Section 2 :
Mise en évidence des pratiques de piraterie des logiciels
au
sein des entreprises
Les logiciels sont l'une des technologies les plus
stratégiques de l'ère de l'information. Ils permettent de faire
fonctionner l'ensemble du système d'information, des postes de travail
individuels aux systèmes interconnectés les plus complexes.
Malheureusement, en raison de leur caractère intangible et parce que les
ordinateurs permettent de réaliser facilement une copie exacte d'un
programme en quelques secondes, la contrefaçon des logiciels est
largement répandue. De la duplication "artisanale" à la
contrefaçon à échelle "industrielle", le piratage
informatique peut revêtir les aspects les plus divers. Cette section
vise, dans un premier temps, à mettre en évidence les
différentes formes de pratiques de piraterie des logiciels, puis de nous
pencher, dans un second temps, sur les différentes causes pouvant
justifier les pratiques de piraterie au sein des entreprises.
1. Les causes de pratiques de la piraterie des logiciels
a) Causes au niveau de l'Etat
i. Manque de politique de vulgarisation de
l'informatique
Sur le plan de la politique nationale, il n'existe pas de
véritable stratégie de promotion, de développement et de
vulgarisation de l'informatique au Cameroun. En effet, le matériel
informatique (y compris les logiciels) ne bénéficie d'aucune
protection particulière visant à encourager les investisseurs
à s'y intéresser davantage, que ce soit en matière
d'importation ou de protection fiscale. C'est la raison pour laquelle Antony
SAME, Responsable Partenaires Microsoft Afrique Centrale pense qu' «
après avoir raté le développement industriel du 20e
siècle, le Cameroun est entrain de passer à côté du
développement technologique ». Pourtant le Magistrat MOUNOM
MBONG, Président de la Cour d'Appel d'Ebolowa, qui a par ailleurs
participé à l'élaboration de la loi n° 2000/011 du 19
décembre 2000 relative à la gestion des droits d'auteurs au
Cameroun, pense que l'Etat devrait y accorder un point d'honneur, puisqu'«
Il s'agit d'un domaine éminemment important, qui influe sur le
développement social, intellectuel, industriel et économique de
la nation». Le rôle de l'Etat est d'autant plus ambigu que non
seulement il est le garant de la bonne application du droit en matière
d'utilisation de logiciels, mais il est aussi le plus grand pourvoyeur de la
piraterie. Pour Anthony SAME, « l'Etat camerounais est le premier
fraudeur ». En effet, en consultant le fichier des appels d'offre
d'entreprises informatique en 2008 chez Hiperdist Cameroun SA, près de
82% d'ordinateurs achetés pour le compte des entreprises
étatiques (ministères, mairies, entreprises publiques, etc.) ont
été livrés sans système d'exploitation.
ii. Absence de culture du respect de la Loi
Nombre d'utilisateurs Camerounais restent enclins à la
perte des valeurs morales et éthiques, ce qui justifie la propension des
fléaux comme la corruption, les détournements, la piraterie, etc.
Pour Mme Elise MBALLA, Présidente du conseil d'administration de la
SOCILADRA, société civile en charge de la gestion des droits
d'auteurs au Cameroun, «dans notre pays, il y'a un fort
développement de la
banalisation de la fraude, et c'est pourquoi la fraude
gangrène l'économie nationale. Le vrai problème du
développement de la piraterie, c'est le refus de payer. Il faut que les
gens apprennent à payer les droits d'utilisation des logiciels, comme
ils le font pour l'électricité ou l'eau». Cette
situation est d'ailleurs généralisée dans la plus part des
pays émergeants ou en voie de développement. D'après le
rapport 2008 de la Business Software Alliance, il existe plus de logiciels
piratés dans ces pays que dans les pays développés, comme
nous pouvons l'apercevoir à travers le graphe cidessous :
Figure N° 5 : Proportions de la piraterie entre
pays émergeants et pays développés
iii. Une Opposition entre les secteurs formels et
informels
Une autre cause de la piraterie est celle de l'opposition
entre les secteurs formel et informel. En effet, la propension de la piraterie
au sein des entreprises au Cameroun est développée par des jeunes
ingénieurs sans emploi, qui sont prêts à tout pour gagner
un peu d'argent. L'un d'entre eux que nous avons rencontré, et qui a
souhaité garder l'anonymat déclare : «J'ai fini mes
études à l'école polytechnique depuis trois ans et je n'ai
pas trouvé d'emploi. C'est grâce aux copies de logiciels que
j'installe dans les entreprises que je parviens à vivre».
Parallèlement, les entreprises formelles se disent incapables de
recruter ces ingénieurs par manque d'opportunité
de marchés ; Pour Auberlin TAKUGANG, Expert Microsoft
et Directeur Général de la société SIGA, <<
à cause de la piraterie nous ne sommes pas en mesure de recruter de
nouveaux ingénieurs ». Nous nous retrouvons donc dans un
cercle vicieux dans lequel le secteur informel prime sur le secteur formel, au
détriment de l'économie nationale.
b) Causes au niveau des éditeurs de
logiciels
i. Faibles présence locale des gros acteurs de
l'informatique mondiale La plupart de grands éditeurs de
logiciels n'accordent pas une grande importance au marché de l'Afrique,
et préfèrent se concentrer sur les grands marchés
européens et américains. Au Cameroun, seul Microsoft, CISCO et
ORACLE sont effectivement représentés ; aucune présence de
leaders tels que IBM, ADOBE, SAGE, SAP, Macro Média, etc. Cette absence
ouvre la voix à un laissé aller flagrant ou chacun pirate en
toute quiétude.
ii. La complexité du concept de
licence
Chez les éditeurs de logiciels, les produits se
déclinent en un ensemble de contrats de licences complexes et parfois
très difficilement compréhensibles, qui tiennent compte du nombre
d'ordinateurs, du nombre de licences, de la nature des produits, etc. Chez
Microsoft par exemple, ces contrats sont regroupés dans un programme
dénommé <<Microsoft licensing Program» dont
voici les principaux détours :
- La licence OEM : (Original Equipment Manufacturer)
Elle est commercialisée uniquement avec un ordinateur
neuf, et est liée pour la vie à la machine avec laquelle elle est
vendue. Ceci signifie que lors d'un changement de machine, la licence OEM est
perdue. Ce mode de licence présente deux avantages : une économie
sur le coût d'acquisition, et une simplicité de mise en oeuvre. En
effet, en termes de cout d'acquisition, OEM représente la solution la
moins couteuse de tous les programmes de licences Microsoft. Seulement, elle
est soumise à un certains nombre de limites et de
conditions ; par exemple, l'installation d'une copie sur un autre
ordinateur n'est pas autorisée, et le changement de langue est
interdit.
- La licence FPP (Full Packaged Product)
Commercialisée en boite dans les magasins et autres
grandes surfaces, la licence FPP est la formule la plus couteuse à
l'achat des logiciels Microsoft. Le produit est conditionné dans un
emballage esthétique, comportant des CDs d'installation et une
documentation complète. En général, FPP est
destinée aux particuliers qui font des achats ponctuels, et aux
entreprises pour des quantités très faibles (inferieures à
cinq licences).
- La software assurance (SA)
La SA est une offre d'assurance et de maintenance logicielle
souscrite par une entreprise (ou un particulier) pendant une période,
afin de bénéficier d'un certain nombre de services
supplémentaires. Il s'agit des services tels que la formation, les
supports en ligne sur Internet ou sur sites chez le client, les mises à
jour gratuites des logiciels assurés, le droit d'utilisation gratuite
des logiciels sur les ordinateurs à domicile ou sur les ordinateurs
portables, etc. Pour Microsoft, « la SA permet de rentabiliser
l'investissement réalisé sur les logiciels à travers de
nombreux avantages permettant de gagner du temps et de l'argent tout en
améliorant l'efficacité». En termes de prix, la
software assurance représente environ 25% de la valeur du produit par
an.
- Les contrats en volume
Microsoft a mis en place des programmes de licences en volume
conçus spécialement pour répondre aux besoins des
entreprises. Avec ces programmes, l'entreprise peu mieux planifier et
gérer son budget informatique de façon plus fiable. Ces
programmes se déclinent en quatre options, soit l'achat au contant
(Open), l'achat à crédit avec une couverture totale ou partielle
du parc informatique (Open Value), l'achat à crédit avec une
couverture totale du parc (Open value Entreprise), ou la location (Open Value
Subscription). La
compréhesion de ces programmes de licence peut etre
facilitée par l'ordinogramme ci-dessous :
Figure N° 6 : Ordinogramme du programme des
licences Microsoft Source : Le guide des licences Microsoft
2008
c) Causes au niveau des décideurs
d'entreprise
i. L'aspect non physique des logiciels
L'aspect non physique des logiciels n'encourage pas les
décideurs d'entreprises à y engager de grands moyens financiers.
Le logiciel est ainsi géré comme une charge et non un
investissement.
ii. La problématique du prix
Avec les 38,27% de taux de douane, le cout d'acquisition des
licences revient très élevé au Cameroun par rapport aux
autres pays de la sous-région. Par exemple, une licence Windows XP
Professionnel achetée chez Microsoft à 88 Euros, revient au
Cameroun chez Hiperdist (Grossiste), en tenant compte de 5% environs pour le
transport, à : (88 x 656) x 1,3827 x 1,05 = 83 811 Francs.
Or en ajoutant une marge de 5%, les 19,25% de TVA et 1% de
précompte, le prix de vente chez les revendeurs est de : 83 811 x 1,05 x
1,1925 X 1,01 = 106 000 Francs CFA TTC. Et si le revendeur doit y ajouter sa
marge à 10%, on aura donc comme prix de vente officiel 106 000 x 1,1 =
116 590 Francs CFA. Actuellement sur le marché camerounais, le prix
public de Windows XP est de 120 000 Francs TTC, alors qu'au Gabon voisin, la
même licence est facturée à 85 000 Francs TTC.
iii. L'absence de politique de gestion du système
d'information au sein des
entreprises
Beaucoup d'entreprises fonctionnent de nos jours sans
véritable politique de gestion du système d'information. Chacun
achète, chacun installe, chacun télécharge, etc. Cet
état de chose s'est empiré avec l'explosion de la technologie
Internet au sein des entreprises. En effet, Internet est un réseau
informatique mondialement ouvert. Perçu comme un espace nouveau de
liberté d'expression et d'échange, il est devenu pour les
entreprises un média stratégique de communication, et
activé sur la quasi-totalité de postes de travail au sein des
entreprises. Cependant cette aubaine c'est très vite transformée
en source de problèmes du fait de l'absence de politique réelle
de son utilisation. Cette absence de politique entraine : Des pertes
énormes de temps de travail sur des sites de messagerie et de dialogue
en direct (MSN, yahoo messenger, etc.), l'utilisation à titre
personnel et non professionnelle de la connexion Internet, La saturation des
bandes passantes par des téléchargements des logiciels
piratés ou en provenance de sites Internet malsains etc. D'après
une analyse publiée en 2006 par l'Agence PANEL, en France, 40% environ
de mails envoyés par des travailleurs aux heures d'ouvertures, sont
à caractère personnel, alors que 52% de personnes qui se
connectent volontairement sur un site Web n'y vont pas pour des raisons
professionnelles.
Tout au long de ce premier chapitre, nous nous sommes
attelés à bien cerner les contours du problème de la
piraterie, en analysant en profondeur l'approche conceptuelle du
phénomène dans les entreprises camerounais. Ceci nous a permis,
dans la première section, de comprendre les concepts de base comme ceux
du logiciel, de la licence, et de la piraterie, puis de dégager les
différents niveaux d'implications de la pratique de la piraterie des
logiciels sur l'entreprise. Nous avons ainsi compris que ces implications
pouvaient être de plusieurs ordres, et notamment financier, technique,
d'image, et légal. Dans la seconde section, nous avons mis en
évidence les différentes formes des pratiques de piraterie dans
le marché du logiciel informatique, et par la suite, en cherchant
à déterminer les causes de la pratique de la piraterie des
logiciels au sein des entreprises, nous avons trouvé qu'elles pouvaient
se situer soit au niveau de l'Etat, soit au niveau des décideurs
d'entreprises, ou alors au niveau des éditeurs de logiciels
eux-mêmes. Cependant, la question qui continue à parcourir nos
esprits est celle de savoir qui est Hiperdist Cameroun S.A, quelle est sa place
dans le canal de distribution des logiciels, et quelles solutions
d'organisation propose-t-elle pour la lutte contre la piraterie des logiciels
au sein des entreprises ?
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