I.2. L'approvisionnement périurbain
Le qualificatif «périurbain» reste
imprécis; c'est l'hinterland, l'arrière-pays, la zone sur
laquelle s'étend l'influence de la ville (Moustier. P, 2003). La
distance jusqu'à laquelle celle-ci s'exerce peut être très
variable, principalement en fonction du volume démographique de la ville
et des activités qu'elle déploie. Dans les pays de petite
dimension, la zone d'approvisionnement de la capitale peut même se
confondre avec le territoire national.
Les influences de la ville sur sa région environnante
sont multiples, qu'elles prennent la forme de relations ville-campagne ou
campagne-ville, et l'approvisionnement urbain ne constitue que l'une d'entre
elles qui ne coïncide pas nécessairement avec les autres. Mieux
vaut parler des multiples aires d'influence de la ville, chacune variant selon
l'objet considéré et, dans le cas présent, selon la
production alimentaire considérée (Moustier. P, op.cit).
D'autre part, ce qualificatif de «périurbain»
peut prêter à confusion dans la mesure où il évoque
une notion d'espace partant d'un centre, la ville, et s'élargissant en
cercles concentriques autour de celle-ci tout en s'affaiblissant
progressivement. (Moustier. P, op.cit) Or, quel qu'en soit
l'élément considéré, l'espace périurbain est
discontinu, constitué de zones disjointes, pour ce qui concerne
l'approvisionnement alimentaire, peut-être plus encore qu'en d'autres
domaines. En outre, sa forme peut fort bien n'avoir rien de commun avec le
cercle ou l'hexagone de Christaller même s'il arrive qu'elle tienne du
demi-cercle dans le cas des villes côtières, comme est le cas de
Kinshasa.
L'incessant va-et-vient de véhicules et de
piétons qui animent dès les premières heures du jour les
routes et pistes aux alentours de la ville est l'une des
caractéristiques les plus frappantes des pays africains. (Luc J.A.
Mougeot et P. Moustier, 2003). Si les composantes de cette activité sont
multiples, il est certain que les déplacements de citadins se
ravitaillant à la campagne proche et ceux des ruraux leur apportant
leurs productions y sont pour beaucoup.
Il ne s'agit cependant pas uniquement d'échanges qui
seraient pratiqués sur la base d'une réciprocité plus ou
moins parfaite (plutôt moins du point de vue des citadins, plutôt
plus selon les ruraux, etc.). Les études sur la sécurité
alimentaires montrent l'existence d'autres types de stratégies de
ravitaillement développées par les citadins pour remédier
aux difficultés de la vie urbaine (Frans Goossens, 1997).
Ce recours direct à la production vivrière des
campagnes n'est pas uniquement le fait des ménages pauvres ou des
immigrés récents. Les jours fériés et les week-ends
voient se multiplier, sur les principaux axes routiers qui mènent
à la ville, des étalages souvent rudimentaires à
l'intention de citadins motorisés qui ne dédaignent cependant
pas, malgré leur statut socioprofessionnel relativement
privilégié, cet approvisionnement en vivres frais meilleur
marché qu'en ville. On peut malgré tout supposer que
l'économie permise par ces achats occasionnels n'a rien de commun avec
celle que réalisent, selon la même stratégie, les
ménages plus nécessiteux.
De tels échanges ne peuvent être actifs que dans
la mesure où existent des voies de communication et des moyens de
transport relativement commodes entre le village et la ville. On constate
cependant qu'à égale distance de la ville existent de fortes
variations dans l'intensité de l'utilisation de cette ressource
« ville » par les producteurs. Ici, on cultive presque
exclusivement pour vendre, parfois au risque de porter atteinte à
l'équilibre alimentaire des familles, là, on se contente de
vendre le surplus quand il en existe un, ailleurs encore, on vit quasiment en
autarcie comme si la ville et les débouchés qu'elle offre
n'existaient pas. De telles différences selon les zones
géographiques, voire les individus, renvoient naturellement à des
contraintes qui se traduisent dans les particularités de l'espace
d'approvisionnement.
Les productions offertes à la consommation urbaine par
l'espace périurbain sont généralement celles qui satisfont
les besoins de l'alimentation de base. Il s'agit des aliments
(céréales, tubercules) qui constituent le fond de l'alimentation
locale habituelle, qu'elle soit rurale ou urbaine. On peut s'expliquer le fait
par le mode de peuplement de la ville: les immigrants qui ont constitué
la première population de la ville provenaient (et proviennent
peut-être encore) majoritairement de la région proche et ont
gardé en ville la culture alimentaire qui était la leur et qui
est devenue et demeurée celle de la ville. L'idée implique
qu'à mesure que la ville étend et diversifie le bassin de
recrutement de ses immigrés, l'alimentation des citadins tend à
se diversifier et la zone d'approvisionnement à s'élargir vers de
nouveaux espaces.
Restent cependant entre ces espaces d'approvisionnement,
qu'ils soient anciens ou nouveaux, des sortes de no man's land, des zones
parfois relativement proches de la ville, que celle-ci ne semble pas
réussir à intégrer à son arrière-pays.
I.2.1. L'approvisionnement
à longue distance
Une partie de l'approvisionnement urbain est de provenance
lointaine, parfois très lointaine, ce qui ne manque d'ailleurs pas
d'étonner lorsqu'il s'agit de villes modestes. A l'intérieur
même du territoire national, certaines zones ont pu réussir une
spécialisation agroalimentaire qui fait d'une ou plusieurs de leurs
productions une quasi-originalité régionale dont la valeur
(économique ou symbolique) autorise un transport à longue
distance. Il peut s'agir d'aliments de consommation directe mais peu
périssables, ou bien de produits industrialisés ou
semi-industrialisés conditionnés de façon à
permettre un transport à longue distance.
On peut donc se trouver en présence, notamment pour les
grandes villes, d'un espace d'approvisionnement qui laisse une impression
d'incohérence et de démesure, et dont les principales
caractéristiques sont une sorte de sous exploitation des ressources
agroalimentaires locales et un recours à des ressources de provenance
lointaine, parfois très lointaine, ce qui ne va pas sans faire peser un
risque certain d'insécurité sur l'alimentation urbaine au
quotidien.
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