VI-5-STRATEGIES DE GESTION DES RISQUES PAR LES
POPULATIONS
Dans le but de
réduire le risque, les populations définissent des
stratégies qui vont de l'action individuelle à l'action
collective
VI-5-1- ACTIONS NDIVIDUELLES
Sur le plan individuel, la gestion
des risques dépend de la perception que l'individu a de ces risques. Les
individus qui n'ont pas une grande considération du danger lié
à leur environnement ne sont pas motivés par le désir de
réduire le risque. Pour eux, le risque est mineur et il n'est pas
important « de faire quoi que ce soit ». Ainsi,
pour cette catégorie de personnes, balayer la cour, la maison est
insuffisant. Une femme rencontrée dans un ménage à
Maképé maturité (Mme MONIQUE, vendeuse de
beignet Maképé Maturité) affirme :
Il n y a pas de risque ici et vous voulez que je
dise quoi ? S'il y avait un risque, je trouverai un moyen de le
gérer selon les ressources que j'ai. Pour l'instant, je m'occupe de la
propreté de ma maison et des alentours que je balaye et que j'entretien
chaque fois comme dans toute maison
.
De cette affirmation, la gestion des risques consiste donc
à balayer la cour et la maison chaque jour car c'est une pratique
commune à tous les ménages ; même où le risque
n'existe même pas.
Par contre, ceux qui perçoivent leur site comme
à risque, (particulièrement ceux qui ont une bonne instruction)
individuellement mettent tout en jeux pour minimiser les risques. Pendant la
saison pluvieuse, et étant donné les inondations dans les
maisons, les lits sont suspendus sur la toiture. Après la fin de la
pluie et après évacuation des eaux, ils les redescendent. Pour
minimiser les risques de pollution, chaque individu creuse autour de sa maison
des rigoles qui laissent traverser les déchets. Mais ces rigoles
généralement se remplissent dès la première pluie
ou même juste quelques jours après. Ceci parce qu'elles ne sont
pas faites de façon à faciliter l'évacuation. Pour
contrarier les risques sanitaires, les moustiquaires sont utilisées par
certaines personnes. Mais le risque reste puisqu'en journée, les
moustiques sont présents. L'action individuelle trouve ainsi ses limites
comme affirme le chef de quartier de Maképé Maturité, M.
BELLA :
Les mesures que prennent mes populations
individuellement pour gérer les dangers sont insuffisants et même
inefficaces. Elles n'ont ni moyens matériels, ni moyens financiers, ni
moyens intellectuels. Elles se contentent des mesures traditionnelles qui
produisent elles-mêmes des risques plus qu'elles ne
gèrent.
Les actions individuelles dans la gestion des risques trouvent
leurs limites par le manque de moyens matériel et financier. Les risques
sont grands, mais les moyens disponibles pour les gérer sont
insuffisants. Pour pallier à cette situation, la population a
engendré des actions collectives qui vont de la formation en association
et des ONG de lutte contre la pollution et l'insalubrité.
VI-5-2- ACTIONS COLLECTIVES
Compte tenu de l'ignorance, de
l'incivisme et du non respect des lois et réglementations des
populations en matière de construction et de propriété,
les individus se constituent en police de l'environnement. Police de
l'environnement de proximité qui se changera entre autres de l'aspect
organisation et juridique des espaces habités conformément aux
textes et lois en vigueur. En outres, diverses associations et ONG sont
crées dans les sites enquêtées dont le but principal est la
gestion des risques. Les plus en vue sont l'ASMA à Maképé
Maturité et l'ASSIC à Maképé Missoké. Ces
associations obéissent à une structure bien
déterminée :
Un président qui est un conseiller municipal
Un conseiller des travaux qui est le chef de quartier
Un directeur des travaux qui est un membre influent de la
zone
Les contrôleurs des travaux et les membres simples
Dans chaque bloc, le comité installe un autre
comité de suivi d'hygiène et de salubrité. Ce
comité est chargé de contrôler et surveiller la
propreté dans chaque bloc. En outre, il recense les points d'ombre qui
nécessitent des travaux particuliers et les soumettent au comité
exécutif.
Ces associations ont aussi un but éducatif. Elles
apprennent aux populations à creuser les latrines loin des puits et de
les couvrir. Des séances de formation et de sensibilisation sont souvent
organisées à ce sujet. Pour pallier au risque de cholera, ces
associations et ONG formulent des projets qu'ils soumettent soit aux pouvoirs
publics, soit aux bailleurs de fond pour une réalisation. Les deux
forages et une borne fontaine présente dans la zone de
Maképé Maturité témoignent du dynamisme de ces
associations.
Un autre aspect de l'action collective est l'effet des membres
des associations à diriger les eaux stagnantes entre les habitations
vers la rivière Ngoné par des canalisations et des drainages.
Avec le concours de la population, ils remplissent des sacs de sable qu'ils
mettent dans le bas fonds des rivières et certains coins sensibles pour
éviter le risque d'érosion. Ils créent aussi des pistes
entre les maisons, aménageant les abords des rivières. L'action
collective s'avère ainsi être efficace au vu du
« succès » qu'elle connaît. Mais beaucoup de
problèmes se posent qui constituent des freins à cette action.
L'on a souvent affirmé et avec raison que tout médaille a son
revers. En d'autres termes, toute chose quelque soit sa positivité
possède un certain nombre d'éléments susceptibles
d'entraver cette positivité. Pour connaître les difficultés
qui freinent les actions menées par les associations, nous avons
rencontré les membres dans un entretien libre, entretien au cours duquel
ils nous ont fait part de leurs difficultés. Entre autres, ils ont mis
un accent particulier sur ceux d'ordre matériel.
- Ils ne disposent d'aucun moyen financier de base et d'aucune
structure d'encadrement, de sensibilisation. Les membres de l'équipe
sont tous des volontaires qui puisent parfois des fonds personnels pour mener
à bien les travaux qu'ils se sont assignés.
- L'accès dans certains coins est difficile à
cause des constructions anarchiques
- Le matériel utilisé pour creuser les rigoles,
défricher les abords des rivières est d'une vétusté
sans pareille et même insuffisant. Ce matériel est à 90% de
cas inadapté. HENRI (membre de l'ASMA) affirme :
Nous sommes parfois obligés d'arrêter
les travaux à cause de l'absence du matériel. Avant lorsque la
mairie s'occupait un peu de nous, nous menions nos actions au moins deux fois
par mois parce que nous étions motivés. Mais aujourd'hui, nous
n'avons presque plus de matériel de travail. Le peu que nous
détenons ne permet pas à tous les membres de travailler si bien
qu'il est difficile pour nous de mener nos actions ne serait-ce qu'une fois par
mois. (HENRI, Maképé Missoké)
Le manque de matériel entraîne une lenteur dans
la gestion des risques par la population. Les conditions dictées par les
moyens matériels ont un impact sur le moral des populations. Parlant
justement des populations, celles-ci constituent aussi un frein à
l'action collective. Toute association s'adresse d'abord à un groupe
d'hommes. Ces hommes sont les supports dynamiques et dynamisants de l'action
à entreprendre. A chaque type de groupe correspondra une certaine
réponse aux sollicitations. La réponse peut être positive
ou négative. Malgré la « positivité »
de ces associations, il apparaît toujours au sein du groupe un certain
nombre de réactions incompatibles avec les buts visés. On ne peut
pas cependant parler de rejet radical.
Dans le cas des populations des zones enquêtées,
les hommes n'adhèrent pas massivement à ces associations. C'est
le refus, un rejet de leur part. Certaines personnes nous ont fait
connaître qu'ils ne comprennent pas la raison d'être de ces
associations de gestion des risques. Ils expliquent leurs positions en mettant
en exergue le fait que malgré leurs actions, rien ne change dans leur
milieu. En outre, ils ont peur de voir détruire un de leurs biens sous
prétexte de l'hygiène et salubrité. C'est le sens de cette
affirmation d'un habitant de Maképé Maturé, M.
ALBERT : « Ces associations là ne sont pas du tout
bien. L'année dernière, elles ont détruits ma cuisine et
une partie de ma maison sous prétexte qu'elles empêchent le
passage d'eau. Il en est de même de plusieurs autres habitations. Et vous
voulez que j'adhère à cette folie ? ».
L'action collective dans la gestion des risques en tant que folie
éprouve des difficultés qui limitent ses actions. Les membres qui
s'activent dans ces initiatives sont ceux qui ont longtemps été
sensibilisés ou ceux qui ont un niveau d'instruction
élevé.
Au terme de ce chapitre, les dynamiques
socio-économiques en milieu à risque produisent des effets
incertains. Des effets qui se traduisent par la montée des maladies
microbiennes, des pathologies aiguës, des sinistres et des crises
psychologiques. Ces risques ont des effets sur la scolarisation des enfants sur
la qualité et la quantité, le nombre de repas journalier. Les
stratégies de gestion des risques trouvent toutes leurs limites face
à une population analphabète et sans éducation en
matière d'insalubrité.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Trois chapitres ont constitué cette partie : le
premier traitant d'abord des mobiles des dynamiques socio-économiques en
milieu à risque. Les acteurs dynamiques des sites de
Maképé Missoké et maturité expliquent leur
présence dans ces zones comme résultant des liens qui se nouent
dans les mariages obligeant certains à rejoindre soit leurs femmes, soit
leurs maris. En outre la fréquentation des zones à risque est
surtout la conséquence de la pauvreté des enquêtés,
de leurs faibles revenus et la difficulté de logement. Les individus
luttent pour s'affirmer, dominer. Ils sont à la quête du mieux
être et d'une intégration économique. Ensuite analyser les
représentations sociales des risques. Il apparaît d'une
manière générale que les populations ont une perception
positive de leur milieu. Elles n'assimilent pas leur milieu à un danger.
Mais certaines variables ont permis de comprendre de manière
spécifique la différence dans la perception sur l'environnement
immédiat. L'instruction est le principal déterminant de la
perception négative de l'environnement immédiat. Les individus
instruits assimilent leur milieu à un danger. Ceci s'explique par le
fait qu'une perception des dangers dans un milieu dépend largement de la
compréhension de leur processus, laquelle est redevable d'un minimum
d'instruction. Les individus qui ont mis long dans les sites ne
perçoivent pas à priori les risques comme un danger. Plus les
individus expérimentent un cadre de vie insalubre, mieux ils s'y
habituent et ignorent les dangers. Sous l'effet de la crise économique,
les individus ravalent la prétendue urgence des problèmes
liés à l'environnement immédiat au rang de l'accessoire.
La désappropriation du cadre de vie par les populations au profit du
pouvoir apparaît à la fois comme une transaction mentale et une
stratégie en ce temps de crise.
Le second chapitre a traité des conditions de vie de
ces populations et les stratégies de survie. Il apparaît que les
populations vivent dans des conditions déplorables. Certains
ménages sont partagés par plus de dix personnes, les maisons sont
pour la plupart en carabottes et les bois utilisés ne sont pas au
préalable traités, les puits non traités sont les
principales sources de ravitaillement en eau. Pour survivre, ces populations
développent des stratégies diverses qui se traduisent par la
pratique associative, le métier de motos taxi, la vente de sable, le
petit commerce et l'élevage.
Le troisième chapitre quand à lui a permis
d'analyser l'émergence des risques comme provenant à la fois
de la nature et de la fabrication humaine. En outre les dynamiques
socio-économiques dans les sites à risques produisent des effets
négatifs tant sur le plan social économique que psychologique.
Pour « contrarier » les risques, des actions sont souvent
initiées par les populations. Ces actions sont d'ordre individuel et
collectif, mais trouvent toutes leurs limites face à une population
analphabète et sans éducation en matière
d'insalubrité, ce qui renforce davantage les incidences dans les
ménages.
RECOMMANDATIONS
La désappropriation du cadre de vie par les populations
au profit du pouvoir a un impact doublement négatif sur la
viabilité de celui-ci. D'une part, les populations en percevant les
pouvoirs publics comme les responsables de la protection de ce cadre de vie
s'émancipent des attitudes et des comportements qui étaient
jusque-là garants d'une salubrité du cadre de vie. D'autre part,
les pouvoirs publics, pris dans l'étau des difficultés
économiques et partisans d'un moins d'état, ne peuvent pas
matériellement prendre en charge la gestion du cadre de vie. Il en
résulte un vide dans la gestion du cadre de vie. Un vide qui non
seulement génère les problèmes humains, mais aussi urbains
maximisant les risques au sein de cet espace urbain. La solution aux
problèmes de recours aux sites à risque est probablement dans une
réappropriation du cadre de vie par la population. Mais pour donner
à cette réappropriation toutes chances de succès, les
pouvoirs publics sont triplement interpellés. Ils doivent d'abord
améliorer les conditions de vie des populations pour que celles-ci ne
soient pas prises dans l'impitoyable logique des impératifs à
court terme. L'amélioration des habitations et des services
associés, l'amélioration et l'éradication des sites
à risque ne peuvent résoudre le problème. Ces solutions ne
tiennent pas compte des causes fondamentales dont l'une des principales est la
pauvreté matérielle et financière. Il est important
d'examiner la question des moyens d'existence des habitants des taudis et des
pauvres en général et d'aller au-delà des approches
traditionnelles qui ont tendance à se concentrer sur
l'amélioration des habitations, de l'infrastructure et des conditions de
l'environnement physique. Cela signifie donc soutenir le développement
des activités informelles urbaines, liant la construction des logements
sociaux à la génération des revenus. Assurer un
accès facile aux emplois en mettant des moyens à la disposition
des pauvres et des politiques pour les sites des établissements des
groupes à faible revenu. Comme deuxième interpellation, les
pouvoirs publics doivent initier des campagnes de sensibilisation et
d'éducation des populations sur la salubrité du cadre de vie et
bien-être de la population. Enfin, ils doivent participer à une
co-gestion du cadre de vie, il faut une éthique de l'environnement
dès lors veiller à l'application des règlements en
matière de traitement des déchets industriels et d'implantation
des industries. Une volonté politique est donc à la base de toute
gestion du cadre de vie. Toutefois, les habitants eux-mêmes doivent
être des acteurs majeurs de ces initiatives et actions à travers
une approche participative.
Au niveau des zones rurales, l'état doit
développer des stratégies de développement, notamment les
réalisations des projets capables de retenir les migrations urbaines.
Renforcer les initiatives paysannes par des subventions dans les domaines
agricoles, de la pêche, de la chasse etc.
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