Analyse critique de la loi électorale du 09 mars 2006,Congo : conditions d'éligibilités et modes de scrutin( Télécharger le fichier original )par François BAHININWA MAKYAMBE Université Officielle de Bukavu - Licence de droit 2006 |
SECTION 2 : LA REPRESENTATION PROPORTIONNELLEJoseph Barthelemy, un de défenseurs de la représentation proportionnelle la définit comme le système électoral qui, au lieu de réserver toute la représentation à la minorité plus un des électeurs, s'efforce d'assurer à chaque parti une représentation en rapport avec sa force numérique (25(*)). Faut -il ici souligner que la représentation proportionnelle est souvent d'application dans les grandes circonscriptions où il y a plusieurs sièges à pourvoir. Autrement-dit le parti ou le regroupement politique présente une liste dans laquelle sont repris les noms de ses nombreux candidats. De prime à bord, distinguons deux sortes de représentation proportionnelle : Intégrale et rapprochée.
§1. La représentation proportionnelle intégraleElle est surtout utilisée dans les Etats dotés d'un territoire exigu tel qu'en Israël et au Pays Bas. Elle consiste à abolir toutes les circonscriptions donc à faire tout le pays une immense et unique circonscription. Les électeurs ne votent plus afin d'élire un député dans une province mais choisissent parmi les différentes listes des partis politiques chacune contenant le nombre maximum des députés possibles (26(*)) Par exemple, s'il faut élire 125 députés au parlement, chaque parti présente une liste de 125 candidats. Le scrutin terminé, on doit simplement accorder à chaque parti le pourcentage des sièges correspondant au pourcentage de vote qu'il a recueilli. §2. La représentation proportionnelle rapprochée. D'autres pays se sont plutôt tournés vers la représentation proportionnelle rapprochée. Celle-ci maintient quelques très grandes circonscriptions régionales au sein desquelles les électeurs continuent à choisir parmi les listes proposées. Le résultat ne peut cependant être aussi parfait que dans le cas de la représentation proportionnelle intégrale. En effet, on a dû inventer le mode de calcul complexe qui favorise tantôt le parti qui arrive le premier dans une circonscription tantôt celui qui arrive 2ème ou 3ème Quant à l'attribution des sièges, il sied de distinguer deux situations : - La détermination du nombre de siège à partager entre les élus en partant du quotient réalisé, et - Dans la mesure où il est de siège à pourvoir non attribué (la répartition de siège selon le reste). Pour la première répartition, on attribue d'abord à chaque liste autant de sièges de base qu'elle obtient d'après le suffrage qu'elle réunit sans tenir compte des restes. Cette détermination peut se faire suivant le système du quotient électoral et le système du nombre uniforme. Mais entre les deux on trouve le système du quotient national (27(*)). Le quotient électoral ou le quotient par circonscription s'obtient en divisant dans chaque circonscription le nombre total de suffrages exprimés par celui des sièges à pourvoir. En d'autres termes, on divise le nombre des suffrages exprimés par le nombre de députés à élire. Le chiffre obtenu est donc appelé quotient électoral. Autant de fois ce quotient est contenu dans le nombre de suffrages obtenus par une liste, autant celle-ci possède des candidats élus. Cependant, la représentation proportionnelle ne permet pas nécessairement de pourvoir à tous les sièges car après la répartition des sièges de quotient, il reste toujours des sièges non pourvus et des voix inutilisées. Pour pourvoir à ces sièges, il y a trois méthodes : - La méthode du plus fort reste : ici le siège est attribué à la liste qui a le plus de voix inutilisées. - La méthode de la plus forte moyenne qui consiste à attribuer fictivement un siège supplémentaire à chaque liste en présence pour calculer la moyenne des suffrages recueillis par chaque liste. Autrement dit, on divise les suffrages obtenus par chaque liste par le nombre de sièges lui attribués plus un. Ainsi, la liste qui aura une forte moyenne recevra le siège restant - La méthode d'Hondt qui consiste à diviser les suffrages obtenus par chaque liste par 1, 2, 3, 4,5 jusqu'à concurrence de nombre de sièges à pourvoir. En suite, on classe le quotient obtenu par ordre décroissant jusqu'au nombre mis en compétition. Chaque liste reçoit autant de sièges qu'il a de quotients présents dans ce classement. En RDC, l'article 118 al dernier de la loi électorale dispose que [...] dans des circonscriptions comptant deux sièges à pourvoir et plus, le vote a lieu au scrutin proportionnel de liste ouverte à une seule voix préférentielle avec application de la règle du plus fort reste. Ainsi, nous allons non seulement présenter les résultats auxquels on a abouti en appliquant le scrutin proportionnel avec application de la règle du plus fort reste, mais aussi nous présenterons les résultats auxquels on aurait abouti si le législateur avait retenu d'autres méthodes de répartition de reste notamment la plus forte moyenne et le système d'Hondt. Cette approche nous permettra de comparer les différentes méthodes de répartition des restes,de dégager les avantages et les inconvénients de chacune d'entre elles et de dégager enfin une perspective d'avenir c à d de nous positionner sur le maintien ou pas de la règle du plus fort reste. Concrètement, nous nous limiterons à analyser les résultats des élections des députés nationaux dans la circonscription de BUKAVU ville. Enfin, suite à la multiplicité des candidats, 132 au total pour seulement 5 sièges à pourvoir, nous ne prendrons que 5 partis qui ont eu le plus de voix Nombre d'enrôlés : 240703 Votants : 214568 Suffrages valablement exprimés : 207.799 Bulletins blancs : 665 Taux de participation 89.14% Sièges à pourvoir : 5 Voici les voix obtenues par les 5 premiers partis : 1. PPRD : 116679 voix 2. PANU : 22.724 voix 3. UPRDI : 11.901 voix 4. MSR : 11566 voix 5. PCBG : 7459 voix Pour avoir le quotient électoral de la circonscription, nous diviserons les suffrages exprimés par les sièges à pourvoir : QE= SE = 207 799= 41 559,8 SP 5 Pour avoir les sièges obtenus par chaque parti, nous divisons le nombre de voix obtenues par chaque parti par le quotient électoral et on attribue à chacun autant des sièges qu'il atteint le quotient. 1. PPRD : 116679 = 2 sièges reste : 33561 voix 41559 2. PANU : 22724 = 0 siège. reste : 22724 voix 41559 3. UPRDI : 11901 = 0 siège. reste : 11.901 voix 41559 4. MSR : 11566 = 0 siège. reste : 11566 voix 41559 5. PCBG : 7459 = 0 siège. reste : 7459 voix 41559 Après l'attribution des sièges de quotient, seule la liste présentée par le parti politique PPRD a obtenu 2 sièges. Il reste donc 3 sièges à pourvoir, sièges qu'il faut attribuer en suivant la règle du plus fort reste qui a été retenue par la loi électorale de 2006 en République Démocratique du Congo. Ainsi donc, les 3 sièges qui restent à pourvoir seront respectivement accordés aux listes suivantes : PPRD : 1 siège de plus grâce à son plus fort reste de 33561 PANU : 1 siège grâce à ses 22 724 voix inutilisées UPRDI : 1 siège grâce à ses 11.901 voix non utilisées. Après toutes les deux répartitions (répartition par quotient et répartition du reste) tous les 5 sièges ont été repartis comme suit : - PPRD : 3 sièges - PANU : 1 siège - UPRDI : 1 siège Précisons qu'après la répartition au niveau des partis, une autre répartition se fera à l'intérieur de chaque parti en suivant la procédure prévue à l'article 119 al 2c « [...] s'il reste de sièges à attribuer à la suite de cette 1ère répartition, la règle du plus fort reste est appliquée. Les listes sont classées dans un ordre décroissant. Les sièges sont attribués en fonction de ce classement. Pour chaque liste, l'attribution de siège au candidat tient compte de nombre des voix obtenues par chacun d'entre eux. Les candidats de chaque liste sont classés dans un ordre décroissant de voix qu'ils ont obtenues. Sont proclamés élus dans la limite du nombre de sièges attribués à chaque liste le ou les candidats ayant obtenu le plus de voix. Lorsque pour l'attribution du dernier siège à pourvoir deux ou plusieurs listes obtiennent un nombre égal des suffrages, le siège restant est attribué au candidat le plus âgé ». QU'EN EST-IL DES AUTRES METHODEs ? Qu'en serait-il alors si le législateur avait retenu la méthode de plus forte moyenne. Rappelons ici que cette méthode est celle qui veut que chacun de siège restant soit attribué à la liste pour laquelle la division du nombre des suffrages qu'elle a recueillis par le nombre de siège attribué plus un donne le plus fort quotient (28(*)) Voici par ailleurs les résultats auxquels on aurait abouti si la loi électorale avait retenu la règle de la plus forte moyenne. Signalons en passant que les sièges attribués grâce au quotient réalisé restent toujours intouchables. PPRD : 116679 :3 (deux sièges pourvus +1 fictivement donné)= 38893 PANU : 22724 : 1 (0 pourvu +1 fictivement donné) =22.724 UPRDI : 11901 : 0+1= 11901 MSR : 11566 : 0+1=11566 PCBG : 7459 : 0+1=7459 La liste PPRD ayant une forte moyenne se verrait attribuer un des sièges restants, ce qui lui donnerait alors 3 sièges. Et on recommencerait l'opération pour les deux autres sièges restants en divisant cette fois les suffrages de la liste PPRD par 4 puis qu'elle vient d'obtenir un siège supplémentaire. PPRD : 116679 : 3+1 =29169,75 PANU : 22724 : 0+1=22724 UPRDI : 11901 :0+1=11901 MSR : 11566 : 0+1= 11566 PCBG : 7459 :0+1=7459. La liste PPRD ayant une fois de plus une forte moyenne se verrait attribuer un autre siège ce qui lui donnerait alors 4 sièges. Etant donné qu'il reste encore un siège à pourvoir, on recommencerait l'opération pour l'attribution du siège restant en divisant cette fois les suffrages de la liste PPRD par 5 puis qu'elle vient d'obtenir un autre siège supplémentaire. PPRD : 116679 : 4+1= 23335,8 PANU : 22724 : 0+1=22724 UPRDI : 11901 : 0+1= 11901 MSR : 11566 : 0+1= 11566 PCBG : 7459 : 0+1= 7459 La liste PPRD ayant toujours une forte moyenne se verrait en fin attribuer le 5ème et le dernier siège restant. Ce qui lui permettrait de rafler tous les 5 sièges. N.B. Comme l'illustre si bien cet exemple combien éloquent, la règle de la plus forte moyenne est plutôt favorable aux grandes formations politiques et ce au grand détriment de petites formations politiques. Qu'en serait-il alors si la loi électorale avait retenu la méthode d'Hondt ? Cette méthode imaginée par le mathématicien Belge HONDT consiste à diviser successivement par 1, 2, 3, 4, 5, 6... le nombre de voix obtenues par chaque liste et on range le quotient dans leur ordre d'importance jusqu'à concurrence d'un nombre total du quotient égal au nombre de sièges à pourvoir. Le dernier quotient (le plus faible) s'appelle chiffre « repariteur » et sert de diviseur électoral. Chaque liste reçoit autant de siège que le nombre de ses voix contient le chiffre diviseur. Le système d'Hondt comprend deux opérations : La 1ère opération consiste à diviser le nombre de voix par le nombre de siège
2ème opération : classement des 5 meilleurs quotients : 116679 58339,9 38893 29169,75 23335,8. C'est donc le 5ème chiffre à savoir 23335,8 qui est notre chiffre répariteur donc notre quotient électoral. Après le calcul, on constate que la liste du PPRD raflerait tous les 5 sièges à pourvoir car les suffrages qu'elle a obtenus contiennent 5 fois le quotient électoral. On constate dès lors que le système d'Hondt donne les mêmes résultats que le calcul à la plus forte moyenne. Ces deux méthodes (d'Hondt et la forte moyenne) sont favorables aux grands partis politiques. Voilà les résultats auxquels on a abouti en appliquant la règle du plus fort reste qui a été retenue par le législateur, et les résultats que donneraient les urnes si la législation électorale avait retenu la règle de la plus forte moyenne on encore la méthode d'Hondt. AVANTAGES. · La représentation proportionnelle reproduit fidèlement les diverses tendances de l'électorat et permet ainsi à ces tendances d'être représentées au parlement, ce qui donne une représentation politique plus exacte de la nation. Ainsi à l'Assemblée nationale de la RDC, on retrouve aussi bien les députés de la majorité que de la minorité, les députés des grandes formations politiques que des petites formations. · Elle facilite l'accès au parlement des petites formations politiques satisfaisant ainsi au principe de l'inclusivité. · Elle évite les anomalies du système majoritaire et permet la mise sur pied d'une Assemblée législative plus représentative car même les minorités y sont représentées. · La représentation proportionnelle tend en fin à la formation des partis politiques multiples car chacun peut tenter sa chance. Cela est d'autant vrai que pour les 500 sièges à pourvoir à l'Assemblée nationale, la CEI avait enregistré 9707 candidats députés nationaux. INCONVENIENTS. - Le premier inconvénient est l'extrême dispersion des voix ce qui a comme conséquence qu'un parti n'obtient pas la majorité absolue. En témoignent les élections législatives de 2006 en RDC à l'issue desquelles aucune formation politique n'a pas pu réaliser la majorité absolue des sièges c'est-à-dire 251 sièges sur un total de 500. - La représentation proportionnelle conduit malheureusement à l'instabilité du gouvernement à cause de la nécessité fréquente de former des coalitions pour gouverner. En effet, nous avons vu qu'il est rare pour un parti, sur le plan mathématique de rassembler la moitié plus un des députés élus ou même la majorité qualifiée à l'échelle nationale pour former seul le gouvernement. Pour le cas concret de la RDC, les élections législatives de 2006 n'ont pas été épargnées de cette conséquence. En effet, à l'issue des élections, aucun parti n'ayant pas pu réalisé la majorité requise pour la formation du gouvernement, on a dû recourir au système de coalition parlementaire pour permettre de dégager une majorité. C'est ainsi que le PALU et l'UDEMO se sont coalisés avec l'AMP qui soutenait le candidat KABILA KABANGE Joseph aux élections Présidentielles (1er tour). Ce n'est qu'après toutes ces coalitions que l'informateur, Mr Antoine GIZENGA FUNDJI a pu dégager une majorité. A la suite de cette majorité issue de la coalition, Monsieur Antoine GIZENGA a été nommé Premier ministre en date du 30 décembre2006. Pour la formation de son premier Gouvernement qui avait été qualifié de gouvernement GIZENGA I par la presse et la classe politique, le premier ministre a dû faire appel à tous les partis et regroupements politiques membres de la coalition AMP-PALU-UDEMO. C'est ce qui a justifié le grand nombre des membres de gouvernement car voulant satisfaire tous les partis membres de la coalition. Précisons que pour la formation du gouvernement GIZENGA I, seuls les partis et regroupements politiques qui avaient au minimum 5 sièges à l'Assemblée nationale avaient droit à un poste ministériel. Critiquée non seulement pour sa taille qualifiée d'éléphantesque et de budgétivore mais aussi pour l'inefficacité de sa première équipe gouvernementale, le premier ministre Antoine GIZENGA a dû procéder au remaniement de son gouvernement réduisant sensiblement sa taille. Ainsi, on est passé de 60 Ministres d'Etat, Ministres et vice Ministres pour la première équipe à 45 Ministres d'Etat, Ministres et vice Ministres pour le 2ème Gouvernement dit Gouvernement GIZENGA II. La réduction de l'équipe gouvernementale n'a pas été sans frustration au sein des partis membres de la coalition. Ainsi certains partis qui avaient un poste ministériel dans le gouvernement GIZENGA I se sont retrouvés sans aucun poste ministériel dans le GIZENGA II. Tel est le cas des partis et regroupements politiques ACDC, CDC, etc. D'autres partis et regroupements politiques ont vu le nombre des postes ministériels leur attribué dans le Gouvernement GIZENGA I être sensiblement réduit dans le GIZENGA II et ce au profit des autres partis. Tel est le cas des partis politiques MSR qui a accusé le PPRD et le PALU de s'être taillée la part de lion dans le Gouvernement GIZENGA II. Tout ce scénario montre avec éloquence la fragilité du Gouvernement de coalition qui est souvent une des conséquences de la représentation proportionnelle. Terminons en disant que bien que la coalition AMP-PALU-UDEMO ait été maintenue, elle a été quelque peu fragilisée par la gestion des ambitions. * 25 TURPIN D, Droit constitutionnel, éd. PUF, paris, 1997, p.242 * 26 LORIOT G. op cit, p.154. * 27 DUVERGER M. op cit p.145 * 28 BURDEAU G : Op cit, p.464. |
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