Analyse critique de la loi électorale du 09 mars 2006,Congo : conditions d'éligibilités et modes de scrutin( Télécharger le fichier original )par François BAHININWA MAKYAMBE Université Officielle de Bukavu - Licence de droit 2006 |
CHAPITRE TROISIEME : ANALYSE CRITIQUE DESMODES DE SCRUTIN ORGANISES PAR LA LOI 06/006 DU 09 MARS 2006Lors d'une élection, les résultats du scrutin ne signifient pas nécessairement la même chose pour tous les citoyens. Le scrutin constitue en quelque sorte une « auberge espagnole » chacun semblant y trouver ce qu'il a apporté, étant donné que l'élection ne pourra jamais satisfaire l'ensemble des besoins contradictoires de la société. Une élection ne vise pas à répondre à un besoin unique mais à plusieurs besoins simultanés. Cette constatation s'avère capitale lorsqu'on analyse les différents modes de scrutin. Puisqu'une élection ne saurait répondre à tous les besoins, il faut identifier le mode de scrutin qui permet de satisfaire le plus grand nombre avec le minimum d'inconvénients. En effet, tout mode de scrutin possède à la fois des avantages et des inconvénients. Le 2e problème lié aux élections réside dans cette dichotomie : l'évaluation des bons et des mauvais aspects d'un mode de scrutin nécessite un approfondissement réaliste d'autant plus que ce dernier est toujours directement lié à la légitimité dans un pays donné, à un moment donné (19(*)). Etant donné cette impossibilité, il ne faut pas surprendre de découvrir que le choix d'un mode de scrutin est devenu une démarche essentiellement politique. Les personnes appelées à choisir un nouveau mode de scrutin le feront infailliblement en fonction de leurs intérêts politiques et partisans parce qu'ils sont en même temps membres de partis politiques au pouvoir. Ainsi, la majorité parlementaire s'efforce-t-elle d'introduire les procédés techniques qui leur seront plus favorables aux prochaines élections car pour les hommes politiques, le bon système électoral est celui qui leur fait gagner des élections (20(*)). Néanmoins, la partisanerie implicite dans le choix du mode de scrutin ne doit pas nous empêcher de les analyser d'un point de vue scientifique, objectif et neutre. Donc d'aborder leur examen sous l'angle et avec l'outil du scientifique (21(*)). D'où la nécessité de faire une analyse critique, de relever les avantages et les inconvénients de chaque système électoral et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions et enfin dégager une perspective d'avenir pour les prochaines élections en RDC. Signalons d'emblée que les modes de scrutin ou encore les systèmes électoraux sont des techniques utilisées afin de choisir les députés et/ou les dirigeants. Il s'agit donc de savoir suivant quelles modalités seront repartis les sièges compte tenu des suffrages exprimés par les électeurs. De toutes les 4 principales catégories dans lesquelles on peut regrouper les modes de scrutin en l'occurrence, le scrutin majoritaire à 1 et à 2 tours, la représentation proportionnelle et le scrutin mixte, la loi électorale du 09 mars 2006 n'a retenu que 3 notamment : · Le scrutin majoritaire uninominal à un tour pour l'élection des députés nationaux et provinciaux dans des circonscriptions ne comptant qu'un seul siège à pouvoir ; · Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour l'élection du président de la République, des chefs des exécutifs provinciaux, urbains, municipaux et locaux. · La représentation proportionnelle pour l'élection des députés nationaux, provinciaux et conseillers urbains, municipaux et locaux dans des circonscriptions comptant plus d'un siège à pourvoir, avec possibilité de l'application de la règle du plus fort reste. On comprend donc d'entrée du jeu que pour les élections législatives, le législateur a préféré un scrutin parallèle qui combine à la fois le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Etant donné que le scrutin proportionnel s'applique uniquement dans les circonscriptions comptant plusieurs sièges à pourvoir, il fallait trouver aussi une solution pour les circonscriptions moins peuplées c'est-à-dire les circonscriptions dont le total des électeurs enrôlés est inférieur au quotient électoral national. C'est ainsi que le scrutin parallèle a été retenu. SECTION 1. LE SCRUTIN MAJORITAIRE UNINOMINAL A UN TOURPrécisons que le scrutin majoritaire uninominal à un tour est souvent appliqué dans de petites circonscriptions. Avec le scrutin majoritaire uninominal à 1 tour, le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix est proclamé élu, et ce quel que soit le pourcentage des suffrages exprimés qu'il a recueillis, majorité absolue ou relative. Ce mode de scrutin est le plus ancien dans le monde ayant fait son apparition en Grande Bretagne en 1265 (22(*)). Plusieurs membres de communwealth l'ont adopté et conservé intact dont le Canada sur le plan fédéral, et dans ses provinces. On a souvent comparé l'organisation de ce mode de scrutin à celui d'une course de chevaux dans laquelle, selon l'expression anglaise « The first past the post is the winner » c'est-à-dire le premier arrivé l'emporte ne serait-ce que pour un nez. En RDC, ce mode de scrutin a été prévu par la loi électorale à son article 118 al. 1er qui dispose : « Les députés nationaux sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans renouvelable dans les conditions suivantes : - Dans les circonscriptions comptant 1 siège à pouvoir, le vote a lieu au scrutin majoritaire simple. L'électeur se prononce pour un seul candidat. Le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix est proclamé élu (...) Précisons au départ que ces circonscription n'ont eu droit qu'à un seul siège car le total des électeurs enrôlés dans toute la circonscription est inférieur au quotient électoral national de 51.425, 104 enrôlés, quotient qui s'obtient en divisant le total des enrôlés dans toute la RDC 25.712.552 par le nombre des sièges à pourvoir à l'Assemblée nationale (500 sièges). Ainsi, ce système électoral a été appliqué pour l'élection des députés nationaux et provinciaux dans les circonscriptions électorales suivantes : 1. Province du Bas-Congo
2. Province de BANDUNDU - FESHI - BANDUNDU VILLE - KAHEMBA - BOLOBO - POPOKABAKA - KWAMOUTH - KIRI - MUSHIE - OSHWE - YUMBI 3. Province de l'EQUATEUR - LUKOLELA - GBADOLITE - BASANKUSU - MOBAYI MBONGO - MAKANZA - ZONGO VILLE - BOLOMBA - DJULU - BOMONGO - BEFALE - INGENDE - MONKOTE 4. Province ORIENTALE - BAFWASENDE - BUTA - BANALIA - ANGO - OPALA - POKO - YAHUMA - DUNGU - AKETI - NIANGOMA - BAMBESA 5. Province du NORD-KIVU - NYIRAGONGO 6. Province du SUD-KIVU - IDJWI 7. Province du MANIEMA - KINDU VILLE - KAILO - LUBUTU - PUNIA - KIBOMBO 8. Province du KATANGA - MUTSHATSHA - MITWABA - KIPUSHI - KANIAMA - KAPANGA - NYUNZU 9. Province du KASAI ORIENTALE - KAMIJI - LUSAMBO - KATAKO-KOMBE - KABEYA KAMWANGA - LOMELA - KATANDA - LUBEFU - LUPATAPATA - KOLE - MIABI 10. Province du KASAI OCCIDENTAL - DEKESE Dans toutes ces circonscriptions, les partis politiques et/ou regroupement politiques ne pouvaient présenter chacun qu'un seul candidat ou alors des candidats se présentent en indépendants, et ce, conformément à l'article 13 al 2 de la loi sous examen, qui dispose que dans une circonscription électorale à un siège à pouvoir, le parti politique ou le regroupement politique présente la candidature unique du parti ou du regroupement politique, dans ce cas est déclaré élu, le candidat qui vient en tête. Pour occuper le siège disponible, il suffit seulement de faire la somme de voix obtenues par chaque candidat en les rangeant dans l'ordre de grandeur décroissante et confier le seul siège au candidat qui vient en tête. Pour ne prendre que l'exemple de la Province du Sud-Kivu, analysons le scrutin qui s'est déroulé dans la circonscription d'IDJWI, la seule circonscription de la Province qui n'avait qu'un seul siège à pourvoir. Nombre d'enrôlés : 73.333 Nombre des suffrages exprimés : 69922 Nombre des suffrages valablement exprimés : 65745 Bulletins nuls : 3888 Bulletins blancs : 289 Taux de participation : 95,35% Siège à pouvoir : 1 Dans cette circonscription électorale, 11 partis et regroupements politiques et 4 indépendants se sont présentés pour occuper le seul siège lui réservée à l'Assemblée nationale.
Au regard des voix obtenues par chaque candidat, le seul siège a été attribué au candidat présenté par le parti MSR qui a obtenu le plus de voix par rapport aux autres partis politiques, regroupements politiques et candidats indépendants. AVANTAGES DE CE MODE DE SCRUTIN · Les circonscriptions électorales couvrent des petites surfaces. Elles se prêtent à une meilleure connaissance personnelle des candidats. Ces derniers sont relativement accessibles et disposent souvent d'un bureau dans la ville principale de leur circonscription. Les candidats peuvent facilement rencontrer leurs électeurs, tenir compte de leurs demandes et transmettre celles-ci au Gouvernement (23(*)). · La simplicité de ce mode de scrutin constitue un 2e avantage. Les opérations mathématiques nécessaires sont peu complexes. Il suffit de savoir additionner. Le dépouillement de vote se fait rapidement et ne pose que de rare problème technique. Par exemple lorsqu'il s'agit de déterminer les bulletins nuls ou non valides. Quelques minutes après la fermeture du bureau de vote on est souvent en mesure d'annoncer le gagnant. Tel a été le cas dans la circonscription d'Idjwi où on savait déjà le député élu au lendemain même du vote. · L'avantage crucial de ce mode de scrutin est le fait qu'il entraîne une grande stabilité du gouvernement. Le scrutin majoritaire uninominal à un tour force le consensus parce qu'il oblige les électeurs à ne choisir généralement qu'entre deux équipes. Le parti qui arrive premier dispose habituellement d'une majorité des députés ce qui lui permet de gouverner tranquillement pendant la durée de son mandat. Pas besoin de coalition, d'entente et de compromis. · Ce mode de scrutin responsabilise l'équipe dirigeante qui ne peut plus blâmer des partenaires d'une coalition des erreurs qu'elle-même a commises. Signalons enfin que les 2 derniers avantages ne se manifestent que si le scrutin majoritaire a été appliqué dans toutes les circonscriptions du pays. Cela n'est pas le cas en RDC car ce scrutin n'a été appliqué que dans certaines circonscriptions. INCONVENIENTS · La non proportionnalité de la représentation en est le premier inconvénient. ce mode de scrutin ne tient pas compte de la diversité des opinions puisque son objectif est de forcer le consensus en obligeant les électeurs à choisir entre deux formations politiques essentielles. Il aboutit donc le plus souvent à la formation d'un gouvernement majoritaire. Les divers courants d'opinion incarné par les autres partis, n'y sont pas représentés selon leur force réelle dans la population parce qu'ils ne font pas élire autant des députés que le pourcentage de voix qu'ils récoltent. · Bien que ce mode de scrutin n'empêche pas la naissance de nouveaux partis politiques, il ralentit néanmoins considérablement la montée des nouvelles formations politiques jusqu'à ce qu'elles représentent une fraction importante ou une clientèle fortement concentrée de l'électorat. · L'élu local et même le gouvernement ne représente souvent qu'une minorité. Cet inconvénient est dû tantôt à la dispersion tantôt à la concentration trop poussée des voix des partis en course. Cela est d'autant vrai que pour ne prendre que l'exemple d'Idjwi le candidat du MSR n'a été élu qu'avec 20809 sur 69922 votants ce qui représente à peu près une minorité de 29,7% · Les circonscriptions électorales étant peu étendues, la lutte électorale se transforme souvent en lutte de personnalité locale et non d'idée, la promotion d'idéologie prend une place insignifiante. On se plait plutôt à mettre en relief les qualités de « bons » candidats et de défaut du « mauvais » candidat cela s'est particulièrement manifesté lors de la campagne électorale où les candidats se considéraient comme des ennemies à abattre plutôt que des adversaires. Ainsi les affiches des adversaires ont été arrachées, les calicots déchirés ou emportés, des bagarres entre les sympathisants des candidats concurrents. Bref, il y avait une volonté de nuire à autrui et de démolir l'image de l'adversaire. · Le scrutin majoritaire uninominal à 1 tour débouche donc à une surreprésentation du parti majoritaire, à une sous représentation des partis minoritaires et une quasi absence de représentation des autres partis véritablement laminés par la dureté de la règle du jeu. Encore une fois cet inconvénient ne se manifeste que si ce mode de scrutin est appliqué dans toutes les circonscriptions du pays. · Les petites circonscriptions se retrouvent souvent avec des cas de favoritisme. Les dirigeants élus peuvent jusqu'à certain point identifier les électeurs qui ont voté pour eux et tenter de les récompenser, mais ils peuvent aussi punir ceux qui ont osé voter contre eux. Dans tous les pays où se pratique le scrutin majoritaire uninominal à 1 tour, on a assisté à de règne de « petit favoritisme » qui consiste à accorder de faveur à des individus proches et de « grand favoritisme » qui dispense les largesses de l'Etat à des groupes et de grands entrepreneurs (24(*)). * 19 LORIOT G., pouvoir, idéologie et régimes politiques, éd. Etude vivante, Québec, 1972, P 137. * 20 . BIBOMBE B. Op.cit , p. 62. * 21 LORIOT, G. Op.cit, p.140. * 22 LORIOT G., Op cit, p. 140 * 23 LORIOT G, Op cit, P. 147. * 24 LORIOT G., Op cit, p.152 |
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