Les Dérapages du Pentecôtisme Africain
Le Recours Systématique à la
Délivrance
Le recours systématique des prieurs à la
délivrance est sans doute un moyen qui maintient beaucoup de
chrétiens en Afrique dans une certaine peur, dans une certaine
dépendance avec le prieur en question. La délivrance est un moyen
par excellence pour pérenniser le système. En effet, le recours
à la délivrance vise à établir un lien entre celui
qui l'exerce et celui qui y a recours. Ce sont « des liens très
forts, au point que des gens parcourent parfois pendant des années des
distances considérables pour rencontrer celui auquel ils doivent leur
guérison et se soumettre encore à des séances de
délivrance »16. Le discours développé
sur l'argent et la maladie mérite aussi notre attention.
La Reprise de la Théologie de la
Prospérité et de la Guérison
L'Evangile de la prospérité et de la
guérison selon Bourdanné « gravite autour de 3
éléments clés : la prospérité
matérielle, la guérison divine et la confession
positive »17. Il trouve sa source dans
le mouvement pentecôtiste, particulièrement dans les idées
développées par Kenneth Hagin. Ce dernier est perçu comme
étant à la fois le père spirituel et le prophète de
ce mouvement. Il se serait servi des idées de E. W. Kenyon.
16 Wolfgang Bühne, La troisième
vague...le plus grand Réveil de l'Histoire de l'Eglise ? (Bielefeld
: Editions Christlische Literatur-Verbreitung, 1992), 158.
17 Daniel Bourdanné, L'Evangile de la
prospérité : Une menace pour l'Eglise africaine (Abidjan :
Presses Bibliques Africaines), 1999, 16.
14 Les bases théologiques sont à identifier dans
les « courants spiritualistes, mystiques et philosophiques
»18 en vogue à l'époque. Il s'agirait d' «
une simple pentecôtisation de la Science Chrétienne de Mary
Baker Eddy »19. De ce fait, cet Evangile « est
assis dès son origine sur une base syncrétiste et
éthiquement fragile »20.
A propos de Kenneth Hagin, soulignons qu'il a
débuté comme pasteur au sein des Assemblées de Dieu
à l'âge de 20 ans où il est resté jusqu'en 1949. Il
a été perçu au sein « des
évangélistes guérisseurs indépendants
»21. Il commence un ministère prophétique en 1963
avec la diffusion à grande échelle de son journal « Word of
Faith » en 1966.
C'est cette théologie frelatée qui, aux
débuts des années 90 a gagné les pays francophones comme
le Burkina Faso, par la porte des pays anglophones. Elle s'est répandue
sur le continent à travers de brochures et de cassettes vidéo.
Elle a été reprise par de nombreux prédicateurs. Plusieurs
facteurs l'ont favorisée.
La théologie de la prospérité était
comme une réponse à l'
aspiration des pauvres à un avenir meilleur, qui ne
trouve d'autre espace pour s'exprimer que celui du religieux, sous la houlette
habile de certains « entrepreneurs en culte » ... ou comme
auto-justification morale des plus riches à le demeurer dans un contexte
politique où les inégalités se creusent.22
Il y a certes la situation socio-économique très
dégradée en Afrique. Mais aussi, l'attrait de la théologie
de la prospérité est dû à un fait historique
important : pendant longtemps, les Africains ont été
bercés par un certain discours venant du fondamentalisme
évangélique américain qui se résumait à un
évangile de la pauvreté.
18 Ibid., 45.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 Elisabeth Dorier-Apprill, Robert E Ziavoula, 2005,
« La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale
: Théologie, éthique, et réseaux », in revue
Hérodote, n° 119, La Découverte, 4e trimestre 2005,
p138. pp.129-156
Il en est sorti la théologie de la malédiction de
l'Afrique. Dans un tel contexte, l'évangile de la
prospérité apparaît comme un libérateur de la
malédiction et de la pauvreté. Reconnaissons qu'un tel message ne
peut qu'avoir des adeptes.
Cette théologie a été soutenue par les
néo-pentecôtistes de la troisième vague et les tenants de
la bénédiction de Toronto. Ainsi, la théologie
développée par Yonggi Cho sur la maladie à partir de son
expérience personnelle est particulièrement saisissante. Ainsi
pour lui, elle est une manifestation de la malédiction de la loi. Et, il
est impossible d' « être complètement
libérés de la maladie tant que nous ne serons pas
libérés de la malédiction de la loi
»23 parce que la maladie en est la conséquence. Selon
lui, pour être « naturellement libéré de la
malédiction de sa maladie »24, il faut
préalablement la confession, le pardon et le salut. Et si certains
chrétiens malgré leur conversion demeurent dans les liens de la
maladie, cela est dû au fait « qu'ils ne comprennent pas
complètement cette vérité, et que le diable profite de
leur
ignorance »25. Une telle
théologie ne peut qu'aboutir à des déviations dangereuses.
Relevons aussi quelques tendances de la théologie africaine.
La Théologie Africaine et les Religions Traditionnelles
Africaines (RTA)
De nos jours, beaucoup de personnes soulignent le fait que les
religions traditionnelles africaines ont leur place dans la théologie
africaine. Ainsi, les religions africaines traditionnelles (RTA) ont des
défenseurs même dans le milieu chrétien.
23 David Yonggi Cho, Le chrétien face
à la maladie (Floride : VIDA, 1986), 20.
24 Ibid., 21.
25 Ibid.
Ils affirment que :
Dans la vision africaine du monde, Dieu est perçu comme un
être distant et inaccessible. Il semble donc raisonnable que les gens
s'adressent à des divinités ou à des esprits subalternes
pour des questions ordinaires de la vie, et n'aillent pas importuner Dieu avec
leurs problèmes. Dans certains cas, le développement
d'une théologie africaine sert simplement à
justifier les pratiques des cultes traditionnels et à les
présenter comme une préparation d'origine divine à
l'Evangile de Christ.26
Il faut souligner, une telle « conception est totalement
étrangère à la Bible »27. Ces
penseurs vont malgré tout loin. Pour eux, « toutes les
pratiques religieuses [africaines] faisaient partie de la
révélation de Dieu à l'homme »28, et
« le christianisme n'a fait qu'ajouter certains aspects à leur
culte traditionnel »29. De telles thèses ne peuvent
qu'encourager les pratiques syncrétiques.
La théologie libérale influence
énormément la théologie africaine dans sa conception.
Cette théologie « qui s'est infiltrée dans de nombreuses
dénominations ecclésiastiques en Afrique a agi sur les
mentalités »30 à telle enseigne que pour
certains, on peut tout croire, on peut tout tolérer. Il suffit seulement
d'être sincère. Ces conceptions ont été
exploitées par plusieurs théologiens libéraux africains
pour élaborer une certaine théologie africaine qui se veut plus
adaptée, c'est-à-dire plus proche des réalités
africaines. Mais malheureusement, elle a entraîné beaucoup de
chrétiens à une confusion de genre. Examinons avec
intérêt des manifestations du pentecôtisme au Burkina
Faso.
26 Elisabeth Dorier-Apprill, Robert E Ziavoula, «
La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale :
Théologie, éthique, et réseaux », dans revue
Hérodote, n° 119, La Découverte, 4e
trimestre 2005, 138.
27 Ibid.
28 Karl Grebe et Wilfred Fon, Religion
traditionnelle africaine et relation d'aide (Abidjan : CPE, 2000), 20.
29 Ibid.
30 Wilbur O'Donovan, Pour un christianisme
biblique en Afrique (Abidjan : CPE, 1998), 394.
Les Tendances Pentecôtistes au Burkina Faso
Ces tendances générales du pentecôtisme
africain sont confirmées par plusieurs études faites au Burkina
Faso. Les aspects de pentecôtisme remède sont clairement mis en
évidence comme le relève Pierre-Joseph Laurent :
les Eglises protestantes s'affirment aujourd'hui comme un lieu
de grande socialité et se montrent capables, à travers les
manifestations miraculeuses de l'Esprit relayées par des croyants
guérisseurs, de résoudre solitude, maladies, souffrance,
chômage et adversité31.
Pour Moïse Sawadogo, cette adaptation locale du
pentecôtisme se traduit notamment comme « un mouvement qui
refaçonne le religieux »32, et se
caractérise par le principe de l'expérimentalisme défini
comme « un effort commun pour restaurer l'expérience comme
dimension clef de la foi »33.
La situation historique d'apparition du phénomène
peut-être située autour des années 1980 dans un contexte
urbain de prolifération des lieux de culte dont la thématique
majeure est la délivrance. Ce « développement correspond
à l'émergence d'un pôle de légitimité
purement charismatique dans une Eglise qui, en dépit de ses fondements
pentecôtistes, présente un caractère fortement
institutionnalisé »34. C'est donc en marge du cadre
institutionnel de l'église - particulièrement de l'église
des Assemblées de Dieu qui constitue la grande majorité des
pentecôtistes - qui ce phénomène s'inscrit.
31 Pierre-Joseph Laurent, « En guise de
réponse : les Assemblées de Dieu du Burkina Faso et la
trans-nationalité du pentecôtisme », dans CIVILISATIONS vol.
LI n° 1-2 - Religions transnationales, 202.
32 Moïse Sawadogo, «Les communautés
de prière : Un chemin vers le réveil ou le retour au
sacré» (Mémoire de Maîtrise, FATAD, 2006), 53.
33 Ibid.
34 Joël Noret, « Les Assemblées de
Dieu du Burkina Faso en contexte. A propos de : P.-J. Laurent, Les
pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison,
Paris, Karthala, 2003 », dans CIVILISATIONS vol. LI 1-2 - Religions
transnationales, 173.
Ainsi donc, l'activité des prieurs est clairement
perçue comme étant informelle, par rapport à
l'église officielle. L'exercice des dons se fait parfois «
à la lisière de l'Eglise instituée
»35.
En plus de ces données, on pourrait voir comment des
ministères de puissance ont été exercés dans
l'histoire récente du pentecôtisme burkinabé. Il ressort
selon André Brisset qu'il existe une relation étroite entre
l'exercice des dons de puissance et l'évangélisation. Des
serviteurs de Dieu tels que les pasteurs Baré Soré de Yilou,
Koudrema et Silamane Rouamba ont été des puissants outils entre
les mains du Seigneur. Les dons de puissance étaient un puissant outil
d'évangélisation. Et pour le pasteur Baré Soré,
« ces guérisons sont très souvent le moyen de la
création d'une Eglise dans un village »36. Leur
ministère de délivrance était tourné vers des
personnes non converties. Quant à leurs propos, ils étaient
emprunts d'une profonde reconnaissance à Dieu : « Nous
bénissons Dieu pour Son grand travail. Je n'arrive pas à dire
toutes les choses qui se passent. Mais Dieu est là. Il fait son
travail »37 disait le pasteur Baré. Nous pensons qu'il y a une
différence entre ces exemples et ceux qui ont cours chez les prieurs
aujourd'hui.
Il est important aussi de souligner le fait qu'il existe des
logiques locales en ce qui concerne les conversions, particulièrement
celles de ceux qui vivaient dans l'animisme.
35 Pierre-Joseph Laurent, « En guise de
réponse : les Assemblées de Dieu du Burkina Faso et la
trans-nationalité du pentecôtisme », dans CIVILISATIONS vol.
LI n° 1-2 - Religions transnationales, 210.
36 André Brisset, Trois Ministères de Puissance
en Afrique (Yverdon : AMI, 1977), 30.
37 Ibid., 35.
Selon Fancello, « la conversion vient au terme
d'épreuves successives, de périodes d'errances ou d'un
épisode de vie désordonnée (...), de maladie ou de
``folie» »38. Dans un tel contexte, la
guérison est synonyme de « l'intervention d'un pouvoir
supérieur (...) et salvateur »39. En effet,
guérison et conversion vont parfois de pairs. Ainsi, « la
demande de guérison étant souvent au centre de la démarche
de conversion, celle-ci s'exprime comme une libération de la souffrance
et du Mal, libération temporaire, car la lutte, elle, est
permanente »40. Elle souligne les deux aspects de la
conversion pentecôtiste en ces termes : « elle est à la
fois, une forme de distanciation du monde traditionnel et des contraintes
liées aux règles coutumières, et une protection contre ses
pouvoirs magiques »41.
A la lumière de ces référents historiques,
situons les causes religieuses et spirituelles du développement de
l'activité de prière.
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