C'est une démission de ses responsabilités de
chrétien. Etre chrétien et ne pas prier, et vouloir que des gens
prient pour soi, c'est prendre Dieu comme un «pneu de secours»; c'est
vouloir une chose et ne pas accepter le sacrifice pour son obtention. Comment
alors peut-on avoir une bonne perspective des bienfaits de Dieu si ces
bienfaits ne nous ont rien coûté ?
Certains chrétiens vivent dans des inquiétudes, et
comme solution ont recours aux prophètes prieurs.
Quand bien même la Parole de Dieu invite à
marcher par la foi et non par la vue (2 Co 5. 7), beaucoup ont renoncé
à vivre par la foi. En ayant recours aux prieurs, il y a un désir
de sonder l'avenir, de savoir ce que l'avenir réserve. Pour beaucoup, le
vrai prophète prieur est celui qui est à même de faire des
prédictions.
La quête de prière des chrétiens pourrait
trouver son origine aussi dans le fait que de plus en plus, la vie spirituelle
de beaucoup est affaiblie. Cet affaiblissement de la vie spirituelle se
manifeste de plusieurs manières. Il y a le manque d'une totale
consécration au Seigneur. Beaucoup mènent une vie
chrétienne tiède, veulent aller au ciel, mais ne sont pas
prêts à vivre une vie de renoncement et de sacrifice. Ils
proclament aimer le Seigneur, mais il ne s'agit pas d'un amour réel. Ils
recherchent Dieu quand ils sont dans le besoin, un Dieu parapluie. Comme les
trois rois en campagne dans 2 Rois 3 à la recherche d'un prophète
à cause d'un manque d'eau,
ces chrétiens sont à la recherche de solutions
à leurs problèmes.
Un fait important est le caractère non authentique des
conversions. En effet, une remarque générale que l'on peut faire
aux églises africaines, particulièrement à l'église
des Assemblées de Dieu du Burkina Faso est le fait que de plus en plus
il s'agit d'une église de multitude et non de professants.
Malheureusement beaucoup ne sont pas nés de nouveau. Les tendances sont
diverses : il y a ceux qui sont des chrétiens de la deuxième ou
troisième génération, et qui vivent sur la foi de leurs
parents ou grands-parents sans avoir préalablement eu une
expérience personnelle avec le Seigneur. Il y a aussi ceux qui ont un
arrière-plan animiste mais qui n'ont pas rejeté ce qu'ils
étaient autrefois. Il y a aussi ceux qui ont réellement eu une
expérience personnelle avec le Seigneur, mais qui, au fil du temps se
sont endormis. Toutes ces catégories de personnes ne vivent pas une vie
chrétienne authentique. Elles sont sujettes à se laisser emporter
à tout vent de doctrine (Ep 4. 14).
Le caractère non authentique des conversions se conjugue
facilement avec le manque d'enracinement dans la foi chrétienne.
Certains chrétiens croient qu'il suffit de se convertir pour devenir
chrétien. Ils oublient qu'un bébé a besoin d'être
nourri pour grandir. Le chrétien africain qui n'a pas une bonne
connaissance de la Parole de Dieu et qui se contente de la prédication
du dimanche ne peut grandir dans la foi. Il viendra à l'église
par formalisme, pour faire comme Monsieur Tout le monde, et peut se laisser
entraîner facilement dans le mouvement général à
cause de l'effet de groupe.
Il y a aussi le fait que les conversions peuvent être
superficielles. En effet,
beaucoup de ceux qui s'engagent à suivre Christ le font
sans savoir
exactement qui il est et pourquoi ils le suivent (...). Ils ne
mesurent pas que Christ seul est en mesure de faire bien plus que simplement
répondre aux besoins les plus cruciaux qu'ils peuvent rencontrer un
jour, ou les aider à sortir des graves crises de
l'existence45.
Ces conversions superficielles sont à l'origine d'une vie
chrétienne superficielle, fondée sur la recherche de la
satisfaction de besoins plutôt que sur un réel enracinement dans
la foi chrétienne et la recherche de la volonté de Dieu. Relevons
en quatrième point l'attrait du phénomène miraculeux.
L'Attrait du Phénomène Miraculeux
Le phénomène miraculeux attire. L'homme a toujours
été à la recherche du sensationnel. Dans cette recherche,
il peut certes parfois connaître des désillusions. Mais quelque
soit l'époque, même dans le milieu chrétien, même
après avoir connu Christ, on est parfois à la recherche de
quelque chose de nouveau. Comme quelqu'un le disait, ce qui pousse les
chrétiens à déserter leurs églises pour les lieux
de prière, c'est qu'on leur propose quelque chose d'autre qui sort de
l'ordinaire. Chaque année, dans plusieurs lieux du Burkina Faso, a lieu
des rallyes de prière.
27 Au cours de cette année 2009, il y aura plusieurs
semaines de prière dont les rendez-
vous les plus emblématiques auront lieu à
Boulmiougou Barrage, Bourou, Ramonggho. Ces rendez-vous drainent parfois plus
de trente mille personnes avec le chiffre record de 600 pasteurs parfois.
Jamais le Lagengo n'a atteint de tels chiffres dans ses manifestations,
souligne un pasteur. On peut à juste titre s'interroger s'il s'agit
d'une recherche de Dieu ou du surnaturel ?
Fédor Dostoïevskyi souligne :
L'homme ne recherche pas Dieu, mais le surnaturel. Parce qu'il ne
supporte pas de vivre sans miracles, il se créera de nouveaux prodiges
et glorifiera les actes de puissances occultes et d'exorcisme, bien qu'à
l'égard de Dieu il soit manifestement rebelle, hérétique
et infidèle.46
Il est vrai que beaucoup ne savent pas faire la différence
entre ce qui vient de Dieu et ce qui vient du Malin. Mais, Dieu se manifeste
aussi dans le surnaturel, et on ne peut pas rejeter le miracle par un revers de
la main. En effet, comme le disait Lukasse,
Nous ne devons pas rechercher les miracles, mais sommes-nous
suffisamment offensifs vis-à-vis du royaume des ténèbres ?
Car dans ce cas, nous nous trouverons parfois dans ces situations où il
s'agira de savoir qui est le plus fort ! Les gens recherchent le
surnaturel.47
Cela veut tout simplement dire que le fait que nous ne sommes pas
appelés à rechercher les miracles ne saurait être une
raison pour manquer d'être offensifs à l'égard de l'ennemi.
La Parole de Dieu nous offre des armes défensives et une arme offensive
(l'épée de l'Esprit).
46 Fédor Dostoïevskyi, The Brothers
Karamazov, `The Grand Inquisitor' (s.l.: s.p., sd), cité dans Anthon
Campolo, It's Friday but Sunday's Coming (Waco: Word Books, 1984), 74,
cité dans Johan Lukasse, Mission possible! Implantation
d'églises dans une Europe post-chrétienne
(Bruxelles-SaintLégier: Le Bon livre-Emmaüs, 1993), 81.
47 Johan Lukasse, Mission possible! Implantation
d'églises dans une Europe post-chrétienne (Bruxelles -
Saint-Légier : Le Bon Livre - Emmaüs, 1993), 80.
Nous devons savoir que nous sommes dans un contexte africain
où beaucoup parviennent à la foi à la suite d' « une
rencontre de puissances ». Il y a des situations où les rapports de
forces s'imposent à nous qu'on le veuille ou non. Il s'agit alors de
savoir discerner ces moments afin de demander à Dieu de manifester sa
puissance. Comme au temps de Jésus où la foule « le suivait,
parce qu'elle voyait les miracles qu'il opérait sur les malades »
(Jn 6. 2), aujourd'hui encore, beaucoup sont attirés par le miracle.
Christ cependant, ne s'est pas seulement contenté de faire des
miracles.
A ces causes religieuses et spirituelles viennent se greffer des
causes sociales et économiques.
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