I.1.2. Agriculture périurbaine, intra-urbaine, urbaine
Les agricultures urbaine, intra-urbaine et périurbaine
font l'objet de définitions multiples dans la littérature. Il est
question ici de réaliser une analyse critique de quelques de ces
définitions selon les variables suivantes : les principaux
critères de caractérisation ; la mise en évidence de
spécificités par rapport à l'agriculture rurale ; le
caractère opérationnel ; la distinction entre agriculture
urbaine, intra-urbaine et périurbaine.
L'agriculture périurbaine, au strict sens
étymologique, est celle qui se trouve à la
périphérie de la ville, quelle que soit la nature de ses
systèmes de production. Avec la ville, cette agriculture peut soit
n'avoir que des rapports de mitoyenneté, soit entretenir des rapports
fonctionnels réciproques. Dans ce dernier cas, elle devient urbaine et
c'est ensemble qu'espaces cultivés et espaces bâtis participent au
processus d'urbanisation et forment le territoire de la ville (Fleury. A et
Donadieu, 1997).
L'agriculture périurbaine correspondant
à l'agriculture urbaine selon la terminologie anglo-saxonne (Moustier et
Mbaye, 1999) est considérée comme l'agriculture localisée
dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont
destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative
entre usage agricole et urbain non agricole des ressources. L'alternative ouvre
sur des concurrences, mais également sur des
complémentarités entre ces usages : foncier bâti et foncier
agricole ; eau destinée aux besoins des villes et eau d'irrigation ;
travail non agricole et travail agricole ; déchets ménagers et
industriels et intrants agricoles ; coexistence en ville d'une
multiplicité de savoir-faire dus à des migrations, cohabitation
d'activités agricoles et urbaines génératrices
d'externalités négatives (vols, nuisances) et positives
« espaces verts » (Moustier et Mbaye, Op.cit).
Les deux définitions définissent l'agriculture
urbaine ou périurbaine par rapport aux flux de ressources et de produits
entre l'agriculture et la ville. Ces flux créent des concurrences et des
complémentarités entre usages agricoles et non agricoles,
apparaissent comme les plus pertinentes. Elles font bien ressortir la
spécificité de l'agriculture urbaine.
L'agriculture urbaine ou périurbaine définit de
manière précise et opérationnelle, par rapport à
l'intensification des systèmes de production et à l'utilisation
des déchets urbains (Moustier et Mbaye, 1999). Cependant, cette
définition est restrictive, car certaines formes de production urbaine
sont extensives, et certaines exploitations n'utilisent que des fertilisants
chimiques et pas de déchets urbains. Dans certaines définitions,
le type d'activités englobées sous le vocable d'agriculture est
précisé : activités de production, commerce,
transformation; productions végétales et animales, alimentaires
et non alimentaires. Les interactions entre la ville et l'agriculture, en
termes de flux de ressources et de produits, sont au coeur de l'identité
de l'agriculture urbaine (terme que nous employons ici pour désigner
à la fois l'agriculture intra et périurbaine). La suite du
chapitre se propose de caractériser ces interactions et leurs
conséquences en termes d'atouts et de contraintes pour l'agriculture
urbaine.
Bien que les questions peuvent être posées sur la
notion même de « périurbain ». C'est une expression
commode pour circonscrire l'espace d'expansion des villes au détriment
des campagnes. On voit qu'en fait les articulations entre rural et urbain sont
diverses, elles ne se limitent pas à une vision spatiale
localisée d'une zone de contact entre deux mondes étrangers, l'un
tendant inexorablement à repousser l'autre ou à l'acculturer (Luc
J.A. Mougeot et P. Moustier, 2003). La zone d'approvisionnement la plus proche
de la consommation se trouve à l'intérieur même de la ville
ou à sa périphérie immédiate. La croissance
urbaine, enclenchée après les années de
l'indépendance du pays, a donné lieu à l'apparition, non
seulement de ceintures maraîchères, mais encore d'un jardinage
urbain pratiqué intra-muros sur les terrains que l'expansion de
l'urbanisation laissait encore libres pour un temps.
Ce type d'agriculture, suburbaine ou intra urbaine, est
très précaire. Il a surgi spontanément comme une mise
à profit de terrains proches de la ville ou même
intégrés dans celle-ci et sur lesquels il était
relativement aisé de pratiquer une irrigation même rudimentaire
pour approvisionner les citadins, soit directement, soit en passant par le
marché, en légumes verts ou produits maraîchers,
c'est-à-dire en produits de valeur unitaire relativement
élevée répondant à la demande d'une
clientèle urbaine aisée. Il s'agissait en fait d'un essai,
souvent réussi, de substitution de produits d'importation, visant
à offrir des denrées alimentaires européennes à une
clientèle surtout constituée d'expatriés ou de membres de
la bourgeoisie urbaine occidentalisée.
Dans l'espace, la ceinture ainsi formée n'est nullement
continue, et moins encore s'il s'agit des cultures à l'intérieur
de la ville. Ces cultures sont apparues çà et là, en
fonction des dynamismes locaux et surtout en fonction de la possibilité
d'accéder facilement à l'eau. Il s'agit donc surtout d'une
horticulture de bas-fonds, dépendant de systèmes d'irrigation
simples et de faible portée.
L'entreprise se heurte, au fil du temps, à deux types
de difficultés, les unes locales, les autres d'ordre plus
général. A mesure de l'avancée de l'urbanisation, la
plus-value progressivement acquise par les terrains suburbains, et plus encore
intra urbains (même s'ils étaient réputés
inconstructibles selon les normes de l'urbanisme), ne peut laisser longtemps
persister une activité agricole dont la rentabilité relative va
naturellement en diminuant. Tôt ou tard, les cultivateurs de produits
maraîchers, avertis de la valeur réelle de leur fonds,
cèdent à la tentation de vendre celui-ci à quelque
promoteur ou de réaliser eux-mêmes une opération
immobilière. A Brazzaville, en 1986, une parcelle de 400 m² valait
200 000 à 300 000 Fcfa dans le quartier de Madibou ; en 1988, la
même parcelle valait entre 400 000 et 500 000 Fcfa (Moustier, 1995).
L'autre obstacle, plus récent, rencontré par
cette agriculture spécialisée dans des productions relativement
chères, est la crise et l'ajustement conséquent, dont l'effet
immédiat fut la baisse du pouvoir d'achat de la majorité des
ménages urbains. Aliments en passe de devenir partie de la consommation
urbaine habituelle. Ces produits maraîchers se sont trouvés
rangés au nombre des approvisionnements exceptionnels, même pour
les citadins aisés, tandis que la clientèle des expatriés
avait fondu entre temps.
Le développement d'une culture maraîchère
suburbaine à forte valeur ajoutée susceptible de contribuer
efficacement et durablement au ravitaillement des grandes villes africaines, ne
semble donc pas généralisable à toutes les situations
étant donnée la spécificité des problèmes de
la ville africaine, ce qui tend à montrer l'impossibilité de
transposer tels quels les modèles issus de l'expérience
occidentale, tels les « jardins ouvriers ».
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