SECTION II - L'EXTINCTION DE L'INSTANCE DU FAIT DU DECES DE
L'UNE DES PARTIES
128. En cas de décès d'une personne, son
patrimoine est dévolu à ceux qui sont appelés à sa
succession : héritiers et légataires universels ou à
titre universel324(*).
Ceux-ci recueillent les éléments actifs et passifs du patrimoine
du de cujus et sont appelés à « continuer sa
personne ». Ils devraient logiquement hériter également
de ses actions en justice325(*), et ainsi prendre sa place dans une instance qu'il
aurait introduite ou alors qui aurait été introduite contre lui
avant sa mort. Il n'en est cependant pas toujours ainsi. Le décès
d'une partie à l'instance fait disparaître avec lui dans certains
cas le droit d'agir en justice, ce qui entraîne conséquemment
l'extinction de ladite instance (§1). Une telle situation est tributaire
de la nature de l'action en question. Mais le décès du
délinquant quant à lui entraîne des conséquences sur
les actions nées de l'infraction qui ne tiennent pas toujours compte de
la nature de celles-ci (§2).
§ 1- L'INCIDENCE DU CARACTERE DE
L'ACTION
129. Nous n'envisagerons à ce niveau que l'action dite
de nature civile, qui est celle exercée devant les tribunaux civils en
réparation d'un dommage, mais en l'absence de toute infraction
pénale. En principe, l'ayant cause peut recueillir de son auteur ses
actions en justice et les poursuivre : on dit dans ce cas que l'action est
transmissible. Il existe cependant des actions intransmissibles dont l'exercice
n'est reconnu qu'à leur seul titulaire.
Ainsi, lorsqu'une personne partie à une instance dont
le droit en litige est transmissible décède, ses héritiers
peuvent le remplacer dans ladite instance en qualité de demandeur, de
défendeur ou d'intervenant, selon le cas. Dans une telle occurrence,
l'instance est tout simplement interrompue326(*). Il y aura donc lieu simplement à reprise de
l'instance interrompue conformément aux dispositions des articles 145 et
suivants du CPCC.
130. En revanche, lorsque l'action est intransmissible, les
héritiers de son titulaire ne peuvent pas la recueillir, dans la mesure
où elle est exclusivement attachée à sa personne. Son
décès entraînera la disparition avec sa personne de ladite
action, et si une instance avait été introduite, cette
disparition de l'action entraînera accessoirement l'extinction de
l'instance327(*). Il en
est ainsi de la plupart des droits extrapatrimoniaux comme les droits de la
personnalité328(*), qui sont en principe hors du commerce
juridique ; même s'il est vrai que la classification traditionnelle
droits patrimoniaux-droits extrapatrimoniaux semble remise en cause depuis
quelque temps puisque le contrat, avide de conquérir des territoires
nouveaux, a élargi son domaine de prédilection à certains
droits extrapatrimoniaux. Il peut aussi arriver que le décès
d'une des parties entraîne l'extinction de l'instance parce que ce
décès fait disparaître l'objet du litige. C'est le cas par
exemple en matière de divorce. En effet, d'après l'article 77 de
l'Ordonnance n°81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de
l'état civil et diverses dispositions relatives à l'état
des personnes physiques, le mariage est dissous par le décès d'un
conjoint ou le divorce judiciairement prononcé. L'action en divorce
devant le juge civil ayant pour but d'obtenir la dissolution du lien conjugal,
cette dissolution a lieu de plein droit par le décès de l'un des
conjoints, parties à l'instance en divorce. Par conséquent, si un
tel décès survient en cours d'instance, celle-ci n'a plus de
raison d'être et doit prendre fin.
En somme, Le décès de l'une des parties n'est
une cause d'extinction de l'instance que si l'action est non transmissible soit
parce qu'elle est exclusivement attachée à la personne, soit
parce que le décès fait disparaître l'objet du litige.
§ 2- LE DECES DU DELINQUANT EN CAS D'INFRACTION
PENALE
131. Comme on le sait, l'infraction à la loi
pénale peut donner naissance à deux actions : une action
publique pour l'application des peines et une action civile qui a pour but la
réparation du préjudice subi par la victime de
l'infraction329(*).
132. L'article 62 alinéa 1(a) du Code de
Procédure Pénale dispose que : « L'action
publique s'éteint par la mort du suspect, de l'inculpé, du
prévenu ou de l'accusé (...) ». Ces
différentes appellations tiennent compte des différentes phases
du procès pénal où l'auteur présumé prend
des qualificatifs différents selon que l'on est respectivement à
l'enquête, à l'information judiciaire, devant le tribunal statuant
en matière correctionnelle ou de simple police ou alors devant le
tribunal statuant en matière criminelle330(*). Ainsi, peu importe le stade
auquel il survient, le décès de l'auteur présumé
d'une infraction éteint l'action publique. Cette solution se justifie
par le principe de la personnalisation des peines. Ce principe s'oppose
à ce que les héritiers de l'auteur d'une infraction ne soient
punis à sa place, la responsabilité pénale ayant un
caractère essentiellement individuel. Une telle solution ne souffre en
principe d'aucune exception. Si donc, l'infraction pénale n'avait
donné lieu à aucune action civile, ou alors si bien qu'ayant
donné lieu à une action civile celle-ci n'avait pas
été exercée, le procès prendra fin. Toutefois, dans
l'occurrence où la victime s'était effectivement
constituée partie civile dans les conditions prescrites par la loi, les
conséquences du décès du délinquant sur l'action
civile varient selon que l'on se trouve en première instance ou alors en
instance d'appel.
133. En effet, l'extinction de l'action publique du fait du
décès du délinquant a forcément des
répercussions sur l'action civile née de l'infraction. Lorsque le
juge répressif est saisi d'une infraction, il est compétent pour
statuer également sur l'action civile si la victime s'est
constituée partie civile331(*). Dans la mesure où l'action civile est
accessoire à l'action publique, si l'action publique s'éteint du
fait du décès en cours d'instruction du délinquant, l'on
voit mal comment le juge répressif pourrait statuer sur l'action civile
notamment en condamnant une personne dont la culpabilité n'a même
pas pu être établie. De même, si l'action civile avait
été portée par la victime devant le juge civil comme la
loi l'y autorise, celui-ci aurait sursis à statuer en attendant la
décision du juge répressif sur l'action publique, en vertu du
principe « le criminel tient le civil en état » et
de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
Ainsi donc, si le juge répressif n'a pas pu se prononcer sur l'action
civile à cause du décès du délinquant, il convient
de conclure que le juge civil ne pourra pas se prononcer sur les
intérêts civils. Dans les deux hypothèses, l'instance
s'éteindra et la procédure prendra fin.
134. En revanche, il en est différemment lorsque le
décès du délinquant n'est intervenu qu'en instance
d'appel. En effet, si l'auteur de l'infraction décède alors
qu'une décision est déjà intervenue en première
instance, seule l'action publique s'éteindra, en vertu du principe de la
personnalité des peines. Mais, dans la mesure où il y a
déjà eu une décision au fond rendue dans cette affaire, et
notamment quant à l'action civile, la juridiction répressive du
second degré demeure compétente pour statuer sur les
intérêts civils332(*).
En définitive, nous pouvons dire que le
décès d'une partie à l'instance en matière civile
n'entraîne l'extinction de l'instance que lorsque l'action est
intransmissible, les héritiers du de cujus devant, dans le cas
contraire, continuer l'instance qui est tout simplement interrompue, en
effectuant une reprise d'instance. Au contraire, le décès du
délinquant, lorsqu'une infraction pénale a été
commise, a des effets plus énergiques, puisqu'il entraîne de
manière irréversible l'extinction de l'action publique, et ne
laisse subsister l'action civile que pour autant qu'une décision ait
déjà été rendue sur le fond.
CONCLUSION DU CHAPITRE II
135. De manière incidente, l'instance peut prendre fin
avant son aboutissement, accessoirement à l'action qui la sous-tendait.
L'action peut d'abord prendre fin parce que les droits dont la mise en oeuvre,
la sanction ou le respect étaient recherchés ont perdu leur
caractère litigieux, et qu'ils ne souffrent plus de contestation. Il
peut en être ainsi parce que le demandeur a purement et simplement
reconnu le bien-fondé des prétentions de son adversaire et ainsi
acquiescé à la demande. Il peut également en être
ainsi parce qu'en cours d'instance, l'une des parties, quelle qu'elle soit, le
demandeur ou le défendeur, a renoncé à réclamer son
droit, en opérant un désistement d'action ; ou alors, les
parties peuvent mettre fin par anticipation à leur litige en concluant
une transaction, au moyen de concessions réciproques.
136. Ensuite, l'extinction de l'instance peut intervenir
accessoirement parce que l'une des parties au litige est
décédée en cours de procédure. Si l'action
était intransmissible, les héritiers n'ayant pas vocation
à la recueillir, l'instance ne pourra pas se poursuivre. Dans
l'hypothèse des actions nées de la commission d'une infraction
pénale, le législateur affirme et il est de jurisprudence
constante, que le décès du délinquant éteint
l'action publique, et que cette extinction de l'action publique a des
répercussions sur l'action civile qui disparaît elle aussi, sauf
dans de rares cas.
CONCLUSION DU TITRE II
137. Lorsqu'elle n'a pas pu se poursuivre jusqu'à son
terme normal qu'est le jugement, l'instance peut s'éteindre de
manière incidente, soit à titre principal, parce que la cause
d'extinction n'atteint que l'instance en cours en laissant subsister le droit
d'agir, ce qui implique qu'il demeure loisible aux plaideurs d'introduire une
nouvelle instance si le droit lui-même n'est pas atteint par ailleurs par
une cause d'extinction comme la prescription par exemple ; soit à
titre accessoire, parce que c'est le droit d'action lui-même qui est
atteint, l'instance introduite pour le mettre en oeuvre devenant sans objet.
Dans l'hypothèse d'extinction à titre principal
de l'instance, nous avons vu qu'elle pouvait être due soit au non respect
des délais pour accomplir les actes de la procédure par les
parties, ainsi de la caducité de la citation ou de la péremption
d'instance. Elle peut également être due à une renonciation
volontaire des parties à la poursuite de la procédure :
c'est le cas du désistement d'instance. Dans tous ces cas, seule
l'instance concernée est éteinte, les parties pouvant introduire
une nouvelle instance, à moins que le droit d'action lui-même ait
disparu.
138. Le droit d'action peut disparaître et
entraîner accessoirement l'extinction de l'instance, et ceci de
manière irréversible, parce que les droits qui faisaient l'objet
de contestation ne sont plus en litige : il en est ainsi en cas
d'acquiescement, de désistement d'action ou de transaction intervenue
entre les parties à l'instance en vue de mettre fin à celle-ci
par le biais de concessions réciproques. L'instance peut
également s'éteindre de manière accessoire, du fait du
décès de l'une des parties survenu en cours de procédure,
ceci dans certaines conditions.
Dans tous ces cas, le juge doit rendre une décision de
dessaisissement qui n'est pas une décision sur le fond du litige
originairement porté devant lui, mais qui constate seulement
l'extinction « prématurée » de l'instance.
* 324 STARCK (B), ROLAND
(H) et BOYER (L) : Introduction au droit, 5ème
édition, Paris, Litec, 2000, n° 1371. V. à ce sujet,
Christine LESCA D'ESPALUNGUE, La transmission héréditaire des
actions en justice, P.U.F, 1992.
* 325 L'action en justice
est définie comme le pouvoir reconnu aux sujets de droit de s'adresser
à la justice pour obtenir le respect de leurs droits ou de leurs
intérêts légitimes. Lexique des termes juridiques,
13e éd., Dalloz, 2001.
* 326 C.S, Arrêt du
21 fév. 1980, RCD Série 2, n°s 32-34, 1982, p.
83 : « Survenu avant la mise en état de l'affaire le
décès interrompt l'instance (...) » ; C.S.C.O,
Arrêt n° 23/cc du 11 avril 1967, Bull. n°16 p.
1797 : « Seule la mort de l'une des paries peut interrompre
l'instance, à l'exclusion de la cessation des fonctions de l'avocat
défenseur dont le ministère n'est pas obligatoire devant les
tribunaux ».
* 327 Cf. art. 384 NCPC
« (...) l'instance s'éteint accessoirement à
l'action..., dans les actions intransmissibles, par le décès de
l'une des parties (...) » ; et art. 388 du Code de
Procédure Civile, Commerciale et Sociale du Mali «« (...)
l'instance s'éteint accessoirement à l'action..., dans les
actions non transmissibles, par décès d'une partie
(...) ».
* 328 La Cour de cassation
a eu à juger que «le droit d'agir pour le respect de la vie
privée s'éteint au décès de la personne
concernée, seule titulaire de ce droit» (Cass. 1ère civ., 14
déc. 1999, Bull. civ. I, n°345, D. 2000, p. 372, note B.
Beignier).
* 329 Art. 59 du CPP
* 330 Art. 9 du CPP
* 331 La victime de
l'infraction peut se constituer partie civile soit à l'information
judiciaire devant le juge d'instruction si elle n'avait pas mis l'action
publique en mouvement par une plainte avec constitution de partie civile
conformément à l'art. 157 du CPP, ou alors devant la juridiction
de jugement, conformément à l'article 385 du CPP, à moins
également qu'elle n'ait mis l'action publique en mouvement par citation
directe.
* 332 V. Cass. crim., 3
février 1965 (Bull. crim. n°32 p.69) :
« L'action civile en réparation du dommage survit à
l'action publique lorsqu'une décision est intervenue devant la
juridiction pénale avant le décès du
prévenu ». V. également Cour suprême du
Mali, Arrêt no 25 du 23 juin 1986 : « Attendu
qu'au contraire il est de jurisprudence constante que lorsque le
décès survient alors qu'une voie de recours a été
formée (soit par le prévenu, soit par le Ministère public,
soit par la partie civile), la juridiction saisie doit déclarer l'action
publique éteinte, mais reste compétente, pour statuer sur les
intérêts civils sauf s'il s'agit d'une opposition, que l'action
civile peut être intentée ou suivie contre les héritiers.
On sait qu'elle doit s'exercer devant la juridiction civile, à moins
qu'un jugement pénal ne soit intervenu du vivant de
l'inculpé »
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