A-la formation intellectuelle et professionnelle au Cameroun
et en France
1- La formation au Cameroun: Du Cours Primaire
Supérieure au Lycée de
Nkongsamba.
Très autoritaire, madame Agnès Mvodo BELINGA n'a
aucune peine à faire régner la discipline chez elle. Active et
habile couturière, elle parvient à subvenir aux besoins de
première nécessité de ses enfants. En 1934, Ferdinand
OYONO est inscrit à l'école officielle régionale
d'Ebolowa. Débordant d'activité, il s'inscrit également au
mouvement des éclaireurs (scout). Trop jeune et peut être mal
préparé à ces débuts à l'école,
Ferdinand OYONO va reprendre son cours préparatoire en 1935 sous la
conduite de M. Emile NKOLO (30). Nul n'imagine qu'à cette
période, le climat d'agitation qui règne entre les grandes
nations déclenchera une autre guerre mondiale qui causera
d'énormes pertes humaines et matérielles. La psychose dans
laquelle le monde entier est plongé, le milieu peu propice et surtout
les multiples activités (31) d'OYONO ne favorisent pas ses
progrès scolaires. Ce n'est qu'en 1944 qu'il se présente à
l'examen du Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires, OYONO est
reçu 2e du centre d'Ebolowa tout comme deux de ses camarades
NTIMBAN et ONDOA.
Bien mieux, il passe aussi le concours d'entrée au
Cours de sélection d'Ebolowa et fait partie de la 3e
promotion de cette institution que dirige le
camerounais François SOUN sous la supervision de M.
CHABEUF(32). Ferdinand OYONO va passer moins d'un an au cours de
sélection d'Ebolowa de mars à décembre de l'année
1945, période au cours de laquelle Il est reçu à l'examen
d'entrée à l'Ecole Primaire Supérieure de Yaoundé
dont M. Antoine GALEAZZI assurait la direction (33) entre temps on
assiste à un règlement de la crise mondiale. En 1946,
après la naissance de l'Organisation des Nations Unies, et la
transformation du régime de mandat en régime de tutelle, sous
lequel était placée l'administration Française au
Cameroun, un autre champ d'expérience s'ouvre à Ferdinand OYONO
avec cette admission.
En effet, l'Ecole Primaire Supérieure de Yaoundé
étant le seul établissement public d'enseignement secondaire du
territoire ; l'admission en son sein était sélective. Cette
dernière, créée le 25 juillet 1921 par un
arrêté du gouvernement de la République Française,
précise dans l'article 2 du texte organique que l'institution comprend
cinq sections :
- la section enseignement ;
- la section administrative ;
- la section postale ;
- la section géomètre-topographe ;
- la section médecine (34)
La ville de Yaoundé est plus grande et plus importante
qu'Ebolowa, mais le jeune OYONO ne s'y perd pas après avoir opté
pour la section administration. Il passe par le meilleur moule de
fonctionnaires du Cameroun, en compagnie de la future élite
intellectuelle, administrative et politique du pays à l'instar de
Ferdinand KOUNGOU EDIMA, Bayart NNAZE, Fritz ONDOA, OKONO ABESSOLO, etc. OYONO
s'y montre bon élève malgré le train de réformes
observées après la deuxième guerre mondiale, qui va
entraîner une transformation rapide de ladite école. En effet, les
élèves de cette école des cadres administratifs sont
transférés au
Lycée de Nkongsamba qui vient d'ouvrir ses portes et
dont Ferdinand OYONO est de la deuxième promotion de ce Lycée. En
1949, cette promotion est présentée à l'examen du Brevet
Elémentaire auquel OYONO n'est pas reçu. Dépité,
son père s'impose le lourd sacrifice de l'envoyer continuer ses
études en France à ses frais(35); une
éventualité assez rare mais possible pour une certaine
catégorie de fonctionnaires.
Il y'a lieu de noter que c'est dans la langue française
que Ferdinand L. OYONO se distingue par rapport aux différentes
matières et vis-à-vis de ses camarades. Taquin et moqueur, il
n'épargne personne, élèves et enseignants. L'une de ses
victimes favorites, fut un adjudant retraité M. SOUA NDOUM qui aimait se
pavaner, la poitrine bardée de toutes ses médailles acquises dans
l'armée française. OYONO s'en prenait également à
tous les vieux qui ambitionnaient de se faire décorer par
l'administration coloniale. Toutes ces farces et railleries étaient sans
grande méchanceté ; mais elles présageaient
déjà les qualités artistiques du personnage. Entre temps,
Ferdinand OYONO prépare un roman dont lui-même n'imagine pas le
succès qu'il connaîtra. Dans l'ouvrage intitulé Le
Vieux nègre et la médaille,(36) qui fait allusion
à la colonisation, l'auteur apporte un démenti abondamment
illustré qui se présente comme un acte d'accusation, contre tous
ceux qui voient en elle une oeuvre de civilisation, de bienfaisance. Ferdinand
OYONO pense que pour juger la colonisation il faut y vivre; c'est pourquoi dans
son tout premier roman tout comme dans celui intitulé Une vie de
boy, il fait participer le lecteur à la vie coloniale. On
découvre que la politique coloniale est fondée sur le mensonge ou
la violence injuste, parfois sur l'égoïsme ou la jalousie mesquine;
ainsi mentionne-t-il: Gosier d'oiseau, ce Commissaire si célèbre,
n'est jamais aussi actif ni aussi efficace que quand il faut défendre
les intérêts des Blancs.
La société que décrit OYONO dans ses deux
premiers romans est bien celle de son enfance; de même que ses
héros en dénoncent l'atmosphère étouffante
et les injustices révoltantes, de même par son
oeuvre Ferdinand OYONO la dénonce, la condamne.(37) Ainsi, on
peut dire qu'avant de se rendre en France poursuivre ses études,
Ferdinand OYONO a précisément fait du monde colonial la
matière de ses romans en chantier; le combat qu'il a mené a
poussé Sainville à dire que : " Dans Une vie de boy,
OYONO Ferdinand est particulièrement amer, et ce roman est en soi un des
plus violents réquisitoires qui aient été prononcés
contre la colonisation Française "(38)
2- La formation en France
C'est en août 1950 que Ferdinand OYONO prend le chemin
de l'Europe. Il va s'inscrire dans un lycée de Provins, petite ville de
Seine et marne (France) en classe de seconde. Une nouvelle phase de sa
formation est entamée, semée d'aventures et d'incidents que tout
étudiant noir en France a connu surtout en cette période de la
colonisation. Ferdinand Léopold OYONO achève ce cycle secondaire
par l'obtention du Baccalauréat moderne de Philosophie
(39).
Ce succès au Baccalauréat en 1954 lui ouvre les
portes des études supérieures à la Faculté de Droit
et de Sciences Economiques de Paris Sorbonne. Paris et la Sorbonne
étaient outre des lieux d'études de droit, de sciences politiques
et économiques, ceux de nombreuses et enrichissantes rencontres et
fréquentations. Ferdinand OYONO a comme proches Camara LAYE, Alexandre
BIYIDI (Mongo Beti), François SENGAT KUO, William Aurélien ETEKI
MBOUMOUA, pour ne citer que ceux-là. L'une des principales
fréquentations d'OYONO est l'écrivain camerounais et camarade
Mongo Beti avec qui il s'entend beaucoup ; celui-ci se souvient de ces
années passées en France malgré la rupture de leur entente
(140) dès l'accession du Cameroun à
l'indépendance et déclare `'... OYONO et moi avons
été de grands amis... `'(41)
Entre temps, Ferdinand L. OYONO entreprend le Cycle
d'études sur l'économie du développement sous
l'égide du Professeur François Perroux. Au Collège de
France. Licencié en 1957, il se converti en qualité de chercheur
à l'Orsom de Paris. C'est le statut que présente OYONO avant la
date du 15 septembre 1959, juste avant la signature de l'arrêté
(42) du premier ministre Ahmadou Ahidjo, portant désignation
de trois camerounais(43) à effectuer un stage de formation
diplomatique de six mois, au ministère des affaires
étrangères du Gouvernement de la République
française à Paris et dans les missions diplomatiques
françaises à l'étranger. Ferdinand OYONO se rendra
respectivement au Quai d' Orsay, au consulat Général de France
à Gênes en Italie, enfin à l'Ambassade de France en Italie
(Palais Farnèse à Rome) pour ces stages. C'est l'occasion pour
lui de s'imprégner des réalités et surtout des canons qui
régissent la profession de diplomate. Le 19 juin de la même
année au Cameroun, on note un changement dans la situation
administrative et politique. En effet, la loi-cadre fait évoluer le
statut politique du Cameroun en accordant à ce pays la
possibilité de devenir un territoire autonome. Elle accorde aussi le
suffrage universel à tous les Camerounais adultes (44).
C'est un tournant important dans la formation intellectuelle
de Ferdinand OYONO que l'on va observer. Avant cette proposition du Premier
Ministre camerounais AHIDJO de faire de lui un futur Diplomate, l'ancien
élève taquin et moqueur du Cameroun est devenu discret et plus
conscient. Il se distingue par ses prises de position contre la colonisation.
Nul n'imagine cet étudiant discret et courageux être l'auteur de
deux livres en ce moment là. En effet, le monde entier découvre
un jeune romancier camerounais au grand talent : Ferdinand OYONO publie en
1956, en l'espace d'un mois, ses deux chefs d'oeuvre littéraires
apprêtés en partie au cours de son dernier séjour avant la
France : Une Vie de boy et Le Vieux nègre et la
médaille (45)4. Ces romans mettent en
scène des blancs en régime
colonial. Ferdinand OYONO décrit avec cet humour qui
lui est propre et dans un style sans complaisance certains abus de la
colonisation. Comme le dit Philippe Gaillard :
`' ...tableaux de la vie du colonisé, les romans
d'OYONO sont des réquisitoires contre la double oppression de
l'administration et des missions égayées par les astuces des
indigènes pour tromper le blanc...» (146).
Au cours de cette même année (1956), OYONO vit
dans un milieu artificiel et précaire ; celui de l'étudiant noir
en Europe aux côtés de son frère du Sud- Cameroun Alexandre
BIYIDI qui affirme :
`'
... OYONO habitait au quartier Latin, moi je n'habitais
pas au quartier Latin, j'habitais dans un quartier beaucoup plus
éloigné. Mais on se voyait souvent, on buvait beaucoup ensemble,
on allait au cinéma ... `' (47).
Cette époque est marquée en France par des
problèmes sociaux et politiques. La guerre d'Algérie vient
d'éclater, simple soulèvement d'ambitieux et de factieux rebelles
pense-t-on au pouvoir central, et qu'une opération de police ou de
gendarmerie suffira à réduire. Ce soulèvement va peser de
façon lourde et déterminante sur toute l'histoire de la France
pendant près d'une décennie . Ferdinand Léopold OYONO se
trouve au coeur du problème, occupé à ses études,
certes, mais mal à l'aise. Il est partagé entre la
communauté d'expériences et d'aspirations qui le lie aux
Algériens et le respect dû au pays qui l'accueille, la France.
Parallèlement, dans son pays d'origine, une
évolution décisive s'accomplit lentement et douloureusement au
cours des mêmes années ; la pression des
syndicats, la création des partis politiques et
l'affirmation de ces derniers à l'instar de l'Union des populations du
Cameroun (U.P.C) de UM NYOBE. Mieux structuré, ce parti
déclenchera à Douala, à Yaoundé et ailleurs au Sud
Cameroun en 1955 des troubles dont la répression sera sanglante à
Yaoundé et Douala notamment (48).
1956 marque les premières années de la
décolonisation, une période transitoire où F.L. OYONO,
bien qu'étant loin du Cameroun, suit les ténors du moment
échanger des arguments pour ou contre l'indépendance. OYONO
à cette époque ne trouve pas nécessaire de s'engager dans
la lutte politique comme son camarade et ami Mongo Beti qui déclare
à propos : « ...On ne parlait pas de politique OYONO et moi, on
était copains... »( 49).
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